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Bouka-Moutou : « La sélection m’a permis de découvrir ma famille »
Il y a quatre ans, Arnold Bouka-Moutou n’espérait plus devenir footballeur professionnel et s’imaginait vendeur. Aujourd’hui, il joue à Dijon en Ligue 1 et compte seize sélections avec la République du Congo, terre de ses ancêtres que le football lui a permis de fouler pour la première fois. Désormais, son après-carrière, l’arrière latéral gauche de vingt-sept ans la voit dans l’écologie. Récit d’un parcours initiatique.
Hé Arnold ! Si je te dis 31 janvier 2012, qu’est-ce que ça t’évoque ?La signature de mon premier contrat pro à Angers. Je m’en souviens bien. À l’époque, je suis à l’Amiens AC en CFA. Là-bas, ils disent Amiens Nord, comme c’est le club du quartier nord. Le championnat se passe bien. On est dans les premiers avec une bonne équipe. Début janvier, on joue contre la réserve du PSG. Ça se passe plutôt bien, on gagne 1-0. Je fais un bon match. Après la rencontre, je reçois un message vocal, mais je ne fais pas vraiment gaffe… On était en train de me tresser les cheveux. Dès que j’entends : « Monsieur Lablatinière, recruteur au SCO d’Angers » , je coupe la messagerie et je le rappelle direct. C’est peut-être ma chance ! Lorsque je suis revenu à Amiens Nord, mon objectif était de taper dans l’œil d’un club pro pour essayer de me relancer. J’espère qu’il va décrocher (rires). Il me dit qu’il a vu le match contre le PSG, qu’il est content de moi, qu’il aimerait me voir. Je fais trois jours d’essai, ça se passe bien. Je dois signer pour la saison suivante, mais deux trois jours avant la fin du mercato d’hiver, je pars m’entraîner avec Amiens, et là, il m’appelle : « En fait, tu vas signer tout de suite. Prépare tes affaires. » Je prends le premier train, et je signe dans la foulée.
Un soulagement ?À vingt-trois ans, je me disais que ça allait être compliqué. J’avais fait des essais un peu partout, ça n’avait pas trop marché. C’était l’année ou jamais, sinon je n’aurais pas continué dans cette voie. J’ai connu beaucoup de personnes qui ont fait des centres de formation, qui n’ont pas réussi à signer pro et qui jouaient dans des clubs de CFA ou national, voire en dessous. Ce n’était pas la vie que je voulais. Je me disais : « J’arrive à atteindre mes objectifs ou alors je reprends le cours de mes études pour travailler en suite. » Je ne voulais pas être entre les deux.
Si tu n’étais pas devenu footballeur, qu’aurais-tu fait comme boulot ?J’ai un bac pro commerce. J’avais commencé un BTS de management. À la base, je voulais travailler dans un magasin de sport. Maintenant, j’ai une tout autre idée de métier que je veux faire. J’aimerais bien bosser dans les énergies renouvelables ou dans l’écologie.
Pourquoi ?En août 2014, j’ai eu ma première sélection avec le Congo Brazzaville. C’était la première fois que j’allais en Afrique, la première fois que j’allais dans mon pays d’origine. Il y a des choses qui changent de la France. J’ai eu pleins de flashs, j’ai vu plein de choses à faire. J’ai un ami qui travaille dans les panneaux solaires. J’ai pris contact avec lui pour qu’il m’explique un peu comment il travaillait. J’aimerais bien faire quelque chose comme lui ou me mettre dans le tri des déchets, faire quelque chose qui puisse aider la population, et puis c’est mon deuxième pays.
Tu te sens plus congolais que français aujourd’hui ?Non, je suis un mélange des deux, mais je ne parle pas la langue, je la comprends « vite fait » . J’ai toujours vécu en France, je suis né en France, j’ai la culture française en moi. J’ai des habitudes de Français, et en même temps, mes deux parents sont nés au Congo. Je les entends parler la langue du pays chez moi tous les jours. Ils me racontent aussi comment était leur vie là-bas. En allant au Congo, j’ai vu des membres de ma famille pour la première fois à vingt-cinq ans. La France et le Congo sont mes deux pays. C’est indissociable. J’aimerais bien apprendre le lingala. Après, les gars en sélection m’apprennent quelques mots. Quand ils me parlent, j’essaie de leur répondre du mieux que je peux. Je sais qu’avec le temps, ça viendra. Je ne m’inquiète pas. Et puis à partir du moment où on arrive à se comprendre, c’est le principal.
