- Culture foot
- La Lucarne, premier festival de films de foot
Bonello : « J’adore le foot, mais pendant 90 minutes »
Bertrand Bonello, réalisateur de L'Apollonide ou encore de Tiresia, c'est avant tout un regard. Un regard de cinéaste sur les objets de sa passion, comme le football, le beau et la réunion des deux : Andrés Iniesta.
Déjà, comment avez-vous accueilli l’idée de ce festival, La Lucarne, le premier consacré aux films sur le football, dont vous êtes le parrain (qui se tiendra du 4 au 7 avril, entre le Point Ephémère et le Max Linder) ?Je trouve l’idée plutôt réjouissante. Et puis, c’est toujours un plaisir d’être parrain d’une première édition. En plus, ce sont deux choses que j’aime beaucoup, et qui sont rarement rassemblées. Alors là, affirmer le lien avec un festival, c’est très bien, une belle initiative.
Les films sur le football ne sont pourtant pas toujours à la hauteur… Oui, c’est vrai que ce n’est pas toujours réussi. Pour les rassembler, je ne suis pas persuadé que le meilleur truc soit de faire un film sur le foot. C’est difficile. Il y a bien sûr des ponts qui existent entre les deux disciplines, entre le foot et le cinéma, l’art ou la culture, mais plutôt par le biais de ponts théoriques, ou de manifestations.
Que pensez-vous alors, par exemple, d’un film, disons théorique, sur le football, comme celui de Philippe Parreno et Douglas Gordon : Zidane, un portait du XXIe siècle ? L’idée de départ, de par le dispositif, montrer différemment le football, est formidable. Après, malheureusement, le film ne fonctionne pas vraiment, ça reste un peu un objet théorique. Alors c’est intéressant, mais se pose le problème de la durée. Le film est en temps réel, 90 minutes, et l’objet du film, c’est le temps qui s’écoule. Problème, on ne voit pas ce rapport au temps. Après ça reste quelque chose de neuf, un vrai regard, avec énormément de hors-champ puisque 92% du temps, Zidane ne porte pas la balle, étant donc par définition du hors-champ. On ne filme jamais autant, de manière aussi longue et spécifique le hors-champ.
Sauf depuis l’arrivée de Beckham au PSG…Ah, une petite vacherie. Je vois, très bien. Non mais Beckham, même quand il a pas le ballon, c’est un de ces joueurs intéressants à suivre. Il a quand même quelque chose de spécial, et ce coup d’œil. J’étais au match hier (avant-hier, ndlr) et, bon, j’étais isolé dans la cage visiteurs puisque je suis supporter du Barça. Il y avait quand même une ambiance assez électrique.
Et ce match alors, qu’en avez-vous pensé ? Disons que… Il m’a quand même semblé – après, on voit toujours un match différemment au stade par rapport à la télévision – que durant les vingt dernières minutes, et comme une nouvelle fois le Barça avait la mainmise sur le ballon, il n’y a pas eu pour son adversaire d’autres solutions que de durcir le jeu. Après, attention, je ne dénigre pas la performance des Parisiens. Ils ont effectué un début de match très dangereux, une vraie bonne demi-heure. J’étais de ce côté et les rares fois où ils se sont aventurés par là, on sentait bien que ça pouvait aller au fond. Ensuite, bon, il me semble quand même que les Barcelonais ont dominé, mais ils encaissent deux buts un peu… Enfin, le premier est hors jeu et le second est tout foireux.
C’est un peu un match à l’image de celui d’Ibra pour le PSG. Dominé dans le jeu, mais au final, il claque un but et une passe.Oui, c’est un peu ça. Mais je ne suis pas fan. Je ne sais pas… Il n’est quand même pas très élégant, voilà. Après, bon, il a un coup d’œil. Je reconnais volontiers son efficacité et son talent, mais je préfère le coup d’œil d’un Beckham, par exemple.
Celui qui a un regard d’artiste, et qui se gâche un peu à Paris, c’est quand même Pastore, non ? Il a effectivement un peu du mal à trouver sa place, c’est dommage. Il doit jouer milieu gauche, faire les efforts. Hier, il devait quand même défendre sur Alves. Qui a fait un sacré match. Incroyable. Le match parfait.
Hormis sa coupe, oui, rien à lui reprocher. Ah ben, il a perdu un pari, il assume.
