- Côte d'Ivoire
Bonaventure Kalou : « Je fais de la Realpolitik »
Élu maire de la commune de Vavoua en 2018, Bonaventure Kalou a de nouveau été plébiscité par ses administrés lors du scrutin local qui s’est tenu en septembre dernier. L’occasion pour l’ancien international ivoirien de tirer un premier bilan de sa nouvelle vie en politique. Mais pas que.
Bonaventure Kalou est un homme très pris. En plus de son poste de maire de Vavoua, l’ancien Élephant (51 sélections entre 1997 et 2007) préside également la Commission des arbitres de la fédération ivoirienne de football (FIF). Résidant à Abidjan, il se rend deux fois par mois dans sa commune pour veiller à la bonne avancée des travaux qu’il y mène. Nous le retrouvons à mi-chemin de son trajet, à Yamoussoukro, capitale administrative de la Côte d’Ivoire, « bien plus calme et où les Abidjanais se rendent le week-end pour se détendre ». Derrière les lunettes teintées, obligatoires par cette chaude journée ensoleillée de décembre, M. le Maire sort posément de son 4×4 et envoie son chauffeur acheter des poulets au marché voisin. En attendant de les jeter (vivants) aux caïmans qui vivent dans l’étang du palais présidentiel – une tradition dont raffolent les visiteurs de passage –, il serre les paluches qu’on lui tend et claque quelques selfies avec les curieux qui le reconnaissent. Et ils sont encore nombreux, preuve que la cote de popularité du « Maire Choco » est toujours au beau fixe. Une fois les crocos rassasiés, on le suit à l’ombre de la terrasse d’un petit maquis excentré, plus agréable pour discuter au calme et poser LA question rituelle : « Quelles sont les nouvelles ? »
En 2018, tu es élu par surprise avec un programme très ambitieux. Cinq ans plus tard, qu’est-ce qui a concrètement été réalisé ?
C’était difficile, car on fonctionne avec un budget très serré, autour de 230 millions de francs CFA (environ 350 000 euros, NDLR). L’allocation annuelle de l’État est insignifiante, donc j’ai dû me débrouiller en allant démarcher moi-même des partenaires privés, pour monter à 500 millions (environ 765 000 euros, NDLR), ce qui reste très peu, mais permet malgré tout de donner des petits coups de pouce symboliques, comme par exemple payer un frigo à une femme qui veut lancer un commerce. Concrètement, on a fait sortir de terre un hôpital dans le village de Déma, à la sortie de Vavoua. On a aussi réhabilité une dizaine d’écoles. Ça, c’était plus que prioritaire. Si je ne l’avais pas fait, on m’aurait attaqué là-dessus. Sur la fin du mandat, on a parachevé un tronçon de six kilomètres de bitume sur la route de Yamoussoukro pour éviter de devoir passer par Daloa, la grande ville voisine. Ça a permis d’aider à désenclaver la commune. Si on ajoute à ça le fait qu’on a aussi dégagé les petits magasins qui étaient construits de façon anarchique avant de les reconstruire proprement, c’est un ensemble de choses qui aident à changer le visage de la ville.
Quelles sont les priorités de ton nouveau mandat à présent ?
Avant tout, la santé et l’éducation. J’ai aussi toujours voulu construire une décharge moderne pour la ville et normalement, on va bénéficier de l’aide du ministre de la Jeunesse qui est également président du conseil régional et dispose de bien plus de moyens. En parallèle, on mène un grand chantier pour améliorer l’accès à l’eau potable. Il se matérialise par six forages dans différents villages environnants et le remplacement de pompes à motricité humaine par des modèles qui fonctionnent à l’énergie solaire.
Comment tes administrés perçoivent-ils le fait que tu résides à Abidjan et ne te rendes à Vavoua que deux fois par mois ? Cela ne provoque-t-il pas une forme de déconnexion vis-à-vis du terrain ?
Non, car au fond, ils savent bien que tout ce que je peux obtenir pour eux en matière d’accompagnement, je ne le trouverais pas à Vavoua. Je ne suis pas seulement maire, je suis aussi ambassadeur de la ville, peu importe l’endroit où je me trouve, donc ils ne m’en tiennent pas rigueur.
C’est plus simple de mener ce genre de projet quand on est une personnalité publique ?
