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Boixos Nois, des Nazis en Catalogne
À défaut de jouer une qualification pour une demi-finale relevant désormais du fantasme, le PSG tentera ce mardi de faire bonne figure face à un Barça hors de portée. Au-delà d'un lien avec le Qatar, le Barça présente également en commun avec le PSG d'avoir expulsé ses ultras de son enceinte. C'était bien avant le plan Leproux.
L’Espagne n’est pas franchement réputée pour avoir les supporters les plus bruyants d’Europe. Si quelques groupes prennent la lumière, c’est pour des frasques pas toujours en lien avec l’animation des tribunes. On connaissait les Ultras Sur du Real Madrid, grands amis des Bad Gones de l’Olympique lyonnais, dont la proximité avec la signalétique allemande des années 30 n’avait échappé à personne et dont le leader El Niño a été incarcéré dans la prison madrilène El Soto. Mais il y a aussi chez le rival catalan un groupe sulfureux qui n’a jamais raté une occasion de défrayer la chronique dans les années 90 : les Boixos Nois.
« Thank you Liverpool for the Juve’s deaths »
Retour en arrière. 1981, l’Espagne n’est plus sous la coupe de Franco, et les supporters de football peuvent de nouveau regarder au-delà de leurs frontières. Il y a, de l’autre côté de la Méditerranée, ces tifosi italiens, latins comme eux, organisés en groupe de guerriers, et adeptes des chants, de l’agitation des drapeaux et de l’animation des tribunes. Cette année-là, à Barcelone, une cinquantaine de fans à tendance plutôt anarchiste et pro-catalane créent, suivant le modèle des penya propres aux Pays basque et catalan, la penya des Boixos Nois, les « garçons fous » . L’orientation est donnée et ils se posent d’emblée comme une bande de contestataires à la présidence de l’autoritaire Josep Nunez. Mais, dans ces années-là, l’Italie n’est pas la seule à servir d’exemple. De jeunes skinheads anglais, « lookés » en Doc Martens, bretelles et chemises Ben Sherman, portés sur les pintes, le stade et le coup de poing, attirent aussi les regards. Selon Ramon Spaaij, sociologue du sport à l’université d’Amsterdam, les skinheads barcelonais, directement inspirés des Headhunters de Chelsea, se découvrent une passion pour le stade et sont ainsi logiquement attirés par les Boixos Nois.
L’idéologie politique du groupe change alors radicalement, et les Boixos Nois se définissent eux-mêmes dans leurs fanzines comme des « skinheads catalans » . En 1984, les ultras catalans se distinguent par des insultes rances à l’égard de Thomas N’Kono, le portier camerounais de l’Espanyol Barcelone. L’année suivante, peu après le drame du Heysel le 29 mai 1985, lors de la réception de la Juventus, une frange radicale du groupe sort une banderole « Thank you Liverpool for the Juve’s deaths » (Merci Liverpool pour les morts de la Juventus !). La senyera catalane est alors frappée d’un swastika (croix gammée). « Los Incas » (les punaises en catalan) comme ils se définissent eux-mêmes ont encore frappé. Et les croix celtiques commencent à fleurir dans leur secteur en « gol sur » (but sud). Dans le Dictonnaire des supporters, Franck Berteau raconte qu’au début des années 90, cinq Boixos Nois sont condamnés pour le meurtre de Frédéric Rouquier, l’un des leaders des Brigadas Blanquiazules, groupe ultra du rival barcelonais de l’Espanyol.
Tête de porc et embourgeoisement du Camp Nou
En dépit de leur réputation sulfureuse, les Boixos Nois jouissent de nombreux passe-droit auprès des dirigeants blaugrana, tant que la violence ne s’invite pas au Camp Nou. Joan Gaspart, ancien vice-président du Barça et successeur de Josep Nunez en 2000, s’autoproclame même sympathisant des Boixos Nois, annonçant son intention d’en devenir l’un des membres à la fin de son mandat. Mandat durant lequel s’est pourtant déroulé le célèbre « match de la honte » , le 21 octobre 2000, lors duquel une tête de porc grillée sera lancée en direction de Luís Figo, fraîchement transféré au Real Madrid. Le match est interrompu 13 minutes, et ce sera l’un des derniers faits d’armes des Boixos Nois au Camp Nou. Car le Barça adopte avant l’heure son plan Leproux. Ou plutôt devrait-on dire son plan Laporta.
2003. Joan Laporta offre le visage de la bourgeoisie catalane qui a le vent en poupe, tout en ayant ce qu’il faut de convictions indépendantistes. Il présente une candidature ambitieuse à un moment où le Barça n’est plus que l’ombre de lui-même – sixième en 2001-2002 – et accuse un bilan financier désastreux. Face à l’évidence, Joan Gaspart, qui porte depuis le début de son mandat la vente de Luís Figo au Real Madrid comme une épée de Damoclès, démissionne. Laporta, outsider, l’emporte largement avec 52,6% des suffrages lors de nouvelles élections. Au-delà du projet sportif, le jeune avocat apporte aussi dans ses valises un projet ambitieux visant à redorer l’image du club. Et il est question bien sûr de « catalanité » . Exit le drapeau espagnol au-dessus de la Masia. Exit aussi cette minorité de supporters qui dénature l’identité catalane. « L’une des politiques de Laporta fut de nettoyer les tribunes pour en faire un entre-soi de la bourgeoisie catalane dans lequel les Boixos Nois faisaient tache. Pour la nouvelle direction, cette frange de supporters était des voyous » , explique Jean-Charles Basson, maître de conférence à l’Université de Toulouse en sociologie du sport qui a travaillé sur les supporters d’Europe du Sud.
