Comment est né cet intérêt pour l’AJA ?
Mes grands-parents ont vécu des années à Tonnerre, juste à côté, mais je ne suis pas allé à l’Abbé-Deschamps quand j’étais enfant. Un de mes souvenirs les plus marquants reste pourtant la demi-finale contre Dortmund, ça reste une déchirure. Je suis très, très nostalgique de cette époque-là. J’avais lu un truc sur le fait qu’un des derniers matchs romantiques, c’était celui-là, car un club d’une ville de 40 000 habitants pouvait encore rivaliser avec des grands d’Europe. Ça s’est arrêté de manière inexorable ensuite. Ça m’a vraiment rendu triste, et ça m’a éloigné du foot.
Et le retour de flammes ?
Je suis ensuite allé au stade vers 20-22 ans. J’étais alors affectivement très lié au club, j’ai connu la génération des Cissé-Mexès-Boumsong, j’étais à leur match d’adieu, puis j’ai vu Auxerre décliner. Ce match d’adieu, c’était un anachronisme : voir des vedettes en train de partir, ça me bouleversait, ça disait un truc sur la marche du monde. Je le ressentais, et je me disais aussi que c’était une chance incroyable. D’autres gens devaient le penser, il y avait une sorte de nostalgie, mais je ne suis pas sûr que les gens l’aient formulé sous cette forme-là… J’étais là au match de la descente contre Montpellier, et idem, c’était une ère qui se terminait. J’étais triste pour le club, c’est une ville qui n’a pas beaucoup d’atout, pas mal de désindustrialisation et qui avait cette fierté. J’avais lu dans la presse que l’impact économique était loin d’être négligeable. Je me souviens de mon grand-père avocat en droit agricole, surpris et fier qu’un Parisien identifie sa région grâce au club.
Tonnerre est une histoire d’amours contrariés, le point d’un vue d’un rocker qui revient chez lui, dans l’Yonne, et dont le rival amoureux est un joueur du centre de formation…
Il y a l’idée qu’une jeune fille qui manque de confiance en elle est attirée par des gens qu’elle admire, un rocker, Maxime, et un footballeur, Ivan. J’ai connu cela, l’attraction que les jeunes footballeurs représentent sur les jeunes nanas, je l’ai subie. Mon rival était un Guyanais du centre de formation de l’AJA. J’avais fini par aller prendre un café avec elle et lui. Il était très sympa, il contrastait avec l’image du footballeur. Il voulait faire des études d’ingénieur en parallèle, il préparait son bac S, il disait que ça avait été très dur pour lui en famille d’accueil. J’avais aussi très envie de faire une scène dans le stade, filmer de vrais footballeurs, et du coup il y avait une évidence.
Le personnage d’Ivan, le footballeur, parle peu dans le film…
Il n’existe que visuellement, oui, on le voit, mais de loin, car l’histoire est vécue du point de vue de Maxime. Comme j’aime le foot, j’avais peur que le personnage du footballeur ne ressorte de manière trop négative, et que le film donne une mauvaise image du club alors que j’y étais attaché. J’ai donc un moment envisagé d’en faire un entrepreneur local, mais ma productrice m’a dit de garder le footballeur, et elle avait raison. À Tonnerre, celui qui peut rivaliser avec un rocker, à part le footballeur, il n’y en n’a pas beaucoup. Ça m’intéressait que ce soit une image, un fantasme, dans l’ombre, qui donne l’image de manipuler la fille qu’on aime, quand on est un musicien qui se sent trop vieux. La fille est une sorte de cure de jouvence pour lui, il se sent tout de suite plus en forme, plus jeune, plus séduisant. Du coup, face au footballeur, il ne peut pas rivaliser, car la dimension sexuelle est très forte, c’est super violent, peut-être le quitte-t-elle parce que l’autre est plus performant… Moi, ça me rendrait malade que ma copine ait été avant avec un footballeur ou me trompe avec un footballeur. Le corps de l’acteur qui joue le joueur, Jonas Bloquet, a quelque chose de sexuel, pas par la nudité car il n’est jamais torse nu, mais dans la manière dont il se tient, très droit.
