- Coupe du monde 2014
- Petite finale
- Brésil/Pays-Bas
Brésil, autopsie d’un fiasco
Alors qu'il doit bien jouer ce match pour la troisième place face aux Pays-Bas, le Brésil n'en finit plus de se demander comment il en est arrivé là. Comment il a pu essuyer contre l'Allemagne la pire défaite de son histoire dans sa Coupe du monde. Peut-être parce qu'il s'est vu trop beau, trop grand.
« Le Brésil, pays où l’avenir ne se réalise jamais » , une maxime que les Brésiliens ironiques sur eux-mêmes ont longtemps cultivée tout au long du XXe siècle. Le football est à ce sujet un bon révélateur paradoxal de la grandeur et de la décadence chroniques du Brésil. D’un côté, il y a les 5 couronnes mondiales qui en ont fait la nation n°1 du sport roi. Mais d’un autre côté, deux fiascos gigantesques à domicile et à 64 ans d’intervalle (1950 et 2014) ont rappelé impitoyablement à ce pays se croyant « grand » … qu’il ne l’était pas. En 1950, dans une euphorie démesurée, on construisit à Rio et à la hâte le plus grand stade du monde de 200 000 places : le Maracanã. Un gigantisme vaniteux censé offrir au monde entier l’image d’un pays aux allures nouvelles de grande nation phare. Problème : le Maracanã ne fut pas entièrement prêt à temps pour le Mondial débuté le 16 juin 1950… Qui plus est, tout le peuple brésilien s’était persuadé que sa Seleção serait championne du monde chez elle. Tout faux, là encore ! C’est le tout petit voisin uruguayen qui la battit lors du dernier match du tournoi final (1-2)… Le fiasco de 2014 fut donc la répétition cruelle du Maracanazo de 1950. En 2014, au Brésil, le drame de 1950 était bien présent dans tous les esprits, à tel point que Scolari décréta dès sa première conf de presse, juste avant le Mondial, que lui et ses joueurs ne répondraient plus jamais aux questions ayant trait à cet épisode.
Ces dernières années, le Brésil, considéré comme un des leaders des pays émergeants (les fameux BRIC, Brésil-Russie-Inde-Chine), se faisait fort de démontrer à nouveau au monde entier qu’il était devenu « puissance montante » . Tant du point de vue économique (7e économie mondiale en 2012) que du point de vue purement sportif. Après tout, la Seleção avait brillamment remporté la Coupe de confédérations 2013 chez elle et le peuple brésilien rêvait tout haut d’une sixième étoile devant couronner un grand pays censé être devenu grande puissance.
Plaire au peuple
C’était une illusion dans les deux cas : le Brésil n’était tout simplement pas tout à fait prêt à assumer l’organisation d’un grand événement sportif et la Seleção était trop dépassée pour assumer en 2014 un statut désormais usurpé de première nation du football. Le drame de Belo Horizonte a donc ravivé le vieux complexe national résumé dans la formule précitée « Brésil, le pays où l’avenir ne se réalise jamais » . En 2014, le Brésil nouveau étant censé être un Brésil conquérant (en économie comme en foot), la Seleção s’est alors soumise à la redoutable obligation de faire le jeu. Or, elle n’en avait pas les moyens ni les joueurs : aucun n°10 et aucun n°9, deux postes-clefs qu’on vénère au Brésil… On agonit Scolari de reproches alors que pour complaire à la vision offensive qu’on attendait de ce Brésil, il a renié ses vieux principes défensifs ! Ses principes défensifs qui avaient fait de sa Seleção 2002 (en 3-5-2) une équipe championne du monde car parfaitement équilibrée. En 2014, sa Seleção absolument pas paramétrée pour faire le jeu a explosé face à une Mannschaft revenue, elle, de son football champagne, mais inefficace en matière de palmarès. C’est une Allemagne cruellement réaliste en contre qui a puni le Brésil à Belo Horizonte. Symboliquement, pour rester fidèle à l’image d’une grande nation qui va de l’avant et qui attaque, le Brésil a joué portes ouvertes, comme on accueille le monde entier… La Seleção a péniblement atteint les demies pour finir 3e ou 4e. Le foot brésilien entretient donc la réputation d’une nation de foot appartenant quand même encore à l’élite mondiale. Mais c’est une vue en trompe-l’œil, comme son taux de croissance encore positif (+2,7) qui masque les stigmates bien réels d’un pays encore « en voie de développement » …