Une chose est sûre, ça a aidé à mettre Vavoua sur la carte. Quand on parle de la ville aujourd’hui, on y associe forcément mon nom et ça aide à convaincre certaines personnes de bonne volonté d’accompagner certains projets. Mais finalement, c’est toute la communauté qui en profite.
Le slogan de ta première campagne était “Le développement n’a pas de couleur”, en référence au fait que tu étais un candidat indépendant. Désormais, il en a une puisque tu as rejoint le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti du président de la République, Alassane Ouattara. Comment cette décision a-t-elle été accueillie ?
Il y a forcément eu des critiques, mais c’est une décision collégiale que j’ai prise en accord avec les différents chefs de villages, dans l’intérêt de la municipalité. Je pars d’un principe très simple : je ne suis pas politicien à la base, je me suis engagé pour apporter un plus dans la commune de mes parents où les gens manquent de tout. Et si mon adhésion au RHDP peut aider au développement de Vavoua, en bénéficiant de davantage de soutien matériel et financier notamment, alors je ne vois pas où est le problème.
Ton père, feu Antoine Kalou, a jadis été candidat à la mairie lui aussi, mais sous l’étiquette du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), la formation historique de l’ancien président Félix Houphouët-Boigny. Pourquoi ne pas avoir suivi ses traces ?
Moi, je fais de la Realpolitik. Je me suis lancé la fleur au fusil avec des idéaux, mais la politique, c’est un monde impitoyable, donc si tu veux obtenir quelque chose, il faut faire, savoir, choisir. Je le répète, mon adhésion au RHDP n’a pas été une décision que j’ai prise seul, elle est le résultat de nombreuses discussions qui m’ont mené à rejoindre le parti lors de la dernière année de mon précédent mandat. Je le vois comme un échange de bons procédés. Eux aussi tirent un avantage d’avoir un nom comme celui de Kalou dans leurs rangs. Et si demain, je me retire de la politique, je sais que je serai droit dans mes bottes.
En attendant, tu as désormais un pied dans la politique politicienne. Qu’est-ce que ça change pour toi ?
J’apprends chaque jour et certains côtés me rebutent encore. La différence avec le football, c’est que la politique, c’est un monde cynique. En football, l’adversité s’arrête au terrain. Après un match, on se salue et on passe à autre chose. En politique, je constate et déplore que ce côté fair-play n’existe quasiment pas : même quand l’adversaire est au sol, il faut continuer à lui mettre des coups. Moi, en tant qu’ancien sportif, mais surtout en tant qu’humain, je pense qu’il ne faut pas user de tous les moyens pour parvenir à ses fins.
Il y a un peu plus d’un an, les élections à la présidence de la FIF ont été marquées par l’élimination de Didier Drogba dès le premier tour du scrutin, avec seulement 21 voix sur 130 en sa faveur. Comment sa candidature a-t-elle été perçue en Côte d’Ivoire ?
Je l’ai dit peu avant le vote en prenant mon propre exemple : le nom seul ne suffit pas à gagner une élection, que ce soit en Côte d’Ivoire, en Papouasie ou que sais-je, ce serait bien trop facile ! Si c’était le cas, Zidane serait président de la FFF, Ronaldinho de la fédération brésilienne et ainsi de suite. C’est vrai que ça peut aider, mais derrière le nom, les gens veulent t’entendre. Ils veulent savoir quel message tu veux faire passer et qu’est-ce que tu peux apporter concrètement, par rapport à ce que l’on a déjà. Je peux comprendre que de l’extérieur, on pense que le nom de Drogba suffise à le faire élire, même à la présidence de la République. Mais ce serait oublier que chaque corporation a ses propres spécificités et pour que les électeurs votent pour toi, il faut aller les voir, qu’ils s’identifient à toi. Moi, c’est ce que j’ai fait avec le mécanicien d’un garage ou le petit gars qui bosse au marché.
Mais Drogba, ça reste une immense star de l’histoire des Éléphants, comment ne peut-on pas s’identifier à lui ?
Tous les candidats avaient un bon programme, y compris lui. Peut-être qu’il n’a pas réussi à convaincre les présidents de clubs de le suivre, contrairement au vainqueur (Yacine Idriss Diallo, NDLR) qui était plus rassembleur et a réussi à pacifier le milieu qui était en crise. En tout cas, c’est ce que j’ai compris après. Avec Didier, on nous a prêté une rivalité parce que ça alimente les conversations ici, mais je crois qu’on peut être adversaires sans être ennemis. Après les élections, je suis passé à autre chose et lui aussi. On s’est recroisés et il n’y a pas de problème entre nous.
