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Bordeaux-Lyon 99, le France-Croatie des Girondins
Avant de remporter leur cinquième titre au Parc des Princes, les Girondins de Bordeaux avaient dû affronter un redoutable Olympique lyonnais dans un chassé-croisé avec l'ennemi marseillais. Un match aux faux airs de demi-finale, réglé d'un « coup de fusil » signé Lassina Diabaté.
Ils sont nombreux à se rappeler ce soir du 29 mai 1999, quand un gamin de 17 ans nommé Pascal Feindouno avait offert le titre de champion de France à son équipe des Girondins dans les dernières secondes d’un match course-poursuite face au PSG. En revanche, ils sont peut-être moins nombreux à se rappeler que si l’issue de ce championnat a connu un climax digne des meilleures séries US, c’est aussi parce que les Girondins ont remporté une semaine plus tôt un match piégeux à Lescure contre l’Olympique lyonnais qui « montait en puissance physique et avait également des arguments à faire valoir » , assure Philippe Violeau, bien installé dans l’entrejeu lors du match. « On était en fin de championnat, avec une place à conforter, donc ça a été un match plus que disputé. »
De fait, si Marseille et Bordeaux se tirent la bourre pour la victoire finale (un point d’écart les sépare au classement), Lyon, planqué juste derrière, fait office d’épouvantail, n’ayant abandonné ses minces espoirs de course au titre que quelques journées auparavant face à… Marseille. Un 0-0 qui ne faisait l’affaire de personne, surtout pas celle de l’OM qui éprouvait alors toutes les peines à relancer correctement la machine dans une fin de saison éreintante. Même son de cloche du côté de Bordeaux, d’ailleurs. « Je me souviens qu’on était restés sur quelques contre-performances un peu plus tôt. On aurait pu se mettre à l’abri. Finalement, on n’a pas fait ce qu’il fallait, notamment face à Lorient chez nous qui était dernier du championnat. Le moindre faux pas était décisif pour l’une ou l’autre des deux équipes » , lâche Romain Ferrier, désormais entraîneur des U15 du Stade rennais. François Grenet enchaîne : « Quand on reçoit le troisième, on se dit que ça va être compliqué, qu’il va falloir s’arracher. » Surtout quand on sait que l’Olympique lyonnais avaient également tapé Marseille et Bordeaux en phase aller de championnat, à Gerland.
Un troupeau de bœufs et un miracle
D’après ce même Grenet, les Girondins avaient alors un rituel pour intimider leurs adversaires, comme une sorte de haka appliqué au football. « Tu le vois, le tunnel de Lescure ? On laissait partir les équipes devant, on se regroupait en haut du tunnel depuis le paddock et on faisait tout le tunnel en courant, en gueulant, en s’encourageant jusqu’à ce qu’on se positionne sur le terrain. Un troupeau de bœufs. Pour impressionner. Peut-être que les adversaires se foutaient de notre gueule, mais on voulait dire qu’on était chez nous et qu’il fallait venir nous secouer. » Peine perdue. Patrice Carteron, latéral droit de l’OL durant ce match, ne se rappelle pas d’une telle prestation depuis le Congo, où il entraîne le Tout Puissant Mazembe. La causerie d’avant-match de Bernard Lacombe, elle, avait bien été imprimée : « On savait que Bernabia et Micoud aimaient beaucoup rentrer à l’intérieur, à faire des une-deux dans l’axe pour aller chercher Sylvain Wiltord, par exemple. Pas des joueurs de débordement, donc on avait eu la consigne, en tant que latéraux, de leur offrir les côtés pour ne pas qu’ils puissent trouver les espaces pour nous déséquilibrer dans l’axe. »
Stratégie payante. Le match est aussi serré qu’un café sur la Piazza Navona et les machines à buts que sont Wiltord, Laslandes et Caveglia ne trouvent jamais la faille. « C’est vrai que ça n’avait pas été un match exceptionnel en termes de qualité de jeu, mais ça avait été très physique. Un match très fermé, très tactique, avec très peu d’occasions. Il y avait énormément de tension » , dixit Carteron qui avait pris un jaune ce jour-là. Puis, à la demi-heure de jeu, le temps se suspend quelques secondes. « Dans une saison, il faut parfois quelques miracles, explique Ferrier, un brin mystique. Parfois, on est frappé par le destin, et, ce jour-là, Lassina a été frappé par une touche de magie. »
« Il a fait une Thuram »
