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Bojan Krkić : « Le foot, c’est beaucoup plus que des chiffres et des numéros »
À 30 ans, Bojan Krkić se fait plaisir à l’Impact Montréal sous les ordres de son ancien coéquipier Thierry Henry. Après des débuts en fanfare au Barça et des aventures contrastées un peu partout en Europe, le Catalan défend son parcours et regrette la place prise par les statistiques dans le football. Avant le début des play-offs ce soir, il tire le bilan de sa carrière. Et tend une perche aux clubs de Ligue 1.
On a essayé de comprendre le fonctionnement de la MLS depuis la reprise, mais ce n’est pas simple, entre le tournoi MLS is back, les nouvelles règles des séries éliminatoires, les transferts des équipes canadiennes vers des villes américaines… C’est mieux de ne pas essayer de comprendre et de se concentrer sur le prochain match. (Rires.) Plus sérieusement, les trois équipes canadiennes, Vancouver, Toronto et nous, avons dû jouer tous nos matchs sur le territoire américain du fait de la fermeture des frontières. On s’est chacun vu attribuer un stade pour jouer à domicile, dans notre cas la Red Bull Arena. Du coup, on s’est installés dans un hôtel new-yorkais pendant un mois et demi. Depuis notre qualification pour les barrages d’accès aux play-offs (cette nuit à Boston contre New England, N.D.L.R), on est rentrés à Montréal, où on a pu s’entraîner toute la semaine.
C’est quoi, l’objectif du club ? L’objectif principal de la saison était d’accéder aux play-offs. Étant donné les conditions pas franchement favorables, avec cette vie loin de chez nous et de nos familles, à jouer dans un stade qui n’était pas le nôtre, avoir réussi à être là est une bonne chose, sachant que le club ne s’était pas qualifié depuis des années. Maintenant, il faut se faire plaisir et ne pas trop se mettre de limite.
Tu es heureux en MLS ? Je suis là depuis un an et demi, et tout va bien, honnêtement. Le club, les coéquipiers, la ville : tout le monde me traite bien. Je profite, je valorise ce que signifie être là. On a un vestiaire cosmopolite à l’Impact Montréal, et c’est la belle facette du football. Tu t’entoures de gens de cultures très différentes, il y a de plus en plus de bons joueurs venus de pays qu’avant on ne prenait pas vraiment en compte. C’est une bonne chose pour le football.
Rod Fanni met toujours autant l’ambiance dans un vestiaire ? C’est un bon gars (rires), avec de l’expérience. On voit qu’il a du vécu dans la vie de groupe.
Comment se sont passées les retrouvailles avec Thierry Henry, ton ancien coéquipier au Barça ? Titi a été quelqu’un de très spécial dans ma carrière. Il est arrivé au Barça lors de ma première année et a été une référence pour moi. Donc forcément, quand j’ai appris qu’il allait être notre nouveau coach, j’étais content, parce qu’il me connaît très bien. C’est quelqu’un qui adore le foot, qui le vit intensément. C’est un jeune entraîneur, qui a envie de faire ses preuves.
Il sortait d’une expérience courte et peu concluante à Monaco. Le football ne dépend pas que de ce tu fais au quotidien. Il a sûrement fait du bon travail à Monaco, mais les conditions extérieures, l’environnement ne l’ont pas aidé à avoir des bons résultats. Or, le foot, comme le reste, dépend des résultats, particulièrement pour un entraîneur. C’est une nouvelle étape pour lui, et il a déjà rempli l’objectif cette année. Comme joueur il est resté dans les mémoires, maintenant si la MLS veut continuer à grandir, elle a besoin de personnes comme lui, dont l’exigence te pousse à viser toujours plus haut.
Toi qui as connu tous les meilleurs championnats européens, tu la situes où, la MLS, en matière de niveau ? Son objectif est de devenir une des meilleures ligues du monde. Elle est sur cette voie. Cette année a freiné un peu son élan, mais beaucoup de joueurs veulent venir ici, pas seulement pour l’expérience de vie américaine, mais aussi pour son football. La MLS est beaucoup plus suivie aujourd’hui en Europe, il y a de plus en plus de mouvements de joueurs entre l’Europe et les États-Unis, ce qui prouve qu’elle est devenue attractive, et plus uniquement pour les joueurs en fin de carrière. Ça va être de plus en plus difficile d’y accéder, parce que le niveau monte chez les jeunes et ceux qui sont là depuis plusieurs années.
