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« Samba et Chevalier sont les deux meilleurs gardiens français de Ligue 1, sans aucun doute »
Le 121e derby du Nord entre Lens (5e) et Lille (4e), ce samedi à 21h au stade Bollaert, sera l’occasion d’un duel à distance entre deux des meilleurs gardiens du championnat : Brice Samba (30 ans) et Lucas Chevalier (22 ans). Une opposition de style entre les deux portiers français, décryptée par deux ex-derniers remparts nordistes : Guillaume Warmuz et Steeve Elana.
Casting
Steeve Elana : 37 matchs dans les cages du LOSC entre 2012 et 2016.
Guillaume Warmuz : 427 matchs dans les buts du RC Lens entre 1992 et 2003.
Selon vous, Brice Samba et Lucas Chevalier se sont-ils aujourd’hui imposés comme les deux meilleurs gardiens du championnat de France ?
Guillaume Warmuz : Oui, je crois bien. Ce qui est certain, c’est qu’ils sont sur le podium. Je n’ai pas forcément envie de citer un autre nom, mais ils font partie des trois meilleurs de Ligue 1.
Steeve Elana : Ce sont les deux meilleurs gardiens français de Ligue 1, sans aucun doute. On a la chance d’avoir de très bons gardiens dans notre championnat, mais je pense pouvoir dire sans trop de risques que Lucas et Brice montent sur le podium, oui.
Quelles qualités chacun pourrait-il envier à l’autre ?
SE : Très difficile à dire, car ce sont d’excellents gardiens dans leurs domaines respectifs. Je dirais que Chevalier peut envier à Samba sa sagesse, sa maîtrise : c’est un gardien extrêmement agile, très à l’aise dans les airs. À l’inverse, Brice pourrait envier à Lucas cette insouciance, cette fougue de la jeunesse qui fait sa force match après match.
GW : Chevalier est plus technique, plus esthétique, il a plus de vélocité et de fluidité. Il a été super impressionnant lors des deux derniers matchs de Ligue des champions. Finalement, il a ce que Brice n’a pas, mais il n’a pas ce que Brice a. Samba, lui, a plus d’épaisseur, plus d’expérience des grands rendez-vous. Il a aussi plus de puissance, de force pure, de duels gagnés au physique. Personne n’a rien à envier à personne. C’est vraiment deux styles différents.
Quid de leur marge de progression ?
GW : À 30 ans, la marge de progression de Brice Samba réside dans l’opportunité d’aller dans un club plus huppé pour se confronter à de plus grosses affiches, à plus de pression. Il n’a plus vraiment de marge de progression dans sa technicité, elle réside plutôt dans la capacité à trouver un plus gros club et terminer les années qui lui restent là-bas. Ce qu’il a réalisé avec Lens, il faudra le réaliser trois ou quatre années de suite dans un club comme l’AC Milan, à la manière de ce que fait Mike Maignan à Milan.
SE : Je ne connais pas le plan de carrière de Brice, mais selon moi, il n’a pas forcément besoin de partir de Lens. Il n’a plus besoin de prouver quoi que ce soit et, à 30 ans, l’important, c’est de trouver de la stabilité. Mais si un jour, l’opportunité d’aller jouer dans un top 8 anglais par exemple se présente, ça serait génial pour lui : son expérience anglaise à Nottingham lui a beaucoup apporté, il n’était plus le même gardien lorsqu’il est rentré en France.
GW : Chevalier, lui, ne fait que confirmer ses exploits. Il est au summum de ce qu’il peut produire en tant que gardien. Sa marge de progression est encore grande et elle réside dans sa constance : s’il continue à l’être, on va vers un gardien de très très grande envergure. C’est bien de faire une voire deux bonnes saisons, mais il va devoir réussir à s’inscrire dans la durée.
SE : Il est encore super jeune, seulement 22 ans ! Il a encore beaucoup de choses à apprendre et à découvrir. Partir de Lille pour l’étranger comme l’a fait Maignan, pourquoi pas, mais cela n’est pas tombé du ciel pour Mike : il a su imposer sa force de caractère à Milan, s’imposant rapidement comme un des meilleurs gardiens du championnat italien. Qui sait ce qui arrivera dans le futur pour Lucas, l’avenir lui tend les bras ! Aujourd’hui, il montre qu’il fait plus que prétendre à l’équipe de France, il répète les performances de haut niveau semaine après semaine.
À propos de l’équipe de France justement, rester en Ligue 1 représente-t-il un frein pour devenir numéro 1 chez les Bleus ?
GW : Non, je ne pense pas que ce soit forcément un frein en tant que tel. Si Brice et Lucas ont l’opportunité de voir au-dessus, il ne faudra pas s’en priver. L’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, l’Espagne, force est de constater qu’au niveau européen, ces nations-là sont devant. Mais il ne faut surtout pas aller dans n’importe quel club, l’étranger, ce n’est pas forcément mieux.
