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Bordeaux au taupe niveau

Par Mathias Edwards
9 minutes
Bordeaux au taupe niveau

Depuis presque deux ans, les Girondins de Bordeaux composent avec de nombreux problèmes de tuyauterie. Pas une semaine ne passe sans qu'une information, plus ou moins primordiale, ne fuite sur Twitter. Si officiellement, le club ne semble pas s'en inquiéter outre mesure, Jean-Louis Triaud a tout de même prévenu que si la taupe venait à être débusquée, elle passerait un sale quart d'heure.

« Il y a des gens dans le club, et malheureusement je n’ai jamais pu en attraper un – mais j’aimerais bien un jour parce qu’il s’en souviendra longtemps –, qui pour faire les beaux, ou pour faire ceux qui savent, donnent des infos. Si j’en attrape un, la porte sera grande ouverte et il la prendra à l’horizontale. » À quelques jours de Noël, sur le plateau de Girondins TV, Jean-Louis Triaud, comme à son habitude, ne mâche pas ses mots. Dans le viseur du président des Girondins de Bordeaux, les indicateurs qui fournissent des informations confidentielles à des twittos, qui s’empressent de les relayer sur le réseau social. Un problème qui cause des soucis au club depuis quelques mois, mais à propos duquel le dirigeant s’exprime pour la première fois publiquement. Car à l’approche du mercato d’hiver, le sujet est sensible au Haillan. Et @Diabaté33, le principal fournisseur d’informations non officielles, est dans les starting-blocks.

Huit sources, dont des salariés du club

Pour entrer en contact avec @Diabaté33, une simple conversation en DM, la messagerie privée de Twitter, suffit. Après un rapide échange, l’homme est d’accord pour discuter par téléphone, à la condition que ce soit lui qui appelle. En numéro masqué, protection de son anonymat oblige. Au bout du fil, @Diabaté33 est plutôt excité à l’idée de raconter son activité. Rapidement, le fan de l’ancien buteur malien des Girondins confie son âge, trente-quatre ans, et son prénom, Franck. Et ne se fait pas prier pour démarrer son récit. Présent sur Twitter depuis juillet 2013, « tout simplement pour échanger avec d’autres supporters de Bordeaux » , son existence virtuelle bascule à l’été 2015. « Un jour, j’ai sympathisé avec un salarié du club, qui me donnait pas mal d’informations à propos de ce qu’il se passait en interne, raconte tout naturellement notre homme. C’était un membre du staff de Willy Sagnol, qui est toujours au club aujourd’hui. Mais sans être un adjoint de Jocelyn Gourvennec, on parle de staff au sens très large. En tant que supporter assidu, je n’ai jamais compris pourquoi le club ne communiquait pas, ou très peu. Ça m’a toujours énervé. Donc je me suis dit qu’il fallait qu’on sache un peu ce qu’il se passe dans ce club. J’ai alors demandé à cette personne si je pouvais sortir certaines infos sur Twitter. Au début, il était réticent. Il me disait que ce n’était pas possible, que les gens ne devaient pas savoir ce qu’il se passait entre le staff et les joueurs. Et moi, je lui répondais que le grand public aimerait être au courant, parce que justement, le club ne communique pas assez. Il a fini par accepter, et c’est à partir de là que j’ai décidé de poster des informations. » Rapidement, le trentenaire se fait une petite notoriété au sein de la communauté des supporters bordelais. Malgré quelques ratés, comme l’annonce sûre et certaine de l’arrivée en Gironde du milieu de terrain tunisien Ferjani Sassi, qui évoluait à l’époque au FC Metz. Son « plus gros plantage » , souffle-t-il aujourd’hui. Mais le ton de ses tweets, sa capacité à répondre à tout le monde, ses révélations sur la vie du vestiaire bordelais et sa manie d’interpeller Nicolas de Tavernost, le président de M6, propriétaire des Girondins, plaisent. Si bien que rapidement, ses sources se multiplient. Aujourd’hui, Franck affirme en posséder huit, que ce soit des agents de joueurs, des salariés du club ou leurs proches. « Toutes mes sources sont des gens qui m’ont sollicité. J’ai beaucoup été contacté par les agents, qui essaient, par mon intermédiaire, de faire passer des informations concernant leurs poulains. Mais ce n’est pas mon but. Donc je ne sors jamais une info sans l’avoir recoupée et vérifiée, à la manière d’un journaliste. »

Des journalistes qu’il sollicite à l’occasion, comme le confie Frédéric Laharie, le responsable du service des sports de Sud Ouest. « @Diabaté33 m’envoie régulièrement des messages privés sur Twitter. Il est poli, donc il m’arrive de lui répondre par courtoisie. Ce qui est marrant, c’est que parfois il m’écrit : « Tiens, il faudrait que vous vérifiiez ça pour moi. » Donc il faut que je fasse attention, parce que si je lui dis quelque chose, je deviens la source et les rôles sont inversés. Il n’est pas journaliste, donc il n’a pas la même éthique que nous. Par exemple, il publie des choses que l’on sait, mais qui pour nous sont du off. » L’autre barrière qui empêche Franck d’être crédible au-delà de la sphère des supporters, est bien évidemment son anonymat. Pour un journaliste, il est hors de question de considérer comme une source sûre une personne qui publie sous pseudo, et qu’il est impossible de rencontrer.

Poko, Ménez et un dérapage

Malgré tout, le trublion est capable de coups retentissants. En mai 2016, c’est lui qui poste la fameuse photo d’André Poko vêtu d’un maillot de l’OM. Ce qui provoquera le départ du Gabonais en fin de saison, tant la colère des supporters bordelais à son égard était devenue insupportable à gérer. Quelques semaines plus tard, Franck réalise ce qu’il considère comme son plus gros coup, en annonçant que le club est entré en contact avec Jérémy Ménez. « On me prenait pour un fou » , se rappelle le jeune homme. Cinq semaines plus tard, l’ancien Milanais s’engageait avec les Marine et Blanc.