Et d’ailleurs, pourquoi êtes-vous pour Barcelone ?Simple. Ma mère vit à Barcelone depuis une quinzaine d’années, j’y passe donc pas mal de temps. Et comme je pense qu’il faut toujours un peu être fan de l’équipe où on vit. Je suis donc pour Barcelone, et Nice, où j’ai grandi. Je garde en moi quelque chose d’éternellement adolescent par rapport au Stade du Ray.
Il faut effectivement toujours suivre un peu l’équipe de la ville où l’on vit, ne serait-ce que pour les discussions au café, le lien social…Il y a quelque chose de la proximité dans le football, oui. Et pourtant, je dis ça, alors que je vis à Paris et que je n’ai pas d’affection particulière pour le PSG.
Mais pas d’aversion non plus ?Non, même pas.
N’est-ce pas finalement très parisien, quelque part, d’avoir un rapport neutre au PSG ?Peut-être, oui. De toute façon, Paris n’est pas une ville de foot, pour vivre le foot. Quand on voit l’engouement à Londres, Milan, Rome, Madrid ou Barcelone… Nous, on n’a qu’un club, et on ne le supporte même pas totalement. D’ailleurs, ce n’est pas que Paris. La France en général n’est pas un pays de football. Et tant mieux peut-être, parce que dans d’autres pays, c’est quand même trop. Quand on voit les débordements. Moi, j’adore le foot, mais pendant 90 minutes.
Et l’objet de votre adoration ?Si j’étais un joueur de foot, c’est un peu con, mais je rêverais d’être Iniesta. Lui, c’est la beauté pure, la grâce.
Un autre aussi, qui représente la beauté, c’est peut-être Özil ?Ah tout à fait ! J’aime aussi beaucoup l’esprit. Mourinho sait quand même ce qu’il fait en l’alignant le plus possible.
En tout cas, depuis deux-trois ans, quand on parle de Messi, on rajoute souvent, comme un secret, « mais le vrai meilleur joueur, en fait, c’est Iniesta » . La vision de jeu d’Iniesta, sa technicité, sa recherche des angles : ce degré de compréhension du football… Et tout ça sans effort, en plus, on ne sent pas la force.
C’est presque une philosophie, d’être « Andresien » , avec comme dogme cet art d’éviter le duel… C’est ça. Hier, à un moment, quand il s’extirpe des jambes parisiennes, cet instant suspendu… Après Messi, j’ai eu la chance de le voir plusieurs fois au stade, il est proprement fabuleux.
On ne le verra peut-être pas au match retour ? Si, il devrait jouer. On parle de huit jours de repos. En tout cas, c’est un match aller retour de Coupe d’Europe, on sait ce que c’est. Tout est possible. Ainsi, je ne pensais pas que le Barça reviendrait avec autant d’éclat et de manière aussi indiscutable face au Milan. Bon, et là, je vois quand même mal le PSG…
En tout cas, sur ce match aller, ils se sont offert le droit d’y croire quand même, non ?C’est vrai. Cette victoire… Enfin ce nul… C’est un lapsus intéressant, tiens. D’ailleurs, pour eux, on dirait un peu qu’ils ont gagné hier. Alors que bon, à part les 20 premières minutes, ils n’ont pas non plus vraiment maîtrisé. Après, le but hors-jeu, ce n’est pas un scandale, c’est la vie du football. Et le but à la fin aussi, c’est la vie du football. Mais en tout cas, avec ce nul, ils doivent gagner au retour. Et le Camp Nou, c’est quand même spécial. Je vois quand même une expérience, un esprit plus fort chez le Barça. Je ne les sens pas perdre chez eux, il y a un savoir-faire, une cohésion totale de 90 minutes.
On en revient à ces fameuses 90 minutes, la durée d’un bon film ?Oui, c’est ma grande théorie sur le foot : il a remplacé le cinéma de divertissement. Maintenant le cinéma « blockbuster » , c’est quand même pour les adolescents. Donc le dimanche soir, quand tu veux te détendre, voir un bon film avec des stars et du suspense, ben tu mates un match de foot.
Festival La Lucarne du jeudi 4 au dimanche 7 avril à Paris. Toutes les infos, la programmation et le off, c’est par ici et nulle part ailleurs.
Propos recueillis par Simon Capelli-Welter