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Bons baisers de Sofia
Didier Deschamps est formel, il ne cédera pas à la peur. La coriace Bulgarie, la première place du groupe qui ne tient qu'à un fil, la course tortueuse à la qualification au Mondial, rien de tout cela ne l'affole et ses Bleus sont confiants. Plutôt une bonne nouvelle quand on sait que le camp d'en face fait la grimace.
Les terrasses du boulevard Vitosha ont beau être noires depuis le début de la semaine, les habitants de Sofia s’y pressent plus pour profiter de l’été indien qui s’est installé que pour commenter le Bulgarie-France qui arrive. Car c’est peu dire que le match de ce soir ne fait pas bouger les foules et que la capitale bulgare ne vibre pas en attendant le coup d’envoi. En ville règne une sorte de résignation teintée d’ironie qui traduit ce sentiment général : l’affaire est pliée, la Bulgarie ne verra pas le Mondial. Alors oui, en jouant les apprentis sorciers avec son boulier et en ayant l’imagination fertile, il est possible de monter des scénarios qui conduisent les Bulgares dans l’avion pour la Russie, mais plus grand monde n’y croit.
Car même s’ils battaient les Bleus, les Bulgares se retrouveraient troisièmes en espérant un retournement de situation dingue lors de la dernière journée pour pouvoir passer. Bref, ils ne seraient pas beaucoup plus avancés, et les gens des Balkans ne sont pas du genre à tirer des plans sur la comète. Du coup, quand il a convoqué les médias vendredi après-midi au siège de la Fédération dans le quartier chic de Boyana au sud de Sofia, le sélectionneur bourru Petar Hubchev s’est retrouvé devant des rangs clairsemés. Pour se sentir moins seuls face à la quinzaine de journalistes présente, il avait même réservé une petite place sur le siège à côté de lui à son milieu buteur, Georgi Kostadinov. Et c’est habillé d’un incroyable survêtement du dimanche qu’il a débité une série de réponses résignées et fatalistes.
Hubchev le rigolo
Homme peu rieur, Hubchev n’a pas voulu entendre parler de la qualification et a éludé : « Ça ne dépend pas de nous, ça dépend des autres. Je ne fais pas des calculs. » Il a aussi enfilé son costume de père fouettard sans sourciller pour remettre à leur place ses joueurs bipolaires qui ont gagné tous leurs matchs à domicile et tout perdu à l’extérieur : « C’est le signe qu’on n’est pas une grande équipe. Jouer de la même manière à la maison et à l’extérieur, c’est la marque d’une grande équipe. » Quant à Didier Deschamps qui balance depuis quelques jours qu’il se méfie de la Bulgarie, Hubchev lui a offert une réponse brute de décoffrage livrée d’une voix sans émotion : « C’est un gentleman, mais si on gagne le match, je n’en aurai rien à faire de qui a dit quoi. Je suis concentré sur nous et le match, pas sur ce que pense l’entraîneur adverse. On gagne avec du travail et de l’entraînement, pas avec des paroles. Ça fait plusieurs jours que je n’ai pas ouvert le journal ni allumé la télé. »
À part ça, il jure n’avoir décidé ni de son capitaine ni de son onze de départ et a passé un quart d’heure à demander plus ou moins explicitement qu’on lui foute la paix, même pas amusé par le lion drogué qui sert de mascotte à l’équipe de Bulgarie et qui a interrompu le point presse sans prévenir pour venir prendre un selfie avec lui. Une scène qui a au moins eu le mérite de faire marrer ce grand enfant de Kostadinov, qui n’a rien à voir avec celui de 1993 – Kostadinov est un nom très courant en Bulgarie – et qui aimerait lui aussi qu’on arrête de le bassiner avec un match vieux d’un quart de siècle : « Chaque enfant en Bulgarie a grandi avec ce match dans la tête, mais ça me fait autant plaisir de battre la Hollande ou la Suède que la France. »
Zénitude
Après ce shot de joie de vivre, il fallait faire dix kilomètres vers le Nord et retourner dans le centre de Sofia pour se faufiler dans une salle du stade Vassil Levski et écouter ce que Deschamps avait à raconter. Et très loin du calme de la conférence de presse des Bulgares et de ses chaises vides, c’est à des dizaines de journalistes et à des caméras en pagaille que la Dèche a dû répondre avec un seul mot d’ordre : la sérénité. Pas question de faire référence aux fantômes de 1993 ou de dramatiser le moment en parlant match de la mort, Deschamps a joué la carte de la zénitude : « Je ne ressens aucune pression particulière.(…)Les joueurs ont confiance en eux, c’est important. Ce n’est pas en étant nerveux, anxieux ou en ayant peur que ça va être positif. Il y a beaucoup de sérénité et de tranquillité dans le groupe et c’est mieux comme ça. »
Également de la partie, Hugo Lloris a joué la même partition en évitant soigneusement de prononcer les mots « traquenard » ou « décisif » : « Il ne faut pas non plus créer une situation négative.(…)J’ai rarement vu un aussi bon état d’esprit dans le groupe. » Et pour ce qui est de la contre-performance face au Luxembourg, elle n’empêche apparemment personne de dormir : « Sur ce match, on a une grosse part de responsabilité. Ce qui est fait est fait, on ne va pas revenir dessus, on regarde devant. » Une confiance à toute épreuve, des idées bien en place et un adversaire qui n’y croit plus, les planètes semblent alignées pour que la France revienne de l’Est avec trois points, mais aussi avec une bonne douche. En effet, des trombes d’eau sont annoncées ce samedi soir pour le match, et le ciel de Sofia, comme s’il voulait pleurer la fin des ambitions bulgares, fera la gueule. Un peu comme Hubchev, en fait.
Par Alexandre Doskov, à Sofia
Propos recueillis par AD