Les signes avant-coureurs…
On l’a oublié, mais Mano Menezes a été viré en novembre 2012 en partie à cause de son échec aux JO de Londres (le Brésil n’a jamais gagné la médaille d’or aux JO) : ce qui est en soi une aberration. Scolari lui a succédé. Felipão, c’est le militaire, le caporal-instructeur des opérations commando appelé en catastrophe en vue de 2014. On l’a appelé en désespoir comme on l’avait déjà appelé en juin 2001 à la suite de Leão pour le final périlleux des qualifications mal engagées du Mondial 2002. Scolari a donc bâti un commando parti pour disputer à la fois la Coupe des confédérations 2013, puis le Mondial 2014 : c’est pratiquement le même effectif qui a disputé les deux compètes. Pour cristalliser les énergies de ses joueurs, Scolari a aligné en Coupe du monde 2014 comme équipe type exactement la même qui a joué et gagné la finale de la Coupe des confédérations contre l’Espagne (3-0). Scolari, ce n’est pas un grand tacticien porteur de projets de jeu élaborés. Placé dans l’obligation de faire « bien jouer » son équipe, avec un style offensif et spectaculaire (à contre-courant, donc, de ses préceptes rugueux et défensifs), Felipão s’est servi de la Coupe des confédérations 2013 pour mettre en place une équipe résolument joueuse et conquérante. Et pour son plus grand malheur, ça a bien fonctionné. Fred a marqué et gagné une place d’intouchable. La stratégie de Scolari en 2013 était sommaire mais efficace : elle a été enrayée dans cette Coupe du monde dès le premier match contre la Croatie, où son équipe a été coupée en deux et a beaucoup couru de façon désordonnée. Or, Felipão n’avait pas de plan B ! Il n’avait qu’un vague système, avec les mêmes joueurs au registre équivalent pour tenter de l’animer…
David Luiz le symbole
Sans plan B, ne restaient plus que les grosses ficelles traditionnelles des tacticiens limités : les couilles ! Dans ce sens, David Luiz est un personnage résolument scolarien : pas un très grand joueur, mais avec une foi à déplacer les montagnes. David Luiz fut à la fois touchant et pathétique, courant infatigablement et de façon désordonnée aux quatre coins du terrain pour défendre, attaquer, tacler, relancer, colmater, encourager. David a été le héros d’une guerre perdue d’avance, abattu en capitaine Courage au champ d’honneur face à des Allemands impitoyables (le premier but de Müller sur corner est pour sa pomme) et trop heureux de profiter du positionnement anarchique du onze brésilien.
Autres grosses ficelles déployées directement ou indirectement par Scolari : le patriotisme (hymne chanté deux fois), la foi religieuse (presque tous les joueurs de la Seleção sont croyants, Athlètes du Christ, etc) et le dévouement-sacrifice (cf. David Luiz). Le petit Neymar (22 ans) a été intronisé « homme providentiel » par Scolari. Une erreur qu’Aimé Jacquet n’a jamais commise avec Zidane en 1998,la pression reposant d’abord sur les épaules des tauliers Deschamps-Blanc-Desailly… Le pire, c’est que Neymar a été très bon, en effet, mais il ne pouvait pas être, si jeune, le leader d’attaque, puis ensuite carrément le leader de jeu de cette sélection. La dramatique séance de tirs au but contre le Chili a signé aussi l’échec de Scolari, réputé pour ses méthodes de préparation mentale optimale. Face à la détresse de joueurs en larmes, il révélera imprudemment qu’une psychologue (Regina Brandão) intervenait en permanence auprès de ses joueurs. En soi, ce n’était pas une infamie. Mais dans un pays machiste et dans un sport de mecs, l’image de champions dévirilisés et maternés par une psy, ça la foutait mal pour un grand pays qui se rêve en très grand, en nation « adulte » …
Par Chérif Ghemmour