Tu as dit dans une interview il y a quelques mois que tu aimerais jouer en Ligue 1. D’où te vient ce goût pour le voyage et la nouveauté ? Je ne l’ai pas vraiment recherché, en fait. Le football t’offre ça, vivre des expériences humaines et professionnelles dans des pays différents. Regarde, Andrés (Iniesta) est au Japon depuis plusieurs années, il y est très heureux, c’est une culture qui attire aussi beaucoup mon attention. Pour revenir à la Ligue 1, c’est un des meilleurs championnats d’Europe. J’ai joué dans presque tous, donc ça me plairait d’en découvrir un nouveau. J’ai eu quelques contacts, mais jamais rien de très concret pour le moment. On verra lors des prochains mercatos. Là, j’ai découvert avec plaisir Montréal et la MLS, mon contrat se termine cette année, je dois voir ce que me propose le club, si on peut trouver un accord ou pas, et en fonction j’écouterai les offres.
À 30 ans, quel bilan fais-tu de ta carrière mouvementée ? Un bilan très positif, tant sur le plan personnel que professionnel. Je me sens privilégié d’avoir commencé au Barça à 17 ans, d’avoir joué au plus haut niveau dans des grands clubs et des grands championnats, d’avoir marqué des buts et gagné des titres. Vu de l’extérieur, on peut toujours penser que ça aurait pu être mieux, que j’aurais pu faire plus, mais quand je regarde derrière moi et que je vois tout ce que j’ai fait, je suis satisfait.
Tu as regretté à plusieurs reprises que l’on ne valorise pas suffisamment ton parcours au plus haut niveau. Tu penses qu’aujourd’hui on mesure trop une carrière à ses statistiques, que le foot est devenu une affaire de mathématiciens ? Oui, je suis d’accord avec cette idée-là. Déjà, il y a les réseaux sociaux. C’est bien que chacun puisse donner son avis, mais je pense que 99% des gens qui te critiquent paieraient pour être dans ta situation. Après, ce qui m’embête un peu plus, c’est que les clubs soient aujourd’hui autant guidés par les statistiques. Pour moi, ça fait du mal aux joueurs. Le foot, ce n’est pas des chiffres et des numéros, c’est beaucoup plus que ça. Les chiffres ne valorisent pas les joueurs qui savent lire les espaces, qui sont surdoués tactiquement, qui apportent à l’équipe dans l’équilibre, dans la construction du jeu et des occasions de but. Tout ça n’apparaît pas dans les statistiques. Actuellement, je me forme pour devenir directeur sportif. Le jour où je serai en poste dans un club, je ne me baserai absolument pas là-dessus pour recruter un joueur.
Tu te baseras sur quoi ? Moi, j’aime regarder un match et voir comment un joueur joue au football. Comment il se déplace, comment il interprète les espaces, comment il aide l’équipe défensivement, quel est son caractère, sa mentalité. Après, bien sûr, si tu veux avoir une bonne équipe, tu dois avoir des joueurs qui marquent des buts, des joueurs qui font des passes décisives. Ça, c’est le travail de l’entraîneur, de mettre les joueurs dans de bonnes conditions. Mais à l’heure de faire signer un joueur, encore une fois, ses statistiques ne seront pas du tout le critère principal. Tout simplement parce qu’il y a plein de joueurs très talentueux qui ne se distinguent pas statistiquement.
C’est aussi le résultat de cette époque marquée par le duel entre Messi et Cristiano Ronaldo, pour qui les chiffres sont devenus une obsession, non ? C’est possible, ce sont deux extraterrestres du monde du football, qui ont explosé tous les records et mis la barre très haut. Mais si tu regardes bien jouer Leo, au-delà de ses buts et de ses passes décisives, c’est sa façon d’interpréter le jeu, qui n’apparaît pas dans les statistiques, qui devrait le plus intéresser les gens. Une des choses qui ont toujours attiré mon attention chez lui, et qui pour moi font de lui le meilleur joueur de l’histoire, c’est sa première touche de balle. N’importe quel ballon qu’on lui donne, il le contrôle bien, il s’oriente comme il faut et sait à l’avance où sont les joueurs libres. L’autre jour, contre la Juve, le ballon lui arrive sur le côté gauche, et en une touche de balle, il renverse le jeu vers Dembélé qui était complètement seul. Si je ne me trompe pas, c’est l’action qui amène le premier but. C’est cette lecture du jeu qu’il a qui fait la différence avec les autres.
Tu lui dirais quoi, aujourd’hui, au Bojan de 2007 qui débutait en Liga ? Qu’il mette sa ceinture, parce qu’il va y avoir des virages ! Non, sérieusement, qu’il profite, sans trop se laisser influencer par ce qu’il se passe en dehors des terrains, cet autre match que l’on doit jouer et qui parfois paraît malheureusement plus important que celui qui se joue sur le pré. Donc qu’il conserve cette essence du football, cet amour du jeu qui l’a mis sur cette voie quand il était enfant, surtout dans le monde d’aujourd’hui où le business l’emporte de plus en plus sur tout le reste.
Propos recueillis par Leo Ruiz