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Bon sang, à quoi servent les statistiques dans le foot ?

Par Christophe Gleizes
Bon sang, à quoi servent les statistiques dans le foot ?

Elles sont partout, mais ne servent pas à grand-chose. Depuis 20 ans, les statistiques sont plébiscitées par tous les acteurs du ballon rond, et pas seulement les médias. Plongée dans l'univers de la fée mathématique, qui pourrait bien à terme supplanter le football, ses incertitudes et sa magie.

Auteur de 91% de passes réussies et d’une passe décisive, Jérémy Ménez s’est plutôt bien débrouillé en Ligue des champions face à Benfica. Du moins sur le papier. Sur le terrain en revanche, l’ancien de la Roma a grandement participé à la défaite du PSG, en affichant un comportement individualiste et blasé. À la fin du match, son presque homonyme et consultant au CFC Pierre Ménès ne s’est pas gêné pour commenter à ce sujet : « Cela montre bien que les statistiques, ça ne veut rien dire » . Vraiment ? Excusez-nous mais il y a de quoi se poser des questions, alors que nous en sommes régulièrement abreuvés pour un oui ou pour un non. « C’est comme Moutinho qui a fait un match moyen contre Ajaccio alors qu’il a touché 145 ballons. Il faut toujours regarder le match pour relativiser ces données » explicite son collègue Philippe Doucet, qui a été l’un des premiers en France à les populariser : « Je ne suis pas un fanatique mais, c’est vrai, nous utilisons de plus en plus de statistiques aujourd’hui. Au départ, nous avions un service en interne mais maintenant on trouve beaucoup de prestataires qui nous abreuvent de chiffres plus ou moins intéressants » .

« Pour moi, cela fait surtout un peu remplissage médiatique »

Aujourd’hui, les statistiques sont partout, avant, après, et pendant les matchs. On décortique le nombre de ballons touchés par un joueur, son nombre de tirs cadrés, les chiffres de la possession ou les chances de se qualifier. Longtemps marginalisées dans les journaux ou sur les écrans, il est maintenant impossible de passer à côté : « Leur utilisation est très récente quand on regarde l’histoire du foot ou l’histoire de la chaîne : à Canal, nous n’avons attendu 1999 pour vraiment mettre l’accent dessus. » Philippe Doucet s’en explique assez facilement : « À la différence d’autres disciplines comme le basket ou le baseball, le football n’est pas un sport naturellement tourné vers les statistiques. Dans le volume d’utilisation des données, il y a matière à comparaison, mais pas dans l’explication d’un match à travers les chiffres. Un match de basket est révélé par les statistiques. En football, si vous lisez purement et simplement les données brutes de la rencontre cela ne vous dit pas pourquoi un tel a gagné. » Très bien, c’est compris. Mais si elles ne dévoilent aucun secret, pourquoi dès lors les utiliser avec frénésie ? « C’est un outil comme un autre de compréhension du jeu, au même titre que la palette par exemple. Ce n’est pas un outil infaillible, loin s’en faut, mais cela permet d’expliquer le football de manière ludique. Son intérêt est d’abord là : je ne dirai pas que c’est drôle mais c’est divertissant, et ça change du commentaire classique. »

Plus qu’un facteur de compréhension du jeu, la raison d’être des statistiques est ailleurs, du moins selon Gilles Vervisch. « Pour moi, cela fait surtout un peu remplissage médiatique » , assène le philosophe spécialiste du foot, « à moins que je sous-estime le plaisir mathématique. On s’amuse à faire des statistiques comme on fait des sudokus, mais le problème c’est que l’on tombe rapidement dans l’abstraction. Il n’y a qu’à voir les pages de L’Équipe criblées de graphiques et de données chiffrées. » Une réalité que ne nie pas forcément Philippe Doucet, même si la question posée n’admet selon lui pas de réponse évidente. « Est-ce que ça remplit un vide ? C’est possible. Est-ce que l’on est obligés de faire des articles différents, en mettant en avant les chiffres à disposition, parce que les équipes et les joueurs sont de moins en moins accessibles aux médias ? C’est un autre élément » , nuance-t-il avant d’ajouter, la voix concernée : « Le chiffre ne dit pas tout. Aujourd’hui il y a un véritable abus dans son utilisation. »

« La statistique individualise l’analyse, c’est l’un de ses biais les plus évidents »

