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Bordeaux-PSV 1988 : Un contrat sur Tigana ?

Par Chérif Ghemmour
9 minutes
Bordeaux-PSV 1988 : Un contrat sur Tigana ?

Depuis 31 ans, le football français en est convaincu : le PSV Eindhoven, vainqueur de la C1 1988, a éliminé en quarts les Girondins de Bordeaux (1-1, 0-0) en détruisant Jean Tigana au match aller ! Une agression préméditée et exécutée à Lescure le 2 mars 1988 par l’horrible Hans Gillhaus. Et si toute cette histoire de « contrat » n’était en fait qu’une légende urbaine ?

On joue la 42ème minute d’un match diffusé en direct sur Antenne 2. Jean Tigana se fait durement sécher aux abords du rond central par Hans Gillhaus au niveau de la cheville droite. L’arbitre Dieter Pauly (RFA) sort un carton jaune pour le Néerlandais alors que le capitaine girondin gît au sol, en se tordant de douleur. Il finit la première période en claudiquant. A la fin de la mi-temps, Dominique Le Glou s’enquiert de l’état de Tigana qui sort du vestiaire en boitant : « Jean, comment ça va ? » « Ça va très mal » , lui répond-il en grimaçant… Or, le meneur de jeu bordelais s’en va jouer la deuxième mi-temps ! Le Glou est inquiet et demande des explications à l’entraineur bordelais, Aimé Jacquet, qui lui répond : « Jean a une petite entorse mais je pense que ça va tenir. Pas de problème ! » … Au coup d’envoi, l’évidence crève les yeux : Tigana est hors d’état de jouer !

Mais il va rester encore 15 minutes, en jouant sur une jambe. Puis il sera remplacé par Eric Péan. Le match se finit sur le score de 1-1. Au match retour à Eindhoven, Tigana, pas à 100%, ne jouera que le dernier quart d’heure du 0-0 qui qualifiera le PSV pour les demies… A ce stade des événements, plusieurs mises au point définitives s’imposent. Beaucoup prétendent que la blessure de Tigana a permis au PSV d’égaliser à 1-1. Faux ! Après le but magnifique de José Touré sur coup franc à la 21ème (1-0), Wim Kieft a marqué à la 40ème (1-1). L’agression de Tigana n’intervenant qu’à la 42ème minute. Qui plus est, à la 38ème, l’arbitre avait refusé un but sur une volée de Van Aerle au motif très contestable que Wim Kieft avait masqué Dominique Dropsy… Autres croyances tenaces : le coach du PSV, Guus Hiddink, a fait entrer Hans Gillhaus à la 11e minute à la place de Frank Arnesen pour qu’il aille agresser Jean Tigana, meilleur joueur bordelais. Une fois son horrible forfait accompli à la 42e, Hans-le-killer aurait été sorti par son entraineur, satisfait de la neutralisation du stratège girondin. Faux ! Gillhaus est entré en jeu car Arnesen avait été touché au genou au point de filer directement au vestiaire. De plus, Gillhaus a joué le match jusqu’au bout !

Et Tigana a repris le jeu…

L’arbitre avait-il bien agi en ne sortant qu’un jaune sur l’attaquant néerlandais ? Réponse en novembre 2019 de Philippe Fargeon, attaquant bordelais, entré à la mi-temps : « Evidemment qu’aujourd’hui, il aurait pris un rouge direct ! Mais à l’époque, l’arbitrage était très laxiste, les attaquants étaient beaucoup moins protégés. Au retour, à Eindhoven, j’avais un peu accroché leur capitaine Eric Gerets… Il m’avait dit : « OK, petit. Tu m’as raté, mais moi j’te raterai pas… » Les gars d’Eindhoven n’étaient pas des anges ! Mais le Bordeaux de Jacquet traînait aussi une sacrée réputation de jeu dur et à Lescure les Rohr, Girard ou Thouvenel avaient fait jeu égal en agressivité avec les Bataves… Une interrogation majeure très peu abordée demeure : comment Jean Tigana a-t-il pu reprendre le jeu alors qu’il était parfaitement inapte ? Cette interrogation peut engager la responsabilité d’Aimé Jacquet qui aurait du procéder au changement de joueur dès la reprise…

