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Boycott des sponsors par Kylian Mbappé : quelles conséquences pour la FFF ?
Ça n’est en rien une « rébellion », et ce boycott n’a pas d’autre objectif que « de faire bouger les lignes ». Voilà en gros comment les proches ont communiqué au sujet de la décision de Kylian Mbappé de ne pas honorer les sponsors de l’équipe de France. Seulement, en agissant ainsi, l'attaquant parisien prend le risque de bouleverser une FFF déjà fragilisée par une accumulation de déboires.
« Cela n’a aucune conséquence pour l’avenir. J’ai confiance en lui. C’est un garçon brillant. Je n’en fais pas une affaire d’État. » Voilà comment Noël Le Graët, le président de la Fédération française de football, voit les choses. Pour lui, que Mbappé ne se présente pas à une séance photo avec l’un des sponsors de l’équipe de France, prenne le risque de se mettre en porte-à-faux vis-à-vis d’un partenaire et puisse aller jusqu’à remettre en cause un contrat n’est en rien dommageable. On est en droit d’en douter. Les recettes partenaires, c’est 90 millions d’euros par an, soit 37,5% des 240 millions de recettes annuelles de la FFF. En refusant de se présenter, et en remettant donc en cause le principe de la convention signée en 2017 avec l’équipe de France, qui régit l’exploitation des droits à l’image des joueurs, Mbappé bouleverse un principe de base qui assurait tout à la fois la rémunération des internationaux – 25 000 euros minimum par match – et la redistribution vers le foot amateur et le foot féminin.
Le droit est pourtant très précis
Mais l’attaquant parisien en a le droit vu la stature qu’il a acquise depuis quelques années. C’est un peu le paradoxe de l’individualisation du football, de la mise en avant des individus dans un sport collectif. À présent, la star peut passer au-dessus des lois et des règlements, s’arroger le droit de faire différemment et de prétendre à la distinction. En football, en tout cas pour ce qui concerne la gestion de l’image intraclub, les droits ont été légiférés en 1973, après la charte du football signée en présence de l’UNFP, le syndicat des joueurs.
Cette charte précise trois types de droits à l’image. Premièrement, le droit à l’image individuel, qui concerne le joueur seul, qui a la liberté de négocier, auprès de partenaires et de marques, des contrats sans entrer en collusion avec les sponsors de son club, sauf exception faite contractuellement. Il y a ensuite le droit à l’image individuelle associé à la structure sportive, qui permet aux clubs ou aux fédérations de mettre en avant leurs évènements avec l’image des joueurs. Comme une campagne promotionnelle de la FFF avec Kylian Mbappé ou Antoine Griezmann pour vendre les billets du match France-Côte d’Ivoire. Et enfin, ce qui nous concerne ici, le droit à l’image collective qui assure le club ou la fédération de pouvoir vendre l’image de ses joueurs auprès de marques et de partenaires. Mais ici, il y a des règlements spécifiques comme, par exemple, l’interdiction d’afficher moins de cinq joueurs lors des campagnes promotionnelles ou de mettre en avant un joueur en particulier. L’idée est que le club, ou la fédération donc l’équipe nationale, soit au-dessus et que ce soient les joueurs qui profitent de son aura. En échange donc d’une rémunération.
Sauf que quelque fois, certains joueurs n’acceptent pas cette façon de faire et souhaitent négocier eux-mêmes, et individuellement, ces droits collectifs, s’estimant lésés et, dans certains cas, perdants. C’est le cas notamment du litige entre les vignettes Panini et une dizaine de joueurs de Ligue 1 qui, de façon anonyme, auraient refusé que la marque italienne utilise leur image. Ou encore le cas de Zlatan Ibrahimović contre le jeu vidéo FIFA. Récemment, la star suédoise s’était insurgée contre la marque EA Sports qui utiliserait impunément son image sans qu’il reçoive, en retour, une rémunération à la hauteur de sa notoriété.
Sauf que c’est le droit, qui a été négocié et acté depuis longtemps. L’usage collectif de l’image permet la mutualisation alors que l’usage individuel permet la rétribution ciblée. Lorsqu’il s’agit de Panini ou de FIFA, on joue avec tous les joueurs, pas seulement Zlatan Ibrahimović, donc on négocie l’image non pas d’un seul joueur, mais de toute la communauté de sportifs. Une particularité existe néanmoins en ce qui concerne le joueur starifié sur la jaquette pour qui, ici, une négociation et un partenariat individuel ont été réalisés. En l’occurrence, en France, c’est avec Kylian Mbappé qui a bénéficié d’un accord sur ses droits à l’image individuelle.
Pas pour des raisons économiques
Et c’est ce même Kylian qui aujourd’hui cherche à remettre en cause la convention collective de l’équipe de France vis-à-vis des partenaires. Précisons tout de suite que, contrairement à d’autres, il ne s’agirait absolument pas de raisons pécuniaires. C’est là toute la différence. Selon la déclaration de ses proches, le joueur du PSG aimerait reprendre la main sur le choix des marques associées et ciblerait des entreprises durables et socialement acceptables. Ainsi, quid des sites de paris en ligne ou des enseignes de fast-food, pas vraiment en adéquation avec la nouvelle philosophie de Kylian Mbappé.
Cette démarche semble particulièrement louable. Mais elle risquerait d’altérer l’équilibre financier de l’équipe de France et de la Fédération. Après une tentative de plan social annulé par le tribunal administratif, un déficit enregistré en 2021 et une incapacité à trouver, pour le moment, un diffuseur pour les prochains matchs de l’équipe de France, cet énième épisode pourrait porter un coup économique supplémentaire.
Admettons que les propos de Mbappé soient entendus et que son statut de crack mondial lui permette de passer entre les mailles du filet et de s’éviter des événements avec les partenaires, comment réagiraient les marques ? Accepteraient-elles de signer des contrats avec une fédération qui serait incapable de lui apporter la star de l’équipe et de se contenter seulement des seconds couteaux ? Et quid des nouveaux contrats lors des négociations ? Si une marque veut s’associer à la FFF, elle exigera d’avoir l’assurance de pouvoir prendre en photo Kylian Mbappé ou alors elle refusera de payer la somme exigée par la fédération. Cette dernière risquerait alors de perdre en capacité lucrative, au profit de l’opinion reconnue des footballeurs.
Selon Gary Tribou, maître de conférences à l’université de Strasbourg en marketing et interrogé par France Info, « c’est une remise en cause assez fondamentale du foot business ». Il faudra dorénavant tenir compte des avis des joueurs et ne pas leur imposer telle ou telle marque, tel ou tel sponsor, telle ou telle pratique. Kylian Mbappé va vraiment tout bouleverser, juridiquement, économiquement et donc sociétalement.
Par Pierre Rondeau