Jusqu’à l’affrontement…
Un truc se dégonfle chez le joueur de foot, comme une baudruche. Menacé par une arme, dans un lieu clos, la supériorité physique se dégonfle. Je ne voulais pas en faire un lâche, mais quelqu’un qui réagirait comme n’importe qui. Il était important qu’il révèle une forme de noblesse parce qu’avant, rien n’est fait pour, c’est l’homme à abattre. Pour moi, le personnage acquiert tout à fait in extremis une vraie figure de personnage. Pendant longtemps, j’ai pensé à prendre un vrai footballeur pour jouer Ivan, mais il y avait deux scènes très difficiles, avec des enjeux émotionnels assez forts, et comme leur disponibilité émotionnelle n’est pas compatible avec leur emploi du temps…
Comment s’est passée la séance d’entraînement avec le groupe pro, sous la direction de Bernard Casoni ?
Ça s’est fait très vite. C’était après les fêtes de fin d’année, en plein hiver. Pour la reprise, Bernard Casoni, qui a été très ouvert, a fait des exercices pour nous, dont un toro, et il a accepté que le comédien évolue parmi ses joueurs. J’avais surtout peur qu’il en pète un, mais Jonas avait joué au très haut niveau jusqu’à 15 ans. Dans cette scène, ce qui m’intéressait était de voir son corps parmi d’autre corps. Dans mon cinéma, je ne suis pas dans le très gros plan, dans le morcellement, mais dans des choses d’ensemble, pas dans une sensualité du filmage.
Le premier joueur avec qui tu es entré en contact, c’est Hengbart…
Un habitant de Tonnerre m’a présenté à une nana dans un bar à Chablis, en me disant : « Elle, elle couche avec un footballeur black. » Sauf que le joueur, c’était Hengbart et la fille, c’était sa copine ! Les footballeurs, j’étais très intimidé de les rencontrer en chair et en os. On a fini par dîner avec lui et sa copine donc, et le mec était très intéressant, ouvert et réceptif. Je savais qu’Hengbart allait jouer une petite scène. Il m’a branché avec Vincent Acapandié, on a répété une scène chez lui avec une jeune nana, c’était génial, dans un lotissement à l’extérieur d’Auxerre, dépouillé, avec sono, table en verre, écran plat… C’était troublant parce que son intérieur ressemblait à ce qu’on attendait, sauf qu’il conduisait un pot de yaourt car il n’avait plus de permis. Au final, c’est Kapo qui a tourné la scène, et j’étais très content, il était très cool et très bon dans la scène, hyper à l’aise, mais il s’était fait lui aussi retirer son permis. Au club, ils n’y sont pas allés par quatre chemins : « T’as un blanc, faut un Africain… » Dans le groupe pro, il y avait 19 blacks. Je me suis vachement posé la question pour le rôle d’Ivan, mais ça aurait raconté quelque chose d’autre si un rocker blanc fracassait un joueur black. J’aurais joué avec un truc dangereux…
Alors, Tonnerre, un film entre Coup de tête et Two Lovers ?
Dans Two Lovers, il y a un vrai antagonisme, le mec de Gwyneth Paltrow est un homme d’affaires. Le handicap de son rival, Joaquín Phoenix dans le film, c’est qu’il est comme un ado, moins intégré socialement. Le côté Coup de tête est moins évident, l’AJA peut-être : j’ai pu tourner grâce à différents biais, dont le responsable de la communication du club, un type improbable, sympa et un peu loufoque, qui a adhéré au projet tout de suite. Il est vrai que l’autre enjeu du film, c’était que la scène du match soit crédible, et c’était inconcevable de le faire autrement que pendant un vrai match. Ça a été assez chaud à cause des droits d’image sur le terrain, il a fallu faire intervenir le président de la Ligue pour débloquer la situation, et puis se mettre sur la pelouse nécessite encore quelques autorisations avant ou après le match, mais au final, il ne reste que la magie du tournage : un steward, un photographe, deux-trois supporters, des joueurs qui s’échauffent, ça fait la blague. Au final, les scènes de foot sont limitées, tout ce que je voulais, c’est que ce soit des scènes les plus documentaires possibles. Je voulais que le joueur soit incarné visuellement, physiquement, socialement, par des petits détails. Les bagnoles de sport, c’est important : un rocker qui essaye de retrouver sa copine et deux grosses bagnoles de joueurs de foot qui démarrent devant ses yeux, c’est hyper violent, ça dit quelque chose du monde.
Propos recueillis par Brieux Férot
À voir : Tonnerre, un film de Guillaume Brac, avec Solène Rigot, Vincent Macaigne, Bernard Menez, Jonas Bloquet. 1h40. Actuellement en salles.
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