« Aimé Jacquet a du lui demander s’il pouvait être en état de jouer. Avec les soins, il a pensé que ça aurait été. Aimé mettait toujours les joueurs face à leurs responsabilités et Jeannot était un sacré compétiteur! »

Jean Tigana, qui ne parle jamais aux médias, a décliné poliment au téléphone notre demande courtoise d’entretien en novembre 2019… Ce sont ses deux anciens coéquipiers offensifs qui nous ont donné leur version de l’incident Gillhaus-Tigana. Jean-Marc Ferreri, d’abord : « Un contrat ?… Non, je ne pense pas. Gillhaus mettait la semelle, oui, c’est sûr. Mais, bon, Gillhaus était un attaquant et les attaquants défendent mal. Quant à la décision d’Aimé Jacquet de laisser jouer Jean Tigana, ben c’était notre leader, notre capitaine… Il n’a peut-être pas osé le sortir… » Philippe Fargeon, pas plus avancé, émet une autre hypothèse : « Aimé Jacquet a du lui demander s’il pouvait être en état de jouer. Avec les soins, il a pensé que ça aurait été. Aimé mettait toujours les joueurs face à leurs responsabilités et Jeannot était un sacré compétiteur ! Et sur cette histoire de contrat ? Je n’y crois pas… C’est surtout les propos de Ronald Koeman qui ont pu faire croire à ça… » Nous y voilà ! Car c’est à la fin mars 1988 que va vraiment naître « L’affaire Tigana » , deux semaines après l’élimination des Girondins à Eindhoven…

Ronald Koeman allume un incendie…

C’est dans une interview au magazine Sports International, et non pas lors de la conf’ d’après-match à Lescure, comme beaucoup de supporters bordelais le croient encore, que Ronald Koeman a mis le feu aux poudres. Le libéro du PSV s’y lâche en se félicitant du « coup mortel » (doodschop, en néerlandais) de son coéquipier Gillhaus sur Tigana.

« Avec ses déclarations, Ronad Koeman s’est discrédité auprès du club, de ses coéquipiers et du football en général. Il regrette profondément ses déclarations et fera une déclaration dans laquelle il présentera ses excuses à ses coéquipiers, au PSV et au monde du football en général. »

« Un geste qui nous arrangeait bien, qui valait son pesant d’or. Tigana était leur meilleur homme. Il a été éliminé pour le reste du match et n’a joué que 15 minutes au match retour. Le coup fatal de Gillhaus à Tigana a été magistral et cela nous a aidés à aller plus loin. » Ces propos accablants ont depuis ce jour laissé planer une préméditation ciblée de la part du camp PSV… Or, dès la parution de l’interview de Koeman ,la réaction du club d’Eindhoven est tout sauf approbatrice. Bien au contraire ! Le club condamne aussitôt son joueur à une grosse amende et le suspend carrément pour le match d’Eredivisie du 2 avril 88 contre Haarlem… Le manager général du PSV, Kees Ploegsma, est furax : « Avec ses déclarations, Ronad Koeman s’est discrédité auprès du club, de ses coéquipiers et du football en général. Il regrette profondément ses déclarations et fera une déclaration dans laquelle il présentera ses excuses à ses coéquipiers, au PSV et au monde du football en général. Pour ma part, je ne peux qu’ajouter que le PSV n’a jamais ordonné d’agressions volontaires. Nous ne sommes pas en faveur d’un jeu de provocation. »

Le président de la fédération néerlandaise, Jo van Marle, monte à son tour au créneau : « En cette période de vandalisme dans le monde du football, de telles déclarations sont incompréhensibles et, en tant que fédération, nous ne pouvons pas les ignorer » . Van Marle annoncera l’ouverture d’une enquête qui pourrait aboutir à des sanctions envers Koeman… En avril 88, Jean Tigana, qui parle encore à la presse, réagit aux déclarations de Koeman : « Malheureusement, la violence fait partie du football. Mais ce que je ne comprends pas, c’est que Koeman leur apporte la lumière. Quand vous êtes dans l’élite du football, vous devriez servir d’exemple pour les enfants… Dès le début, je savais que Gillhaus allait me créer des problèmes. On ne pouvait pas le voir à la télévision, mais je le sentais sur le terrain » . Le président des Girondins de Bordeaux, Claude Bez, évoquera sans trop y croire l’hypothèse d’une disqualification du PSV qui, au Bernabeu, ramène un nul miraculeux contre le Real Madrid en demi-finale aller (1-1).

