Bordeaux, nouveau Lyon ?

Un hasard ? La France du Foot d’En Haut, via France Football, vient de sacrer Laurent Blanc meilleur entraîneur 2009 et Yoann Gourcuff meilleur joueur. Les signes tangibles d’un long règne “à la Lyonnaise” ? Rappelez-vous des plébiscites antérieurs : Aulas, Houllier (ou Le Guen), Duverne, Lacombe, Bats, Rémi Garde. L’aristocratie de l’OL s’imposait tous les ans au palmarès de l’excellence. Du passé ? Il faut croire. Aujourd’hui, le “modèle lyonnais” a laissé place au “modèle girondin” : Triaud, Blanc, Gasset, Bedouet (préparateur physique), Dropsy (entraîneur des gardiens), Battiston (centre de formation), Philippe Goubet (recrutement du centre de formation), Pavon (recrutement). La chaîne de commandement de la Division Aquitaine écrase par sa stabilité les errements des cadors tels que PSG, OM, Monaco et maintenant l’OL. Lyon secoué par la “crise” (9ème, un truc totalement inédit depuis longtemps), ça remonte symboliquement au Trophée des Champions 2008, perdu contre… Bordeaux. Comme une passation de pouvoir. La dynamique des titres engrangés (Trophée des Champions, Championnat et Coupe de la Ligue 2009) a fini de cristalliser le projet initié par Laurent Blanc : un groupe est né, un entraîneur s’est révélé, un club a pris son envol.

Le début d’un long règne ?

Le “projet bordelais” peut-il s’inscrire dans la durée ? Oui, sans conteste. Vu l’âge moyen des cadres qui amalgame expérience et jeunesse, un cycle d’encore au moins trois ans garantit les espérances d’un long règne. Aucun trentenaire ! Chalmé (29 ans), Carrasso, Diarra et Fernando (28 ans), Planus, Plasil, Wendel et Bellion (27), Cavenaghi (26), Ciani et Chamakh (25), Trémoulinas (24), Gourcuff et Gouffran (23). Pour entretenir la flamme, Laurent Blanc n’aura qu’à poursuivre l’incorporation progressive des jeunes talents formés au club (Saivet, Sané, Sertic, Traoré) ainsi que des recrues ponctuelles placées aux postes adéquats (Carrasso, Plasil, Ciani). Comme pour Lyon autrefois, la force actuelle de Bordeaux, et on ne le répète jamais assez, c’est l’émulation-concurrence qui tire le groupe vers le haut : tout le monde adhère au projet et a la garantie d’avoir un jour sa chance. Sané (22 ans), remplaçant au pied levé de Ciani contre Lyon, en est le dernier exemple en date. Qui connaissait Ludovic Lamine Sané ? Et pourtant, il a (presque) fait oublier l’ex-Lorientais. Comme pour Lyon et son immuable 4-3-3, les Bordelais, eux, n’ont plus qu’à se fondre dans le 4-2-3-1 présidentiel. Un moule tactique éprouvé et surtout animé par une pléiade d’internationaux, actuels ou anciens, ce qu’on oublie souvent de mentionner (Gourcuff, Carrasso, Diarra, Chamakh, Plasil, Cavenaghi, Fernando, soit la quasi-totalité de l’équipe-type). Sans compter les Bleus en puissance, comme Trémoulinas ou Gouffran et Ciani (sélectionnés Espoirs).

Une maîtrise collective made in MU ?

L’autre force qui se dégage du Bordeaux de Laurent Blanc, c’est le mélange efficacité-réalisme du jeu proposé. On le sait, les préférences du “Prez” vont plutôt au style du Barça et de Manchester United. Mais même si l’initiative offensive reste l’option majeure du jeu des Girondins, l’exigence absolue du “beau jeu” n’entre pas dans la mentalité de Laurent Blanc. Parce que le coach girondin est avant tout un disciple d’Aimé Jacquet : la gagne d’abord, qui repose sur les fondamentaux habituels (rigueur tactique, solidarité dans le pressing et engagement physique absolu). Ce qui n’empêche pas de marquer beaucoup de buts, parfois. Un des meilleurs exemples de “l’efficacité sobre” de Bordeaux, c’est le Bordeaux-Bayern (2-1) en Ligue des Champions. A l’inverse des Lyonnais ou des Marseillais, poussés “olympiquement” à toujours “faire le jeu”, marquer vite et éblouir, Bordeaux construit patiemment ses victoires. Contre le Bayern, même menés 0-1, les Marine et Blanc ont avant tout gardé le contrôle du jeu, et de la partie, laminant les Bavarois, les poussant à la faute (expulsions de Müller et Van Buyten, Van Bommel limite) tout en conservant une maîtrise totale d’eux-mêmes. Sans les deux penaltys ratés, l’addition aurait été plus rude. Même patience et destruction méthodique à Gerland. Avec une constante qui se perfectionne : ce jeu mi-long d’approche des buts fait de passes de 20 à 30 mètres dans le camp adverse. Un truc précis et de mieux en mieux maîtrisé qui exténue l’adversaire par sa précision et par les déplacements de joueurs toujours en mouvement. On sent l’influence de MU plus que celle du Barça.

Là réside le progrès tactique le plus intéressant, en comparaison avec le naufrage de Chelsea (0-4) : Bordeaux arrive enfin à imposer sa maîtrise collective au haut niveau. Si cette maîtrise souffre encore d’un déficit esthétique, c’est essentiellement dû à une question de vitesse d’exécution. Quand les automatismes, déjà forts, seront perfectionnés, on pourra sans doute voir les mêmes mouvements offensifs qu’à Old Trafford. A condition de garder Lolo Blanc et les joueurs-clés encore quelques saisons… Voilà. Bordeaux a l’occasion de faire le break en L1, avant la trêve (Bordeaux va à Montpellier, reçoit Lorient, va à Toulouse). 2010 arrivera avec les Coupes (de France et de la Ligue), occasions de faire tourner et de donner du jeu à tous ceux qui “ont à prouver”. A eux de saisir leur chance… Enfin, février et l’épreuve de vérité : les 8èmes de Ligue des Champions. L’Europe ne connaît encore que trop peu la force de Bordeaux. Tant mieux pour les Girondins : à eux de faire payer cher à certains adversaires qui les sous-estimeraient le prix de leur ignorance…