Lassina soit Lassina Diabaté, le milieu défensif des Girondins qui décoche une frappe aux abords de la surface qui vient se loger dans la lucarne de Grégory Coupet. Forcément, les Bordelais explosent. Dont Diabaté. « Quand j’ai marqué, Lilian (Laslandes) m’a dit ensuite : « Lassina, heureusement qu’on t’a attrapé après le but parce que tu serais parti faire le tour du terrain et tu ne serais revenu qu’une fois le match fini ! » » Au lieu de ça, Diabaté entamera une bourrée mythique avec Sylvain Wiltord et ses cheveux péroxydés. Ce « coup de fusil » comme le qualifie Carteron, François Grenet n’en revient toujours pas, entre deux fous rires : « C’était un milieu de devoir, Lassina, un super équipier qui marquait pas souvent parce qu’il faisait un peu les basses besognes. Il nous sort cette frappe de nulle part, sous la barre à trente mètres. Du gauche, en plus ! On lui disait : « C’est pas vrai ! Mais qu’est-ce qui t’arrive ? Il y avait une motte ou quoi ? » » Sentiment partagé par Romain Ferrier qui relate que Diabaté « arrosait souvent à l’entraînement. Le stade entier, mais jamais le but. Mais on ne peut pas le lui enlever : sa frappe est extraordinaire. On en rit maintenant, mais qu’est-ce qu’il a été important, ce but… »
Le principal intéressé, lui, confesse qu’il n’y a rien de miraculeux, de fantastique dans ce but, en bon travailleur de l’ombre qu’il était. Et ce, même s’il n’a planté que cinq buts dans toute sa carrière. « C’est la répétition des gestes. Avec Pierrot Labat, on avait l’habitude de me faire travailler devant une planche ce geste technique. Parce que pour moi, une frappe, c’est un geste technique. Faut la prendre au bon moment, au bon endroit du ballon. Je l’ai mis du gauche parce qu’à ce niveau, tu es obligé de travailler les deux pieds à l’entraînement. Donc j’ai eu de la chance, oui, mais c’était aussi du travail » , rembobine le milieu défensif ivoirien, qui conclut d’un humble « c’est un titre dans lequel tout le monde a participé et ça a été ma pierre à l’édifice » . Pour autant, le « geste technique » de Diabaté, Ô combien important, fait penser à un fait quelque peu similaire, survenu quelque mois plus tôt en France, dans une demi-finale officielle cette fois-ci, qui avait vu un certain défenseur international planter un extraordinaire doublé. « Il a fait une Thuram, un peu. Un mec qui n’a quasiment jamais planté de but dans sa carrière et qui se mue en vengeur masqué, en justicier ! » s’amuse encore Grenet. Qui redevient sérieux : « Ce but, c’était une sorte de délivrance. Ce match, on l’a gagné avec les tripes et le mental plutôt qu’avec la qualité de jeu qu’on avait affiché tout au long de la saison. »
Quand le déménageur se transforme en pianiste
1-0, le score en restera là. Tout sauf un hasard selon Patrice Carteron. « Je me rappelle que lors du 0-0 au Vélodrome, Marseille était très fébrile et qu’on s’était procuré les meilleures occasions. Alors que sincèrement, sur le match de Bordeaux, il n’y avait rien à dire : ils étaient solides défensivement, on n’avait pas réussi à se procurer d’occasions. Ils avaient vraiment mérité cette victoire. On sentait beaucoup d’enthousiasme dans cette équipe. » François Grenet, planté du côté de la rive droite bordelaise dans son bureau AXA, acquiesce. « Si on regarde l’équipe maintenant, on se dit que ouais, putain, on avait une bonne équipe. Mais sur le papier, en début de saison, au niveau des individualités, du prestige, des sélections, Marseille était la référence. Ou en tout cas mieux armé que nous. Ce qui a fait notre force cette saison, c’est qu’on avait un groupe extraordinaire, un état d’esprit fabuleux. On joue bien, on gagne. C’est ça qu’on veut, et le reste, on s’en branle. Et s’il n’y avait pas eu cette atmosphère, on ne serait jamais devenus champions. Clairement. Je souhaite à n’importe quel joueur de connaître cette plénitude. On avait cet état d’esprit rugby : les mecs qui déménagent les pianos et ceux qui en jouent, mais toujours en collectif. »
L’espace d’un instant, Diabaté aura donc tapoté quelques touches noires et blanches, ouvrant les portes d’un premier titre aux Girondins depuis douze ans. « C’est sans doute ce match-là qui nous a fait gagner le championnat plus que le dénouement magnifique qu’on a pu connaître à Paris » , confesse Grenet. Et fera rentrer Lassina Diabaté au Panthéon des Girondins, deux ans après son arrivée dans le Port de la Lune. Un statut qui d’ailleurs ne se flétrit pas avec le temps. Désormais dans l’événementiel avec sa société LD3, l’ancien milieu défensif avoue que « c’est le but qui me permet, encore aujourd’hui, quinze ans plus tard, de croiser des supporters dans les rues de Bordeaux qui me disent : « Sans ton but cette année-là, on n’aurait jamais été champions. Merci. » »
Par Matthieu Rostac