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Bordeaux/OM, histoire d’un tabou…
Depuis le 1er octobre 1977, c'est toujours la même chose. Ça fait 37 ans, donc, que les Marseillais repartent de Lescure (puis Chaban-Delmas) – presque – bredouilles. Car depuis ce fameux soir d'automne, où ils l'avaient emporté 2-1 sur la pelouse de l'autre Vélodrome (buts de Marc Berdoll et Victor Zvunka, pour un penalty d'Alain Giresse), plus rien…
Que dalle, peuchère ! En championnat, soyons précis. Car si quelques mois plus tard dans la saison 1977-78, les Ciel et Blanc ont réédité la chose (2-0, en 8e de finale retour de Coupe de France), force est de constater que le temps passe, et que l’histoire se répète. Depuis 1945, même, serait-on presque tenté de dire, puisque l’OM ne s’est imposé qu’à quatre petites reprises sur les bords de Garonne (pour 31 défaites et 16 nuls). Pas de quoi défiler triomphalement sur le Vieux-Port. Non, pas de quoi. Même si l’on s’en défend actuellement, du côté du Centre d’entraînement Robert-Louis Dreyfus. « Je ne donne pas beaucoup de valeur à ce type de données, car chaque match est différent. On doit réagir immédiatement. On a un besoin impératif de gagner. Les matchs des années passées n’ont pas d’influence sur le comportement des joueurs. La nécessité de s’imposer est plus influente que le reste. » Du Marcelo Bielsa dans le texte. Un levier de décompression comme un autre, finalement. De dédramatisation, aussi. Sauf qu’au-delà de la simple rencontre, il s’agit de laisser les Girondins à distance, derrière, et de repasser Monaco, vainqueur de Caen (3-0), vendredi soir. Autant dire que l’enjeu n’est pas que symbolique, mais bel et bien majeur pour tous les protagonistes. Oui, mais la série incroyable des Marine et Blanc, on n’en parle pas. Ou peu.
Honneur, huis clos et banderoles
Tabou ? Peut-être, du côté de la Commanderie. Mais pas au Haillan. Même si là encore, on minimise sciemment l’impact de l’échéance, et de ses conséquences. « Il n’y a pas de volonté de rajouter de la pression, parce que l’enjeu comptable suffit à en mettre une nécessaire pour aborder ce match, prévient Willy Sagnol. On a besoin de ces points, comme face à Lens (2-1, 31e journée), pour continuer à espérer une fin de saison qualifiée de réussie, poursuit-il, calmement. Pas de volonté de dédramatiser non plus ; c’est juste que, comme face aux autres, ça ne représente que trois points à la fin. Et ce n’est pas parce que l’on va faire perdurer la série ce week-end qu’on va prendre six points sur ce match-là(…). » C’est clair, net et précis, pour celui qui confie malgré tout que ce rendez-vous est « l’une des premières choses » qu’on lui ait dites en arrivant au club. Un message transmis d’emblée par les supporters. « Pour eux, c’est très important, et c’est tant mieux. Donc, ça l’est aussi pour nous, parce que sans eux, on ne serait pas grand-chose » , explique le coach, qui était âgé de six mois lors du dernier succès de son adversaire…
Des fans, justement, pour lesquels ce record compte. Concernant un tabou dont tout le monde… parle ! Venus lors du huis clos la veille du match, les Ultramarines ont rappelé leurs idoles à leur devoir. Comme la saison passée. C’est dire… Un appel pour d’abord honorer l’invincibilité et fêter dignement cette dernière de l’histoire à Chaban-Delmas. Puis, choper une Europe qui tend encore ses bras, tandis qu’elle paraissait hors de portée il y a peu. Enfin, apporter une réponse aux homologues marseillais, lesquels ont bastonné sévère sur les réseaux sociaux dans la semaine, et sur banderoles, devant leurs joueurs : « 37 ans sans victoire, gagnez pour enterrer Lescure » . Tout le monde est prévenu. Tout le monde est concerné. Tout le monde sait. Le reliquat de la guéguerre Bez-Tapie n’est pas complètement obsolète. Le « Je t’aime moi non plus » , entre les deux clubs qui ont vu plus de soixante joueurs évoluer chez l’un, puis l’autre, dont plusieurs échangés ou transférés directement (dans les années 80), perdure. C’est pour toutes ces raisons que chaque supporter marine coche le rendez-vous en priorité, dès que le calendrier de la saison est dévoilé. En marge de certains anciens qui, eux aussi, restent scotchés au passé…
Personne n’a envie de passer pour un con
« Je ne sais pas pourquoi ils ne s’imposent plus ici… Je pense que Bordeaux est une terre maudite pour les Marseillais » , confie amusé Marius Trésor, joueur autrefois fiancé aux deux parties (de 1972-1980 à l’OM et de 1980 à 1984 à Bordeaux). La grande rivalité entre les deux présidents, Claude Bez et Bernard Tapie, a alimenté beaucoup de choses… car c’étaient des présidents à fort caractère, ajoute la légende. À cette période-là, les joueurs bordelais n’avaient pas besoin qu’on les motive, ils savaient qu’il ne fallait pas perdre… Et ça a perduré, sachant que derrière, ça continuera… » Ah oui, pourquoi ? Parce que les Aquitains sont plus forts ? « Non, je ne pense pas, mais mentalement, peut-être sont-il supérieurs à l’OM dans ce cas précis, avec ce passé. Et il faut se mettre à la place des joueurs bordelais qui perdraient… Si ça arrivait, ça risquerait de les poursuivre durant toute leur carrière… Alors qu’à Marseille, s’il y avait défaite, on dirait que vu l’histoire, ce serait normal. Mais bon, si on peut les écraser 1-0, ce serait bien » , ponctue avec chauvinisme le co-entraîneur de la réserve girondine. « Ce record à domicile est très important pour le public bordelais, acquiesce Nicolas Maurice-Belay. On dit souvent que c’est une ville qui est un peu soft, mais je peux vous dire que la semaine qui précède le Bordeaux-Marseille, c’est pas pareil ! Dès que je suis arrivé à Bordeaux (2007), je l’ai bien senti… Et on n’a pas envie d’être l’équipe qui s’est fait battre par Marseille à domicile ! Ils peuvent nous battre, s’ils le veulent, dans le nouveau stade, ce sera moins un problème ; mais ici, il faut conserver cette invincibilité. » Bref, personne ne veut passer pour un con. Mais année après année, bout à bout, chacune des deux parties est venue à bout d’un tabou qui ne l’est plus vraiment…
Par Laurent Brun, à Bordeaux.