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Bouillon de sous-culture

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Bouillon de sous-culture

En pré-retraite à Irapuato, en D2 mexicaine, Cuauhtémoc Blanco a du temps à consacrer à quelques activités annexes. La dernière en date ? Acteur dans une telenovela. Reportage sur le tournage. Au-delà du kitsch.

Le cauchemar de toute décoratrice post-moderne se situe à Mexico, dans les studios de Televisa. Rideaux à fleurs hideux, profusion de porcelaines asiatiques en toc, tableaux de restaurants indiens cheap, ballons de l’America et des Chivas coiffés de casquettes, canaps hors-d’âge protégés de napperons en dentelle ou encore chandelier en or factice ; le panorama est chargé, surchargé. Un décor populaire, ultra-populaire, dans lequel se fond Cuauhtémoc Blanco, jogging noir à bande blanche et bagout de Mexicain d’en bas. A l’écran dans “El Triunfo del amor”, la telenovela qui anime les lundis soir des familles mexicaines, le milieu créatif est Juanjo Martinez, trentenaire toujours chez maman et pompier de profession. Surtout, c’est un homme à caser pour Doña Milagrosa (traduire : mère miracle), pas amatrice de l’ellipse au moment d’encourager le fiston : « Montre lui ce que sont les vrais hommes » .

Cuauhtémoc Blanco s’est pointé à 16 heures dans les studios de Televisa, la Mecque de la telenovela, et n’en sortira qu’à 23 heures, rincé. Son rôle n’est pas central, mais le footballeur ne fait pas non plus dans la simple “guest appearence”, au point de peupler 80% des épisodes. Une présence qui l’oblige à s’absenter tous les lundis d’Irapuato, son club de Liga de Ascenso (D2 mexicaine). Dans l’art de mal jouer des telenovelas, le novice s’en sort plutôt pas mal. « Non, je ne me suis pas préparé, mais je suis les conseils de mes partenaires. Par exemple, d’être spontané, de me comporter comme avec mes potes. Dans la rue, on me félicite pour mon travail » . Son partenaire et ami, Manuel Ibanez, ne se range pas à la vox populi : « Franchement, c’est un très mauvais acteur. Il fait tout à l’envie et notre rôle est de l’aider. Mais les gens l’adorent, c’est sa chance » . Et comme ses talents de comédien ne sont pas mis à rude épreuve… « Je ne veux pas qu’il joue, amorce Salvador Mejia, le producteur de la telenovela, je veux Cuauhtémoc, le personnage, qu’il porte son propre costume d’Astérix, qu’il parle et bouge comme Cuauhtémoc. Je n’allais pas en faire un acteur mélodramatique, ce serait trop éloigné de lui » .

Cette proximité entre Blanco à la scène et à la ville engendre ce genre de scène : après vingt secondes de silence, la promise de Juanjo dit oui à sa demande en mariage, explosion de joie des convives et l’idole mexicaine qui s’agenouille pour faire le signe de l’aigle, comme lors de chacune de ses célébrations de but. Pas dépaysé, le footballeur est aussi mis en scène dans une partie de foot de rue, avec en arrière-plan des figurants cantonnés à mimer un dialogue, façon “Hélène et les Garçons” ou feu “La Chance aux chansons”.

Les telenovelas de Televisa sont diffusées dans cent-trente pays. Un empire qui s’étend dans des contrées aussi diverses que la Chine, Israël ou l’Arabie Saoudite. Derrière le football, les dialogues emplis de clichés, les scenarii rocambolesques et leur lot de révélations sur des liens de parenté cachés ( « Pedro, je suis ta mère » ), sont sans doute le langage universel le mieux partagé. « Étant donné l’impact du football dans le monde, il nous paraissait intéressant de l’intégrer dans nos programmes » corrobore Salvador Mejia. Le décideur au teint bombardé d’UV ne cache d’ailleurs pas avoir recouru à Cuauhtémoc Blanco pour de simples raisons marketing : « Nous sommes toujours très attentifs à la cerise sur le gâteau. Le but est de capter la clientèle masculine. En moyenne, nos programmes sont suivis par 60% de femmes et 40% d’hommes » .

Une pin-up argentine et Florence Cassez

Mais pour parvenir à l’équilibre des genres, plus encore que la présence du numéro 10, il y a le cul de Dorismar. Présentatrice et comédienne, la pin-up argentine fait avant tout parler son corps. Expulsée des États-Unis en 2006 pour séjour irrégulier, elle avait contesté la décision, arguant que ses attributs physiques en faisaient une candidate au Visa sous le statut d’ « étranger à talent particulier » . Dans “El Triunfo del Amor”, Dorismar cherche à conquérir Cuauhtémoc. Ou comment renverser le conte de “La Belle et la Bête”. Dans son entreprise, l’ex-Une de Playboy Mexique débarque ainsi chez la belle-mère en nuisette, avec slip apparent et un bout de fesse qui suffirait à faire un sujet de couv’ d’Entrevue. Avant de rentrer en taxi… Dans la scène suivante, c’est un collant ultra-moulant qui doit convaincre le mâle de rester collé devant son écran.