Mais, grisé par un succès qu’il ne maîtrise pas toujours bien, celui qui est désormais considéré par les fans bordelais comme une véritable mine d’informations se laisse parfois aller, quitte à dépasser les bornes. Comme lors de cet épisode malheureux, qui l’a vu annoncer le licenciement d’un kiné, alors que le principal intéressé n’était pas au courant. « Le pauvre l’a appris en lisant mon tweet, regrette aujourd’hui Franck. Le lendemain, il a demandé à la direction ce qu’il en était, et il s’est vu répondre : « Oui, c’est vrai que t’es licencié, mais on ne sait pas comment @Diabaté33 a eu l’info. » En publiant ce message, je ne réalisais pas que c’était aussi grave. Bien sûr qu’il m’arrive d’avoir des états d’âme. À chaque fois que je publie une information, je me pose la question des conséquences qu’elle peut avoir. Depuis cette histoire, je ne partage plus ce genre d’information, c’est trop brutal. »

Le coup de fil à Jean-Louis Triaud

Jusqu’en fin d’année dernière, les rapports entre @Diabaté33 – qui a ouvert un deuxième compte, @Girondinfos, consacré aux informations sur le mercato – et les Girondins sont distants. Franck annonce recevoir de temps en temps un DM du club, « pour me signifier qu’il n’apprécie pas mes agissements, mais toujours de manière cordiale » , rien de plus. Mais tout bascule en novembre 2016, lorsque Le Parisien lui consacre un papier sans l’avoir contacté. Intitulé « À Bordeaux, on chasse la taupe » , le court article fait paniquer le lascar, qui trouve que toute cette histoire prend des proportions trop importantes.

Persuadé que le club le recherche activement, Franck décide de prendre les devants. Et, en toute simplicité, passe un coup de fil à Jean-Louis Triaud. En numéro masqué, bien sûr. Et les deux hommes de converser durant 25 minutes. « J’ai été surpris qu’il m’appelle, rembobine aujourd’hui le président des Girondins.Il trouvait que cela allait un peu trop loin, il voulait se présenter. Je lui ai répondu qu’on était en démocratie, qu’il pouvait écrire ce qu’il voulait, que je ne pouvais pas lui interdire quoi que ce soit. De toute façon, je ne sais même pas comment fonctionne Twitter, ça ne m’intéresse pas. » « J’ai expliqué à Triaud que je n’étais qu’un supporter lambda, qui ne voulait aucun mal au club et qui avait compris que certaines choses ne devaient pas être mises sur la place publique » , avance de son côté le twittos, persuadé que le club pensait qu’il était en fait un ancien joueur des Girondins voulant nuire à l’institution. Alors qu’au vrai, il n’a rien à craindre de Jean-Louis Triaud. « Rien ne me gêne, hormis la calomnie et les informations inexactes qui pourraient porter tort au club ou à un joueur. Je n’ai aucun souci avec ses informations sur un éventuel repreneur, puisque cela ne peut être que du pipeau, étant donné qu’il n’y a strictement rien. Sur les problèmes de vestiaires, cela m’embêterait s’il y en avait beaucoup, mais ce n’est pas le cas. Donc je ne vois pas ce qu’il peut raconter d’intéressant. Sur les transferts, il m’a étonné sur un cas précis. Des gars du club m’ont dit qu’ils avaient lu qu’on s’intéressait à un joueur. C’était vrai, et on était très peu nombreux à être au courant de ce dossier. Là, à moins qu’il ait mis un mouchard dans mon téléphone, je ne sais pas où il a eu l’info. Mais il m’a aussi donné des infos qu’il n’a pas publiées, et je lui ai répondu qu’il avait bien fait, parce que c’était des grosses conneries. Ce qui n’est pas étonnant, si cela vient d’agents. » Ce qui agace le plus le propriétaire viticole, ce sont les fameux indics, plus que Franck. Les taupes. « Si ce sont des sources internes au club, mon rêve est d’en attraper un. Ce n’est pas d’hier, qu’on demande aux gars de fermer leurs gueules et d’être discrets. Mais il y en a toujours un qui a envie de faire savoir qu’il sait. L’orgueil est une belle connerie, qui fait faire n’importe quoi. »

Quelques jours plus tard, le 10 décembre, à la mi-temps de Bordeaux-Monaco, ce sont deux salariés du club, dont un stadier, qui se présentent face à Franck, en plein Virage Sud de la Matmut Arena. De plus en plus paranoïaque, @Diabaté33 est persuadé que quelqu’un l’a « balancé » en envoyant une photo de lui au club. Ce que réfute totalement un employé des Girondins : « Il fantasme complètement. Il est persuadé d’être anonyme, mais au club, tout le monde voit qui il est, c’est une figure connue chez les supporters. » Durant cette entrevue de trois minutes dans les tribunes du nouveau stade, les deux hommes conviennent de se revoir ultérieurement, dans un lieu plus propice à la discussion. En attendant, aux Girondins de Bordeaux, on assure qu’il n’y a « aucune enquête interne pour trouver la taupe. Le président Triaud a simplement envoyé un message, ce qui est logique dans n’importe quelle boîte. Cela ne nuit pas à l’ambiance au sein du club. C’est la vie d’une entreprise, il y a des gens qui parlent et violent leur clause de confidentialité » . Comme quoi, contrairement aux idées reçues, il se passe tout de même des choses aux Girondins de Bordeaux.

Dans cet article :
Bordeaux pourrait jouer à huis clos jusqu’à la fin de saison
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