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Bolivie : quand la crise politique menace de faire disparaître un club

Par Thomas Allain
5 minutes
Bolivie : quand la crise politique menace de faire disparaître un club

Un vent de révolte souffle sur le continent sud-américain et la Bolivie n’y échappe pas. Dans un contexte tendu, le président Evo Morales et son gouvernement ont été contraints de démissionner et de fuir dans d’autres pays d’Amérique latine. Si on sait que Morales s’est exilé au Mexique, certains se sont volatilisés sans donner de nouvelles, à l’image de Carlos Romero, le ministre du Gouvernement. L’ennui, c’est que ce même Romero pilotait à lui seul les Sport Boys Warnes, club professionnel de première division bolivienne.

L’histoire des Sport Boys Warnes pourrait s’avérer banale au sein du monde du football professionnel bolivien : une équipe locale qui doit plusieurs mois de salaires à son effectif et qui a perdu trois points pour ne pas avoir rémunéré dans les temps l’un de ses anciens joueurs… rien de bien croustillant sous le soleil amazonien. Or, cette fois-ci, en guise de péripétie, la crise politique traversée par le pays andin a provoqué des blocages dans tout le pays. De fait, le championnat a dû s’arrêter brutalement, et les clubs ont été contraints de trouver des alternatives pour s’entraîner. « Nous avons été près d’un mois sans nous entraîner normalement, car on ne pouvait pas franchir en voiture les barrages mis en place par la population » , témoigne l’Argentin Luciano Ursino, meneur de jeu et capitaine des Sport Boys, englués dans le ventre mou de la Primera División.

Alors que le pays se trouvait déjà dans une situation critique, la révélation de fraude électorale lors de la quatrième élection consécutive du président sortant Evo Morales est venue embraser le tout. Ces « graves irrégularités » ont amené certains contestataires à prendre à partie les proches du président et des membres du gouvernement. En tant que ministre et grand ami du chef d’État bolivien, Carlos Romero, président des Sport Boys Warnes, a dû se résigner à fuir dans la précipitation. Alors, depuis le 12 novembre, le club champion de Bolivie 2015 est au bord du chaos, orphelin et sans nouvelle de son unique gestionnaire… Le destin frise le tragique pour un club qui, à sa belle époque, s’était offert une notoriété internationale en annonçant le recrutement d’Evo Morales, le président bolivien en exercice. Enregistré officiellement auprès de la ligue bolivienne lors de la saison 2014-2015, Morales n’a finalement jamais eu la possibilité de s’afficher avec le numéro 10 qui lui était pourtant réservé. « J’ai essayé d’intensifier ma préparation physique, mais je ne pense pas être à la hauteur » , avait alors regretté le chef de l’État plurinational bolivien, 54 printemps tout de même à l’époque.

Quand le coach envoie ses consignes par téléphone

Le Sport Boys Warnes s’est donc retrouvé sans son homme fort et surtout sans un sou. Seule personne capable de soutenir financièrement le club, Romero avait l’habitude de payer ses joueurs en liquide au sein d’un club qui ne possède aucun compte bancaire. Pour ne pas arranger les choses, l’effectif, qui n’a pas reçu de salaire depuis plusieurs mois, s’est retrouvé sans terrain d’entraînement, car le club devait changer la pelouse de son unique enceinte pour y accueillir le Sudamericano Sub 15, sorte de Copa América U15 (tournoi finalement délocalisé au Paraguay, N.D.L.R.). « Après le départ de Romero, le club n’avait pas d’argent pour louer un autre terrain d’entraînement, confesse le Luciano Ursino. Le groupe se retrouvait à des endroits où il n’y avait pas de location à payer. » Entendez par là des parcs, voire des terrains vagues. Pour les joueurs n’habitant pas à Warnes et ayant préféré s’installer dans la capitale économique Santa Cruz de la Sierra, se rendre à l’entraînement alors que l’ensemble du réseau routier était paralysé devenait alors une véritable expédition. Luciano Ursino le déplore : « On était une dizaine à habiter dans le même secteur. On se donnait rendez-vous avant l’entraînement pour faire le chemin ensemble à vélo. On pédalait plus d’une demi-heure pour arriver à l’endroit où l’on s’entraînait… » Difficile de tenir à ce rythme pendant plusieurs semaines. En fin stratège, le coach avait trouvé une solution pour que ses joueurs gardent leur forme physique les jours où il n’y avait pas entraînement. « Il nous envoyait des consignes pour qu’on fasse des exercices physiques de notre côté, on essayait de les réaliser là où on le pouvait » , explique ainsi le capitaine du Sport Boy Warnes.

Pendant ce temps, profitant du désordre et de l’absence de Carlos Romero, les instances boliviennes ont une nouvelle fois sanctionné le club de trois points supplémentaires pour ne pas avoir réglé une dette envers un ancien joueur. Sport Boys, au bord du gouffre, s’est donc retrouvé bon dernier du championnat bolivien. Indigné et démuni face à la situation, l’entraîneur a décidé de démissionner. La petite poignée de dirigeants restée au club après la fuite de Romero s’est retroussée les manches au point de réussir à débaucher un nouveau technicien inexpérimenté acceptant de travailler sans recevoir un centime. Toute expérience est bonne à prendre, paraît-il.

En mode vitesse accélérée

Lorsque la situation du pays s’est apaisée, les treize autres capitaines du championnat ont menacé de ne pas reprendre la compétition si une solution n’était pas trouvée pour aider les joueurs de Sport Boys. « Un mouvement de solidarité s’est créé, on a pu voir le côté humain de chacun » , se félicite Ursino. Après un mois d’interruption, le championnat a pu reprendre grâce au syndicat des joueurs qui a su négocier un montage financier complexe se basant sur un versement anticipé des droits TV engendrés par les futurs matchs amicaux de la sélection… Il faut dire que le temps presse, car le pays andin doit connaître au plus vite ses qualifiés continentaux pour débuter dès le mois de janvier l’édition 2020 de la Copa Libertadores. Pour Luciano Ursino, le calendrier qui attend son équipe n’est pas cohérent, d’autant plus qu’en fonction des régions où l’on joue, l’altitude peut varier entre 400 et 4 000 mètres, et le thermomètre peut afficher à cette époque de l’année des températures oscillants entre 10 et 35 degrés… Le capitaine s’insurge : « Nous avons été un mois sans nous entraîner normalement, et maintenant, on doit disputer 10 journées en 30 jours pour pouvoir terminer le championnat, on va jouer à Noël et jusqu’au Nouvel An, c’est de la folie ! »

Lanterne rouge du championnat, Sport Boys pourrait même voir son calendrier s’allonger s’il termine avant-dernier, ce qui constituerait déjà un exploit. Les joueurs devront alors disputer un barrage aller-retour face au vice-champion de la catégorie inférieure. Un Boxing Day à la sauce bolivienne, en quelque sorte.

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