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Bordeaux, le premier amour impossible de Krychowiak
Ce samedi, Paris accueille Bordeaux au Parc des Princes. L'occasion pour Grzegorz Krychowiak de retrouver son club formateur, où il a laissé d'excellents souvenirs, mais jamais réussi à percer. Anomalie ?
« C’est quelqu’un qui a laissé de bons souvenirs ici, il était l’un des piliers du groupe qui a atteint la finale de la Gambardella en 2008, et humainement aujourd’hui, il manque à ceux qui ont participé à ce parcours. » Quand Cédric Carrasso ne s’amuse pas à lui couper la parole ou à lui piquer son téléphone, Grégory Sertic a le temps de parler de son ami Grzegorz Krychowiak, qu’il retrouve au Parc des Princes ce samedi. « Il est arrivé à seize ans et il ne parlait pas français. Ils étaient deux Polonais, dans la même chambre, mais son ami est resté à l’écart, car il ne faisait pas autant d’efforts que Grzegorz pour parler aux gens. Lui, il essayait en français et en anglais. »
Alors coach de cette génération qui finira en finale de la Gambardella deux ans plus tard, Philippe Lucas se souvient des premiers pas en France de l’international polonais.
« Andrejz Szarmach nous avait proposé deux jeunes Polonais, deux garçons bien éduqués, et pour parler plus précisément de Grzegorz, gros bosseur. » L’éducateur revoit un garçon qui sait rapidement maîtriser la langue de Molière, au point d’être apte « à décrocher un bac général avec mention quelques années plus tard. » Une intelligence qui se ressent non seulement sur les bancs du lycée, mais aussi la pelouse. Professeur de français bénévole de son nouveau pote, Sertic garde le souvenir d’un joueur « rapidement devenu essentiel dans l’équipe, au sein d’un milieu à trois avec Paul Lasne et moi. Grzegorz jouait derrière nous, en sentinelle. »
« C’est un bûcheron »
Dix ans plus tard, à Séville ou à Paris, le registre est semble-t-il resté le même.
« C’était déjà un six à l’ancienne : devant la défense, intelligent dans le placement, costaud dans les duels » , soutient Lucas. Un élément « qui savait ce qu’il valait, ce qu’il savait faire et ne pas faire. Donc il jouait simple, jamais il ne mettait en danger l’équipe, au contraire, il apportait un équilibre et permettait aux autres de se libérer, car ils savaient que Grzegorz était derrière. » Ses coéquipiers lui trouvent un surnom à sa mesure : la Bûche. « Car c’est un bûcheron, quelqu’un qui annihile les actions adverses, qui peut faire peur à l’adversaire et mettre de l’impact physique quand le match se durcit » , avance Sertic, citant « quelques gros taquets qu’il a envoyés » .
Mais son compère polonais n’est pas une brute épaisse, loin de là. « Il a de la technique, sinon Séville ne serait jamais venu le chercher hein. » Si le Polonais est un taulier de Philippe Lucas, il ne réussit pas à franchir le pas en équipe première à Bordeaux. Devenu international A polonais courant 2008, il intègre l’effectif professionnel girondin, mais n’y fait que des apparitions épisodiques, parfois en dépannant comme arrière droit. Et en fin d’année 2009, son agent Andrzej Szarmach et lui se résignent à un prêt deux étages plus bas, en National, avec le Stade de Reims.
Des regrets, des regrets
Il se retrouve alors avec Olivier Guégan, futur entraîneur du club en Ligue 1, et à ce moment dans sa dernière saison de joueur professionnel. « Il a rapidement pris sa place. Cela a été une saison charnière pour lui, car il a pu avoir du temps de jeu, participer à la montée en Ligue 2, alors que le National est un championnat très dur sur le plan athlétique. Pour un jeune joueur, il faut jouer pour progresser, il a eu l’intelligence de quitter un groupe pro en Ligue 1 pour avoir ce temps de jeu. » Reims promu, « La Bûche » prolonge le plaisir une saison de plus, avant d’aller poursuivre ses gammes à Nantes. Il accumule le temps de jeu, s’étoffe en tant que joueur pro, et revient donc aguerri à Bordeaux.
Mais à l’été 2012, il n’entre toujours pas dans les plans de Francis Gillot, et le milieu défensif s’en va, définitivement cette fois, direction le Stade de Reims fraîchement débarqué en Ligue 1. De quoi laisser des regrets à Philippe Lucas qui aurait aimé voir son protégé briller avec le maillot au scapulaire : « Il faudrait demander aux entraîneurs de l’époque en équipe première pour savoir pourquoi il n’a pas percé à Bordeaux. Parfois, les entraîneurs ont des idées bien arrêtées, des joueurs de prédilection, et Grzegorz ne convenait pas aux différents entraîneurs du groupe pro. Pour moi, il était prêt et ce n’est pas une surprise de l’avoir vu à un tel niveau à Séville ou à Reims. »
Un simple rendez-vous manqué ?
Avec plus de recul, Olivier Guégan porte un regard plus philosophe, car « ce n’est jamais simple de percer dans son club formateur, on y est rarement un premier choix, on doit s’imposer petit à petit. » S’il est persuadé que son ancien coéquipier reste frustré d’avoir terminé son histoire à Bordeaux trop tôt, l’ancien entraîneur de Reims pense que ce départ forcé a eu du bon, « car il a grandi plus vite, avec plus de responsabilités. » Philippe Lucas voit surtout dans cette éclosion loin de la Gironde une histoire de rendez-vous manqué. « Regardez Benoît Trémoulinas, sans Laurent Blanc, il n’est pas certain qu’il en serait là aujourd’hui. Il a eu la chance de tomber sur un entraîneur qui privilégiait la technique et l’apport offensif aux qualités défensives ou à l’apport physique. Grzegorz n’a pas eu cette chance. » À Bordeaux tout du moins, car la suite de son parcours est quasi parfaite.
« Rien ne me surprend dans sa progression, assure Guégan. C’est un joueur intelligent, très mature par rapport à son âge, donc il sait s’adapter, élever son niveau. » C’est plus la destination du joueur qui l’a surpris, car il le voyait plus « dans un championnat athlétique comme l’Angleterre ou l’Allemagne, moins dans un football très technique comme l’Espagne. »
Mais au final, Krychowiak a encore eu raison, car « il a continué à progresser, et a passé un énorme cap sur le plan technique » . Une fierté pour Lucas, car « quand un de nos jeunes fait une telle carrière, même ailleurs, cela prouve qu’on a bien fait le travail » . La belle histoire est encore loin d’être terminée selon Guégan. « Aujourd’hui, il a les qualités pour s’imposer à Paris. D’ailleurs, il n’est pas qu’un simple remplaçant, mais une vraie alternative à Thiago Motta. Un club comme Paris se doit d’avoir deux excellents joueurs à chaque poste, et je pense que Grzegorz n’a pas encore donné toute sa pleine mesure, il en a encore sous la semelle. » À lui de s’imposer dans la capitale, où il apparaît cette saison comme la vraie nouveauté dans un onze titulaire finalement très peu remanié.
Par Nicolas Jucha
Tous propos recueillis par Nicolas Jucha