Si les deux hommes s’accordent sur la faillibilité des statistiques, il n’en demeure pas moins que ces dernières sont très pratiques pour les professionnels : « C’est vrai que d’un point de vue de la présentation, c’est rigolo. Cela donne un angle particulier, même si je ne pense pas que cela influe sur le cours du match » , explique le journaliste de Canal +. « Par exemple, si je dis que Monaco est toujours battu à Ajaccio, on le sait que ça va peser faiblement cette année. À la limite, pour un Saint-Étienne/Lyon, ça peut marcher, car il y a tout le complexe historique à Geoffroy-Guichard qui peut peser. » Conscient de cette dichotomie entre réalité et abstraction, Philippe Doucet s’emploie dorénavant, en plateau comme en match, à se limiter dans leur utilisation. Même s’il persiste à croire qu’elles peuvent venir souligner à l’occasion certains aspects intéressants : « Quand je commente des rencontres à l’antenne, j’essaie maintenant de faire des statistiques sans chiffres, du type : « Cette équipe attaque deux fois plus côté gauche… » Cela permet de caractériser scientifiquement des idées issues de l’observation et du feeling. Quand je constate un phénomène intéressant sur le terrain, je cherche une statistique pour étayer mon propos. Mais les chiffres découlent de l’observation, et pas l’inverse. »

Si la déontologie de ce dernier mérite d’être soulignée, il n’en reste pas moins que les statistiques ont un impact vérifié sur la réalité et les perceptions. « Sur les 20 derniers ballons d’or (1990-2010), on remarque qu’il y a seulement 3 défenseurs pour 17 attaquants ou milieu offensifs. On récompense avant tout ceux qui marquent des buts » , rappelle Gilles Vervisch, d’un ton dépité. Et notre spécialiste de pointer du doigt « l’individualisation de la performance » qu’entraîne malgré elle la mesure de la performance sportive par les mathématiques. Pourtant impliqués dans un sport collectif, les joueurs cherchent aujourd’hui à briller personnellement car ils savent que leurs performances seront disséquées, et que de bons chiffres feront parler. Une hypothèse confirmée par Philippe Doucet : « La statistique individualise l’analyse, c’est l’un de ses biais les plus évidents. Le fait de mettre régulièrement en avant des performances individuelles pousse les joueurs à briller pour eux-mêmes avant tout. » Au moment où le Ballon d’Or pourrait injustement échapper à Franck Ribéry pour échoir aux implacables chasseurs de buts que sont Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, la question de l’importance des chiffres se doit d’être posée. Alors qu’il a tout gagné cette année avec le Bayern Munich, comme Wesley Sneijder avant lui à l’Inter, le Français souffre de la comparaison purement statistique avec ses adversaires, qu’il a pourtant étrillés en compétition. Preuve, s’il en est, que les chiffres font désormais la loi.

« C’est un outil qui permet de se tromper le moins possible »

Si la popularité des statistiques sur les sites de paris en ligne s’explique simplement, on constate surtout qu’elles délaissent aujourd’hui le champ médiatique pour devenir des outils plébiscités par les professionnels du ballon rond. Un article très intéressant du Monde Diplomatique, publié en mars 2013, montre qu’aujourd’hui nous en sommes arrivés au point où pratiquement « chaque opération ou décision sportive se fait sur la base d’une analyse statistique préalable » . L’exemple d’Arsène Wenger, véritable précurseur, est à ce titre édifiant. En 2004, il cherche un successeur à l’immense Patrick Vieira, en partance pour Turin : il souhaite quelqu’un capable de courir de longues distances. Après avoir consulté sa base de données, l’entraîneur alsacien remarque qu’un jeune Olympien court en moyenne 14 kilomètres par match. Il s’agit de Matthieu Flamini, rapidement observé et qui signera plus tard pour une bouchée de pain. Mais l’article donne d’autres exemples tout aussi intéressants, comme celui de Roberto Mancini, fan invétéré du corner sortant. Après avoir disséqué près de 400 coups de pied de coin, le service de traitement de données de Manchester City convainc finalement le coach italien, longtemps réticent, que l’option la plus « productive » reste le corner rentrant. Le but décisif de Vincent Kompany, marqué dans le derby contre Manchester United en mai 2012, devra beaucoup à cette analyse.