La faute du Real Madrid ?

« Gillhaus ne voulait pas blesser Tigana. C’était vraiment idiot de la part de Ronald, cette stupide interview. »

Nouveau rebond ! L’UEFA, qui ne rigole pas, se saisit de l’affaire et convoque Koeman, Hiddink et quatre dirigeants du PSV à Zürich… Et la sanction tombe : trois matchs de suspension en coupes d’Europe pour « Robocop » (un des surnoms de Koeman), avec effet immédiat ! La condamnation vise en gros l’apologie de la violence dans le football. Mais après un recours express du PSV, la suspension est ramenée à un seul match et c’est des tribunes qu’un Ronald Koeman au supplice verra ses coéquipiers se qualifier pour la finale en éliminant le Real au Philips Stadion (0-0). En novembre 2019, la version de Hans Gillhaus nous aurait grandement éclairés. Mais, comme Jean Tigana, l’ancien attaquant du PSV ne parle jamais aux medias, malgré nos nombreuses sollicitations… Kees Ploegsma, aujourd’hui retraité, est revenu sur l’affaire Tigana-Gillhaus, qui le met toujours en colère : « Ce n’était absolument pas le style d’Hiddink de vouloir dégommer un joueur adverse. Jamais ! Je le sais : j’étais là, dans le vestiaire. Gillhaus ne voulait pas blesser Tigana. C’était vraiment idiot de la part de Ronald, cette stupide interview. Il a été suspendu au retour contre le Real et ça nous a pénalisés ! »

Wim Kieft, Soren Lerby et Hans Gilhaus

« Gillhaus n’est pas du tout un méchant, qui blesse les gens volontairement. C’est un attaquant, hein ! C’est une situation malheureuse, accidentelle. Gillhaus lui-même en a un peu souffert, il ne souhaitait pas cela. « 

Interrogés par nos soins il y a quatre semaines, les témoignages de deux grands anciens du PSV 1988, le gardien Hans Van Breukelen et le milieu Adick Koot, corroborent la version de Kees Ploegsma. Van Breukelen : « Gillhaus n’est pas du tout un méchant, qui blesse les gens volontairement. C’est un attaquant, hein ! C’est une situation malheureuse, accidentelle. Gillhaus lui-même en a un peu souffert, il ne souhaitait pas cela. L’affaire a été attisée par les déclarations de Koeman » . Adick Koot : « Gillhaus, je lui ai parlé de ça. Il n’y avait pas de contrat sur Tigana, pas du tout. Je revois l’action… Gillhaus était attaquant de pointe, il revient défendre sur Tigana. C’était notre façon de faire le pressing. Gillhaus fait un tacle, mais pas pour blesser Tigana. Il a fait ce qu’il a toujours fait : un joueur collectif qui venait défendre. C’est un fait de jeu : pas plus, pas moins. Pourquoi il y a cette histoire ? Parce que Koeman a dit « le tacle violent de Gillhaus nous arrangeait bien ». Et le Real a montré ça à l’UEFA : ils ont mis dans la tête de l’UEFA qu’il y avait un contrat sur Tigana pour suspendre Ronald Koeman. Et ça a été fait. C’était la force politique du Real Madrid, qui a beaucoup de pouvoir. C’est à cause de ça qu’on en parle encore à Bordeaux. » Son ancien coéquipier Wim Kieft jouera aux Girondins en 1990-1991. Une seule saison… A cause, peut-être, de cette satanée histoire de « contrat » dont on lui aurait trop rebattu les oreilles ?

L’incident Gilhaus-Tigana est à la 47e minute

47ème minute : Tigana se fait démolir la cheville droite. Seulement carton jaune pour Gilhaus !54ème minute jusqu’à la 58ème : Interview de Tigana à la mi-temps par Dominique Le Glou.

Dans cet article :
La masse salariale des Girondins de Bordeaux continue d’être encadrée par la DNCG
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Par Chérif Ghemmour

Tous propos recueillis par Chérif Ghemmour et Douglas de Graaf

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