Après son élection, le président Diallo t’a nommé président de la Commission centrale des arbitres. Une décision qui en a fait bondir plus d’un, puisque tu n’as jamais été arbitre toi-même. Tu penses vraiment, comme tu l’as déclaré à l’époque, qu’il n’y a « pas besoin de faire Harvard » pour diriger une telle instance ?
(Rires.) Je t’explique de façon triviale : le président de la FIF ne peut pas nommer un président de club à la tête de la commission des arbitres, car cela reviendrait à être à la fois juge et partie. Moi, au vu de ce que j’ai fait à Vavoua, une ville de plus de 140 000 habitants, je gère de l’humain au quotidien. Et c’est un avantage pour une telle commission, car elle est réputée très problématique en raison des conflits claniques qui la caractérisent.
Donc ça fait sens de faire appel à un politicien pour gérer des affaires footballistiques ?
Oui, car il existe malgré tout des parallèles entre les deux mondes : il faut avoir du caractère, et savoir trancher dans le vif. Et comme je ne suis pas moi-même président de club, mon profil peut aider à pacifier la situation à ce niveau-là.
Quelle est la mission principale qui t’a été confiée ?
La formation des arbitres. L’arbitrage ivoirien a besoin d’outils didactiques pour lui permettre d’atteindre le niveau des pays de référence, notamment au Maghreb. Au Maroc par exemple, ils ont la VAR, dont nous ne disposons toujours pas ici. Pour l’instant, on travaille avec des formateurs locaux qui sont agréés par la CAF, mais au fil du temps, je compte faire intervenir des arbitres européens. Je suis d’ailleurs en contact avec M. Bruno Derrien que j’espère faire venir en Côte d’Ivoire après la CAN.
Avec ces deux mandats à ton actif, te voilà politicien confirmé. Ça pourrait nous donner un Kalou présidentiable à l’avenir ?
Où ça ? À la FIF ?
Ou ailleurs ! Comme on dit dans l’un de tes anciens clubs, « Rêvons plus grand » !
(Rires.) Moi, je n’ai qu’un objectif : qu’on remarque que les choses ont changé le jour où je quitterai la tête de la commune.
Tu y penses déjà, à ton départ ?
Le nombre de mandats n’est pas limité à l’échelle locale, mais je me dis que deux, c’est déjà bien, parce qu’au quotidien, c’est fatigant, surtout quand on doit faire la route tout le temps depuis Abidjan. Donc on verra, je ne suis pas comme Sarkozy qui pense à la présidentielle en se rasant, je n’aime pas me projeter, je me concentre sur mes défis au quotidien, au service de ma communauté. Pour ce qui est de la FIF, le président en place fait du bon boulot, et moi, j’apprends tous les jours, je suis à la bonne école. Et pour la prochaine élection présidentielle qui aura lieu en 2025, en tant que membre du RHDP, je ferai campagne pour le candidat qui représentera le parti.
Est-ce que ton parcours a inspiré ton frère Salomon pour se lancer à son tour en politique ?
Non, lui il fait autre chose. Il est rentré en Côte d’Ivoire et gère sa fondation, en plus de diriger une entreprise d’élevage de poussins qu’il revend ensuite à des éleveurs à Abidjan. Cela dit, on ne sait jamais. Avant, j’étais comme lui et j’ai fini par me lancer. En tout cas, il a les qualités requises pour devenir un bon politicien : du charisme et de l’empathie.
Tu pourrais, toi, tout lâcher demain et élever des poussins avec ton frangin ?
Disons que je n’ai plus peur de passer à autre chose. J’ai déjà vécu ma petite mort, qui est la hantise de tout sportif de haut niveau et j’ai mis du temps à trouver ma voie à l’époque. Quand la bulle du football éclate, on se retrouve seul à la maison et on s’emmerde, donc je comprends les joueurs qui se retrouvent en état de quasi-dépression après coup. Mais je sais aussi qu’on finit toujours par retomber sur ses pattes.
Propos recueillis par Julien Duez, à Yamoussoukro
Photos : JD & DR