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Brahimi, par amour du dribble
Meilleur dribbleur et meilleur joueur africain de la Liga en 2013-2014, Yacine Brahimi étale désormais sa virtuosité sur les pelouses portugaises et européennes. Il marque, donne des buts et dribble encore et toujours. Retour sur l'ADN d'un joueur d'une complexité rare.
Quand on demande à Christian Gourcuff, actuel sélectionneur de l’Algérie, ce qui l’impressionne le plus chez Yacine Brahimi, il n’hésite pas une seule seconde. « Sa capacité à prendre l’adversaire à contrepied sur sa première touche. C’est ce qui s’exprime à la fois dans le contrôle orienté et le dribble. » Et de renchérir : « Très peu de joueurs sont capables d’éliminer leur vis-à-vis avec autant de facilité en un contrôle. » Et si l’on frappe à la porte de Michel Der Zakarian, entraîneur de Brahimi du temps où ce dernier avait été prêté par Rennes à Clermont en 2009-2010, le constat n’est pas différent. « Techniquement, ses prises de balle m’impressionnaient déjà beaucoup quand il était plus jeune. » De fait, il sont beaucoup à faire l’éloge du numéro 8 du FC Porto. Mais à chaque fois, les éloges sont centrés sur un point précis : la technique, le dribble. C’est que le feu follet algérien a toujours eu une relation particulière avec le ballon, qu’il a appris à tutoyer dans son quartier à Montreuil. « Tout a commencé dans la rue. C’est là-bas que j’essayais d’imiter les dribbles de Ronaldinho et Zidane, et d’en inventer quelques-uns à moi aussi » , raconte-t-il. Pour le Fennec plus ultra, rue rime donc avec technique. « Le seul truc en plus qu’un copain pouvait avoir en étant petit, c’était la technique, parce qu’à cet âge-là, les différences ne se font pas encore trop sur le physique. » Mais plus qu’une simple nécessité pour survivre dans le foot urbain, le toucher de balle et la créativité sont un vecteur de joie et de rêve. « Quand tu es petit, que tu mets un petit pont dans la rue ou que tu réussis un dribble, ça te procure un grand bonheur, pas comme quand tu… je ne sais pas… quand tu mets un tacle ou un coup d’épaule, ça ne fait rêver personne. » Une certaine vision du football. Une vision plus méditerranéenne qu’hexagonale. Depuis le début, le petit Yacine n’était peut-être pas programmé pour jouer en France.
Dribbleur collectif
Évidemment, le petit gamin qui essayait de traverser le terrain avant de marquer a évolué. « J’ai pris conscience qu’on avait beau être doué, voire surdoué techniquement, si l’efficacité était de mettre cette technique au service du collectif, ça ne servait à rien de dribbler dans tous les sens. Le but, je pense, c’est de démontrer ses qualités techniques en réussissant à faire jouer l’équipe, en marquant et en donnant des buts. En étant décisif, en gros. Parce qu’au final, c’est ça qui fait la différence entre les grands joueurs et les joueurs moyens. » Christian Gourcuff appelle cela « un dribbleur collectif, un peu comme Lionel Messi » . Mais cet idéal altruiste qui lui vaut d’être comparé au quadruple Ballon d’or n’a pas toujours été celui du Brahimi qui se faisait souvent réprimander par les éducateurs du centre de formation rennais, fous de rage quand ils voyaient leur petit génie choisir le dribble plutôt que la passe. D’autant qu’ils le savaient doté d’une intelligence tactique rare. « Il savait quand et comment se démarquer, mais aussi quand et comment donner le ballon à un coéquipier » , se souvient Patrick Rampillon, directeur de la formation au Stade rennais. Le choix du dribble était donc souvent celui de la gourmandise. En grandissant, Yacine a appris à contrôler cette envie maladive de dribbler, caractéristique des techniciens. Mais le vrai déclic se fait sous la houlette de Michel der Zakarian à Clermont. C’est en tout cas la théorie de Rampillon. « Quand il est revenu de son prêt, nous avions un tout nouveau Yacine à notre disposition. » Si l’entraîneur du FC Nantes se garde de s’en vanter (il préfère souligner « le talent d’un gamin bosseur et toujours à l’écoute » ), il a rapidement su déceler les forces et faiblesses du jeune professionnel qu’il tenait entre ses mains. « Quand il partait de trop loin, il perdait en force et en efficacité. Par contre, quand il s’évertuait à dribbler uniquement dans les 30 derniers mètres, il cassait les reins à tout le monde et, derrière, il pouvait mettre des frappes enroulées ou délivrer des passes décisives. »
« Un petit moteur »
Cette donnée soulignée par Der Zakarian a son importance. Si le milieu de terrain du FC Porto peut toujours travailler afin de multiplier les courses courtes pendant 90 minutes sur une saison entière, il n’est pas génétiquement taillé pour enchaîner les aller-retour d’un bout à l’autre du terrain comme peut le faire son marathonien de coéquipier Danilo. Christian Gourcuff le sait aussi, et c’est en partie pour cela qu’il préfère placer Brahimi juste derrière Slimani en sélection. « Dans notre système actuel, le faire jouer sur les côtés reviendrait à lui demander trop d’efforts physiques au risque de le griller, étant donné qu’il a un certain déficit de coffre. Par ailleurs, sur le plan du jeu, c’est une position qui lui permet d’exploiter au mieux ses qualités. C’est une zone dans laquelle il est à même de faire des différences dans ses prises de balle et ses passes. » Là encore, pas de traces du joueur typique de Ligue 1, ce championnat où tout le monde doit cavaler pour s’imposer (même Javier Pastore). À Rennes, Yacine Brahimi avait du mal à être constant. Il avait aussi du mal à ne pas se blesser. Étrangement, depuis que ses entraîneurs l’utilisent presque exclusivement pour attaquer et presser haut, l’Algérien est plus solide, plus tranchant. Christian Gourcuff ne veut néanmoins pas croire que la L1 n’est pas taillée pour le petit dribbleur. En revanche, il apparaît évident que le Rennes dans lequel ce dernier a évolué ne formait pas un environnement propice à son éclosion. « Yacine est un joueur qui a besoin de toucher le ballon et d’avoir une relation technique avec ses partenaires. Aujourd’hui, il joue à Porto qui est un club d’une dimension très supérieure sur le plan technique, ce qui favorise son expression. » Et demain, qui sait, il jouera peut-être avec les tout meilleurs.
Par William Pereira