SE : Je ne sais pas comment fonctionne le staff des Bleus, mais j’espère que jouer à l’étranger n’est pas un prérequis. La hiérarchie des gardiens dépend avant tout des cycles générationnels. Il y a beaucoup de super gardiens français dont la carrière n’a jamais pu décoller en équipe de France, car barrés par un autre goal de la même génération. Le meilleur exemple c’est Grégory Coupet, qui a toujours été dans l’ombre de Fabien Barthez chez les Bleus, malgré ses performances exceptionnelles avec le grand OL des années 2000. D’un point de vue générationnel, Chevalier, c’est un peu comme Maignan : il est le meilleur de sa génération, et c’est pour ça que tout le monde l’imagine comme futur numéro un. Maintenant, encore une fois, le Milan a sûrement été un accélérateur de développement personnel pour Mike, mais il a été chercher la reconnaissance lui-même.
Au vu de la longue liste de grands gardiens dans les deux clubs, y a-t-il une culture particulière du dernier rempart dans le Nord ?
GW : Oui, on a toujours eu de bons gardiens dans la région. Il y a une vraie culture du gardien de but. Il y a des amoureux des gardiens de but, dont on fait partie, qui permettent de perpétuer cette tradition.
SE : C’est vrai qu’il y a toujours eu des bons gardiens de but à Lens comme à Lille, mais je n’ai pas noté de place prépondérante donnée au poste. À Lille, ils font du très bon travail, mais je n’ai pas spécialement remarqué d’encadrement plus spécifique qu’à Brest, par exemple.
Le gardien de but a-t-il une approche particulière et différente d’un derby ?
SE : C’est évidemment un match très particulier dans une saison. Dans la ville ou à l’entraînement, on ressent la ferveur des supporters jusqu’à 15 jours en amont du match. Toute la semaine, le coach (René Girard) essayait de nous transmettre les valeurs du club pour aborder un match qui se jouera sur des détails.
GW : Ce n’est pas le même match. Tu as beau te dire que ce n’est qu’un match, que c’est un match comme les autres, mais en fait pas du tout. On change quand même nécessairement ses habitudes parce que toute la semaine, il y a une intensité au niveau des supporters, au niveau de la presse. En général, ça pique à droite, à gauche. Un derby, c’est une appréhension et un match particulier, et ça l’est encore plus quand on est gardien. Notre poste est toujours déterminant, mais sur ces matchs-là, on sait qu’il va falloir être bon, mais surtout éviter d’être mauvais. La pire chose qui puisse arriver, c’est d’être la cause de la défaite. Dieu merci, ça ne m’est jamais arrivé ! (Rires.)
SE : Chaque gardien a son approche mentale, mais personnellement, j’ai toujours pris ce genre de rendez-vous avec l’envie de bien faire, plus que la peur de rater. J’essayais toujours de me concentrer et de miser sur mes points forts, m’imposer dans les airs et capter les ballons aériens. Dans un gros match, on a coutume de dire que l’objectif du gardien est de rendre la cage plus petite pour l’attaquant adverse : mon objectif, c’était donc de me grandir au maximum.
S’il y avait un derby que vous garderiez en mémoire, ce serait lequel ?
GW : J’en ai deux. Le premier est celui en 1996-1997. On gagne 1-0 à Lens et on se sauve lors de la dernière journée. L’autre, je m’en souviendrai toujours. C’était avec Jacek Bąk, défenseur polonais. Il venait de perdre son papa juste avant le derby, et on jouait à Lille. Malgré sa peine immense, il a voulu venir jouer le match. On a réussi à gagner, et ça a été une très grande joie, malgré la souffrance. Bon sinon, on avait aussi perdu 6-0 dans un tournoi amical au Stadium Nord, mais ce n’est pas la peine de le mettre ! (Rires.)
SE : Je ne retiens pas d’anecdote particulière sur le derby, mais surtout un contexte particulier. Lors de mon passage au LOSC, on n’a croisé Lens que deux fois, lors de la saison 2014-2015. Cette saison-là, nous étions européens alors que les Lensois étaient promus et interdits de recrutement, ils évoluaient donc avec le même effectif qu’en Ligue 2 et sont d’ailleurs redescendus à la fin de saison. Le rapport de force était donc plus déséquilibré qu’aujourd’hui, avec deux clubs qui se tirent la bourre et jouent les premiers rôles au classement. On avait quand même fait nul à l’aller (1-1, 7 décembre 2014), mais ce que je retiens avant tout, c’est que Lens ne jouait pas à Bollaert, mais au Stade de France ce soir-là (NDLR : le Racing a disputé trois matchs à Saint-Denis lors de la saison 2014-2015, le reste au stade de la Licorne à Amiens, pour cause de travaux à Bollaert). Un match particulier, délocalisé et loin de la ferveur du Nord. Jouer ce match loin de la chaleur de Bollaert, c’était vraiment dommage.
Propos recueillis Victor Lamand et François Goyet