Qu’est-ce que tu as ressenti au moment de fouler le sol congolais pour la première fois ?C’était super bien. Avant ça, c’était l’inconnu, même si mes parents m’en parlaient un peu, mais ça faisait des années qu’ils n’étaient pas repartis. Ça avait déjà beaucoup changé. En plus, j’arrive dans le cadre du foot. J’ai vu ma grand-mère pour la première fois. C’était un moment magique. Elle comprend le français, mais elle ne le parle pas. Mon cousin était là pour assurer la traduction en lingala. J’ai pu aussi rencontrer mes oncles, mes tantes. J’ai pu découvrir la ville de Pointe-Noire. La sélection m’a vraiment permis de découvrir ma famille et de penser à l’après-foot. Je pense que lorsqu’on revient là où tout a commencé pour ses parents, lorsqu’on sait d’où ou vient, on sait où on veut aller. En tout cas, je sais désormais ce que je veux faire de ma vie plus tard.
La première fois qu’on t’a proposé la sélection, qu’as-tu ressenti ?J’étais super content. J’ai eu la première convocation en mars 2014. C’était pour un match amical contre la Libye. Une personne de la sélection m’avait appelé pour me prévenir. Je ne savais pas si c’était sérieux ou pas. J’appelle mon père direct : « Je vais jouer pour le Congo ! » Être pro, c’était déjà magnifique, mais devenir international, c’est la cerise sur le gâteau. Mais une semaine avant d’y aller, je me blesse. Deuxième convocation, je me blesse encore une semaine avant : déchirure aux abdos. Je me dis : « Putain. À chaque fois que je dois y aller, il se passe un truc. » La troisième est la bonne. En plus, c’est l’année de la montée avec Angers. Jouer pour le Congo, c’est quelque chose de magnifique. On n’a pas tous les jours l’occasion de représenter son pays. J’étais super content et fier, mes parents aussi. Ils savaient que j’ai connu des moments difficiles lorsque j’ai quitté Épernay pour rejoindre Amiens en 2007, ça ne s’est pas très bien passé. J’ai joué en CFA et CFA 2. Mes parents étaient inquiets pour mon avenir. Au final, je signe pro. L’année d’après, on m’appelle en sélection. Je me suis vraiment accroché à mon rêve. Ça a marché. Je suis content et fier de ce que j’ai fait pour en arriver là aujourd’hui.
La première fois que tu as entendu l’hymne congolais ?En fait, je ne le connaissais pas. Là-bas, ils sont très patriotes. On jouait à domicile contre le Rwanda. Lorsque l’hymne a commencé, tout le monde s’est levé. La main sur le cœur. Quand j’y repense, j’en ai des frissons. Le stade est bondé, tout le monde chante à l’unisson. Quand c’est comme ça, on sait que rien ne peut nous arriver. On gagne le match, j’étais fier. Voir tous les petits avec le drapeau congolais. On était tous contents : « On joue pour la sélection, pour notre pays. On représente le Congo en Afrique et dans le monde. » Si on arrive à se qualifier pour une Coupe du monde… ce serait magnifique, spécial.
Comment se passe le rapport entre les expatriés et les locaux ? Vous n’êtes pas considérés comme des « babtous » ?
Non, ça va ! Parfois, ils blaguent parce que je ne parle pas la langue. Ils me charrient un peu, mais ça reste toujours bon enfant. Il n’y a pas de piques. On échange sur nos expériences. Ils apprennent de nous et on apprend d’eux. On n’a pas les mêmes conditions de travail. Ils ont même plus de mérite que nous d’être en sélection avec ce qui se passe là-bas, ce n’est pas facile. Ils montrent qu’ils sont au niveau et ça rend le Congo plus fort.