Désiré par Dorismar, Cuauhtémoc-Juanjo est couvé par Carmen Salinas, 71 ans. Sorte de mix entre Jacky Sardou et Jacqueline Maillant. Icône populaire et fan des Chivas -elle a même écrit des chroniques dans un quotidien sportif-, elle excelle dans le rôle de mère de famille collée à ses fourneaux, étouffante admiratrice de ses progénitures mâles, comme le veut le canon traditionaliste des telenovelas made in Televisa. « J’ai dit à Cuauhtémoc de me parler comme s’il parlait à sa mère » . Plutôt crédible, car les deux sont partis des mêmes milieux défavorisés pour atteindre les sommets de leur spécialité, genre de parcours promus dans les telenovelas et affectionnés par le TF1 mexicain. « Jeune, je les regardais, se rappelle Cuauhtémoc. Ce sont des bonnes histoires qui passent dans la vie réelle » . En tout cas dans la vie de star d’un footballeur.

La bonne histoire du jour propose d’ailleurs au peu gracieux numéro 10 d’embrasser Dorismar. Histoire réelle toujours, Larissa Riquelme devrait rejoindre le camp de ses prétendantes en cours de route, même si sa participation reste à confirmer. Tout au long de sa carrière, la célébrité a ouvert à Cuauhtémoc les portes de quelques starlettes du petit écran, mais il jure n’avoir jamais abordé le thème délicat des scènes intimes. « D’ailleurs, au moment d’embrasser Dorismar je ne suis pas vraiment à l’aise, c’est mon côté timide » . Après avoir collé ses lèvres sur celles de l’Argentine, le scénario de la telenovela le contraint en revanche à s’extérioriser, jusqu’à conjuguer le ridicule au pluriel : main sur les lèvres, puis sur le cœur, il se penche vers le ciel au bord de l’évanouissement, tout en gémissant quelques onomatopées d’incrédule touché par la grâce de la bouche de sa prétendante. Les heures passant, la fatigue provoque quelques relâchements chez les acteurs. Une sale odeur vient parfumer le décor ultra-kitsch. « Je reconnais le fumet des viandes d’Irapuato » rit grassement Carmen Salinas. Les talents de Dorismar n’échappent pas non plus à la vieille actrice. A propos d’une part de gâteau engloutie par l’Argentine, Salinas clashe : « C’est très grand qu’elle dit, mais elle se la met dans la bouche » .

Sur le plateau, l’ambiance se veut toutefois plutôt studieuse. Entre deux prises, Cuauhtémoc signe des autographes ou donne des interviews. Et Carmen Salinas va même jusqu’à évoquer le cas Florence Cassez, cette Française condamnée à soixante ans de prison au Mexique, pour complicité d’enlèvement. Ce qu’elle a toujours nié. « Je suis convaincue de son innocence, clame Salinas. On se parle au téléphone, je l’aime beaucoup. J’espère que vous la sauverez » . Sauver des vies, c’est aussi pour cela que Cuauhtémoc a accepté de sacrifier tous ses lundis. Car entre deux rendez-vous avec des pin-ups, Juanjo part en mission avec ses collègues pompiers. Un rôle taillé sur mesure par Salvador Mejia, après avoir essuyé un premier refus de la star. « Les pompiers sont sans doute le dernier corps respecté au Mexique. Ça l’a convaincu » explique le producteur.

Mais Cuauhtémoc acteur, cela ne coulait-il tout simplement pas de source ? Depuis ses débuts, par ses célébrations, ses harangues du public, de l’adversaire, le vainqueur de la Coupe des Confédérations 1999 a toujours cultivé un style théâtral. « Non, je ne me suis jamais considéré comme un personnage sur le terrain, rétorque-t-il dans un maillot de la sélection mexicaine qu’il vient d’enfiler pour tourner la dernière scène du jour. Simplement, je n’aime pas perdre. C’est pour ça qu’on peut me considérer comme excessif dans mes réactions » . Reste que pour celui qui s’apprête à souffler ses trente-huit bougies semble se profiler une reconversion comme entertainer. Le lundi, après “El Triunfo del amor”, le téléspectateur mexicain peut ainsi continuer de passer la soirée avec “El Cuau”, en zappant sur Fox Sports. L’idole officie cette fois en qualité de présentateur de son propre show, calqué sur le principe de “La noche del Diez” de Maradona. « Ça m’a permis de gagner en confiance avec la caméra » . Question “Foot Culture” pour terminer : en quoi les métiers d’acteur et de footballeur se rejoignent-ils ? « Comme joueur, tu as la pression car tu dois être performant chaque semaine. Et avec la telenovela, tu dois avoir de bons ratings pour qu’elle se poursuive » . Jusque-là, “El Triunfo del amor” tourne à 30% d’audimat. La déco grand-mère fait encore recette. A moins qu’il s’agisse du cul de Dorismar…

Thomas Goubin, à Mexico

La lettre à Olise

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