Recruteur au LOSC, Georges Heylens sillonne la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne depuis trois ans. Contacté au téléphone, il a accepté de nous en dire plus sur la prévalence des chiffres dans le football moderne. « Les statistiques c’est très important, dans notre métier on ne peut pas tout voir. C’est presque une obligation, si on ne les regarde pas, on fait mal son travail car c’est un outil qui permet de se tromper le moins possible. » D’autant plus que pour des transactions qui se chiffrent en millions d’euros, le droit à l’erreur est limité. « On fait en sorte que les rapports écrits soient les plus complets possible. Au départ, on regarde surtout quels sont les postes à pourvoir et on essaye de trouver les gens susceptibles de renforcer l’équipe. Dans une seconde phase, on va essayer de récolter tout ce que l’on peut trouver sur les joueurs qui nous intéressent, on sélectionne les meilleurs profils et ensuite seulement on se déplace pour les observer. » Et l’ancien international belge de conclure à ce sujet : « Même si elles constituent un argument important, on sait que les statistiques ne sont pas infaillibles, c’est justement pour ça qu’on se déplace, pour vérifier leur vérité. Avant d’être recruté, un élément aura au moins été observé cinq fois par cinq regards différents. » De quoi allier efficacement instinct humain cher aux techniciens et fiabilité scientifique propre aux mathématiques.

« Comme si le sport était écrit à l’avance »

Si les statistiques déterminent aujourd’hui les décisions sportives, elles pourraient même rapidement prédire l’avenir. Le très sérieux centre international d’études du sport (CIES), basé à Neuchâtel, érige depuis plusieurs années un modèle scientifique censé deviner à l’avance les champions de chaque pays . « Je lis beaucoup ce que fait le CIES, ils apportent énormément de statistiques intéressantes sur les mouvements des joueurs ou leurs nationalités etc. Mais très sincèrement, je pense que leur démarche de deviner les champions est seulement motivée par la fait qu’ils ont besoin d’un peu de presse et de notoriété » , prévient en préambule Philippe Doucet. Structuré autour de trois axes de données (la pratique, l’expérience internationale et la stabilité de l’effectif), ce modèle a déjà fait ses preuves lors de la saison 2010/2011, où ils avait correctement annoncé les titres de Manchester United en Angleterre, du FC Barcelone en Espagne et surtout du LOSC Lille métropole en France… Avant de signer un triste zéro pointé en 2011/2012, excusé sur leur site par un communiqué : « Dans l’ensemble, ce bilan montre que l’analyse statistique de la composition des équipes en début de saison à des fins prédictives permet d’obtenir d’assez bons résultats. Cependant, il indique également que de nombreux autres facteurs, dont certains non modélisables, devraient être pris en compte pour déterminer les équipes gagnantes avec plus de précision. » Pour cette saison, les prévisions du centre ont tablé sur le PSG, Manchester United, le Real Madrid, le Borussia Dortmund et la Juventus Turin. Le résultat final s’annonce d’ores et déjà mitigé.

Interpellé par la démarche du CIES, Gilles Vervish s’insurge contre ces pratiques qui vont à l’encontre de la glorieuse incertitude du sport. « Moi ça me fait penser à Sartre quand il explique que pour gagner, il faut d’abord avoir eu la possibilité de perdre. Ce qu’on aime selon moi dans le foot, c’est l’incertitude, le suspens, les petits poucets qui font des exploits en Coupe de France. Se fier exclusivement aux statistiques, c’est réduire la beauté du foot et lui retirer son intérêt, en même temps que notre libre-arbitre » . Le chroniqueur à France Inter, qui avait déjà critiqué le règne statistique dans un billet remarqué, s’offusque de voir son sport préféré transformé en une discipline lisse et policée : « En essayant de soumettre le sport aux lois des sciences humaines, on essaye de montrer que les phénomènes humains obéissent à des lois physiques qui font qu’on a aucun pouvoir sur notre vie ou notre destinée. Comme si le sport était écrit à l’avance » . Or, malgré tous les efforts du monde, il ne l’est pas. Le PSG, qui a concédé le nul face à Ajaccio (1-1) en début de saison, malgré deux poteaux, 77% de possession de balle et 17 tirs cadrés, peut en témoigner. Tout comme la France, qui avait « 0% » de probabilité de se qualifier face à l’Ukraine, avant de créer « l’exploit » lors du match retour à domicile, dans une liesse généralisée. À croire que le principal intérêt des statistiques reste encore de les faire mentir…

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