Tu fais partie d’une génération congolaise ambitieuse et performante. Vous avez atteint les quarts de finale de la Coupe d’Afrique. Comment perçois-tu les attentes des Congolais. Jusqu’où pouvez-vous aller ?On peut aller très loin. On sait qu’aujourd’hui les meilleures sélections africaines sont la Côte d’Ivoire et le Cameroun, ils l’ont prouvé. L’Afrique du Sud monte bien. Il ne faut pas oublier le Maroc et l’Algérie. Il faut prendre exemple sur elles pour avancer. Mais c’est vrai qu’en 2015, on a réussi à faire une bonne CAN. On est allés jusqu’en quarts de finale, alors que ça faisait plusieurs années que le pays n’avait rien fait. On fait partie d’une bonne génération. On a des joueurs qui évoluent à un bon niveau en Europe, mais aussi des joueurs locaux d’un très bon niveau. On a réussi à allier les deux. Durant la compétition, je crois qu’on avait 50-50 en joueurs locaux et en expatriés. C’est vraiment bien. Si on l’a fait une fois, même si on n’a pas réussi à se qualifier pour la deuxième CAN, il faut quand même s’appuyer là-dessus. Il faut toujours se remettre en question, surtout après l’échec qu’on a vécu contre le Kenya. Il faut qu’on gagne en régularité, en rigueur, qu’on se qualifie régulièrement pour la CAN et puis pourquoi pas aussi pour une Coupe du monde. Ça serait vraiment bien. Ça aiderait les joueurs, la sélection, le pays aurait une visibilité. Les gens connaîtraient un peu plus le Congo. On sait qu’en Afrique, le foot, c’est super important. Si on arrive à faire des bons résultats au niveau du football, les répercussions seront positives. Quand je pense à la CAN, c’était super bien. Une fois, à l’aéroport, on a été escortés jusqu’à l’hôtel. Il y avait un hélicoptère, c’était la folie.
Durant la CAN 2015, vous avez affronté l’autre Congo en quarts de finale. (Défaite 3-2) C’est un match particulier.C’est sûr, ce sera toujours un match particulier. En plus, j’ai vu dernièrement qu’on n’a jamais gagné en match officiel contre la RDC. En menant 2-0 à 20 minutes de la fin, on aurait pu le faire, mais après, comme je l’ai dit tout à l’heure, si on avait eu plus de rigueur et d’expérience, je pense qu’on aurait gagné le match. On sait qu’il y a beaucoup de rivalités entre les deux pays, mais nous, entre joueurs, sur le terrain, il ne s’est rien passé de mauvais. Le match s’est passé dans un bon esprit. Je pense qu’on a montré l’exemple. On peut s’entendre les uns et les autres. Ils ont gagné, félicitations à eux et tant pis pour nous. On prendra notre revanche plus tard.
Comment as-tu vécu la Coupe d’Afrique ?On était les petits poucets du groupe. On retrouvait le Burkina Faso qui a été champion d’Afrique aussi. La Guinée équatoriale : le pays organisateur et le Gabon qui était un des favoris du groupe. On arrive à faire premier en faisant un nul et deux victoires. On perd en quarts de finale. On a été sous le feu des projecteurs aussi parce qu’on avait Claude Leroy comme sélectionneur. On le surnommait Mister CAN. Il a beaucoup de Coupes d’Afrique à son actif. Ça a aidé d’autres joueurs de la sélection à progresser par la suite, donc c’était bien.
Comment est l’ambiance au pays en ce moment ?Il y eu les élections au mois de mars. J’y suis allé à ce moment-là. Les communications ont été coupées pendant les trois jours du scrutin. Aujourd’hui, il y a un président en place et on sait tous comment ça se passe. Après, les gens font comme ils peuvent. Chacun essaie de gagner sa vie. On sait qu’il y a des richesses. À ceux qui les détiennent d’aider aussi le peuple. Nous essayons de le faire à notre niveau. On les rend heureux avec un bon résultat, mais arrivé chez eux, ce n’est pas ça qui va les faire tenir une année ou toute une vie. On essaie de donner du bonheur aux gens, montrer le meilleur spectacle possible, pour qu’ils soient contents de nous voir. Les politiques nous aident bien au niveau football. Ils nous mettent dans des bonnes conditions. Donc s’ils le font pour nous, ils peuvent le faire aussi pour leur population. La balle est dans leur camp.
Propos recueillis par Flavien Bories