Le basket et la dope en lots de consolation
Fin de la fiesta et des privilèges, le club ne leur délivre plus de carte d’adhérent, et une partie des leaders ne peut plus obtenir d’abonnement. « Lorsqu’ils ont été exclus, les Boixos Nois ont organisé des manifestations autour du Camp Nou pour montrer justement qu’ils étaient légitimes, puisque leur emblème (une tête de bulldog) faisait partie des penya présentes autour du stade » indique le sociologue. En vain. Pour les socios, qui font la pluie et le beau temps au Camp Nou, cette minorité de fans marquée à l’extrême-droite et jamais avare de provocations donne une mauvaise image du mouvement catalan. « Pour les anciens, l’identité catalane est davantage à chercher du côté d’un fort ancrage anarchiste, un anarchisme du terroir et des communautés agricoles » précise Jean-Charles Basson. Isolés, les Boixos Nois optent alors pour la méthode crapuleuse : menaces de mort à l’encontre de Laporta, envoi de photos de ses enfants ou de son domicile… Une récompense est même promise à qui prendra soin de dérouiller le président du Barça qui vit toute la durée de son mandat sous protection policière.
Privés de leur passion – car certains sont évidemment réellement passionnés par leur club – des membres des Boixos Nois suivent le FC Barcelone dans d’autres sports : « Le Barça étant un club omnisport, les mesures de sécurité prises contre les Boixos Nois pour leur interdire l’accès au Camp Nou les ont poussés à se reporter sur d’autres sports et notamment le basket-ball où il y a un vrai engouement en Espagne » signale Jean-Charles Basson. Ils se rendaient donc au gymnase, juste à côté du Camp Nou, pour aller encourager l’équipe de basket-ball, au grand dam des dirigeants barcelonais. Pour d’autres, les Casuals, qui représentent la frange dure du groupe, la fin du stade signifie le début de trafics en tout genre. Ils suivent la drogue qui débarque sur le port de Barcelone et braquent les trafiquants marocains ou colombiens. Crimes, tentatives d’assassinat, violences, trafic de drogue, possession illégale d’armes, la liste des chefs d’accusation contre une trentaine de Casuals des Boixos Nois est longue comme le bras, pour un procès qui se termine en pugilat contre les Mossos d’Esquadra, la police catalane. L’un de leurs leaders, Ricardo Mateo, alias « Lucho » , écopera tout de même de douze ans et neuf mois de prison le 11 juin 2013.
Les Boixos Nois impliqués dans l’agression d’un fan parisien ?
Et concernant le stade ? Face au pouvoir de nuisance des Boixos Nois en dehors des tribunes, les dirigeants ont dû renoncer à une politique radicale d’exclusion et au prix de quelques compromis, certains des exclus sont revenus, cette fois en « gol norte » . Leur influence est toutefois bien moindre qu’avant et ils n’ont quasiment plus de signes distinctifs. En décembre dernier, lors de la réception du PSG en phase de poules de la Ligue des champions, l’ombre des Boixos Nois est toutefois revenue planer sur Barcelone. À la suite de l’agression à l’arme blanche de deux supporters parisiens, l’enquête de police évoquait leur possible responsabilité dans cet acte. L’Espagne s’émouvait d’une possible résurgence du hooliganisme, mais pour la direction actuelle du Barça, l’essentiel est de toute façon ailleurs. Dans un stade de 100 000 places, où il n’y a plus aucun incident, seule compte la mise en musique du spectacle hebdomadaire à la gloire de la Catalogne. « Ici, on va au stade comme on va à l’opéra ou en soirée. C’est lié à la place du football dans la société espagnole, ce n’est pas seulement un spectacle populaire, dévalorisé comme en France, mais aussi un moment qui a ses lettres de noblesses, qui se mérite. La tribune est ainsi perçue comme un espace de visibilité sociale où il faut se montrer » . Une corbeille du Parc des Princes grandeur nature en quelque sorte, avec une population que l’augmentation vertigineuse des tarifs de billets en Espagne depuis quelques années a fini de trier sur le volet. Un leitmotiv que le PSG s’est fait fort de mettre en œuvre au Parc des Princes.
À lire, pour en savoir plus :
Basson J.-C., Lestrelin L., 2014, « Pour une sociologie politique du supportérisme. Penser le militantisme et la partisanerie des supporters de football en Europe » , in Busset T., Besson R., Jaccoud C. (dir.), L’autre visage du supportérisme. Autorégulations, mobilisations collectives et mouvements sociaux, Berne, Suisse, Editions Peter Lang, 21-39. Spaaij, Ramón (2006). Understanding football hooliganism : a comparison of six Western European football clubs. Amsterdam University Press. Franck Berteau, le dictionnaire des supporters, Stock, 2013.Par Grégory Sokol et Anthony Cerveaux