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Bogdan Racovițan, le nouveau Chivu est né à Dijon
Bourguignon de naissance, Roumain de nom, de sang et de cœur, Bogdan Racovițan incarne notamment aux côtés de Radu Drăgușin, son coéquipier en sélection espoirs, la relève de la défense centrale roumaine, orpheline de guerriers inébranlables et de murs porteurs depuis la retraite de Cristian Chivu. De Dijon à Botoșani, entre rôle d'interprète, calme surnaturel et évolutions remarquables, « Bogdi » sait que tout ne dépend que de lui s'il veut réussir là où tant d'autres se sont brisé les molaires.
Nous sommes le 16 juin 1995. Cinq ans et demi après la chute de Nicolae Ceaușescu, le premier restaurant de la chaîne McDonald’s ouvre ses portes à Bucarest, près de la très centrale Piața Unirii, et établit un record européen de ventes en accueillant près de 16 000 clients. À Botoșani, ville du poète national Mihai Eminescu au nord-est de la Roumanie, on est encore à bien des égards dans le monde d’avant. « Pour un footballeur basique entre guillemets, il n’y a pas grand-chose à y faire : un petit centre commercial, mais aucun Zara ni McDonald’s dans toute la ville. Le climat et les températures négatives, il faut aussi se les coltiner. Vraiment, à Botoșani, c’est tout pour le football », révèle Bogdan Racovițan. C’est d’ailleurs en connaissance de cause que le jeune défenseur central de 21 ans a choisi l’hiver dernier de s’éloigner de son Dijon natal pour y signer son premier contrat professionnel.
Capitaine traducteur
Lorsque Nicolae Racovițan quitte la Roumanie en 1990 pour rallier l’Occident après ses années de fac, la destination finale est inconnue. Mais les astres avaient un plan : le mettre sur la route de Sabrina, commerçante, pour que sa quête d’une vie meilleure pose ses valises en Côte-d’Or. De cette union naît Bogdan en juin 2000, pour qui le football est écrit en filigrane. « J’avais quatre ans quand mon père m’a emmené à l’ASPTT Dijon. Tous les autres clubs me trouvaient trop jeune. Mais moi, il fallait que je canalise mon énergie », poursuit-il. Avant de devenir large d’épaules, « Raco » est déjà bien développé physiquement et se voit surclassé jusqu’à ses 13 piges, lorsqu’il intègre le pôle espoirs. « Je venais toujours avec mon maillot de l’Inter floqué Chivu, pour que les gens sachent que je suis roumain ! », confie-t-il, amusé. Moins de 750 jours plus tard, le DFCO toque à la porte des Racovițan. Une forme d’adoubement pour l’ancien numéro neuf. « Je suis entré au centre de formation de Dijon à 15 ans. Mais sans le rejoindre physiquement, en restant chez mes parents », précise le principal intéressé. Considéré comme l’enfant du club, il met tout le monde d’accord et décroche le capitanat dans toutes les catégories d’âge, des U17 à la réserve du club bourguignon.
Après des week-ends à croiser Amine Gouiri, William Saliba ou encore Rayan Cherki sur les prés, « Bogdi » termine même dans le groupe pro, où il s’entraîne régulièrement avec les joueurs de Ligue 1 lors de la saison 2020-2021. Son rôle, en réalité, va au-delà : Alex Dobre, alors international espoir roumain, est recruté à l’été 2020 pour une étonnante somme d’un million d’euros. Problème : il ne parle pas un mot d’anglais malgré trois saisons du côté des U21 de Bournemouth et ne comprend pas le français. Bogdan Racovițan, parfaitement bilingue franco-roumain, doit l’aider à s’intégrer pour qu’il puisse pleinement s’exprimer, au propre comme au figuré. En clair, servir d’interprète. Après des débuts compliqués, Dobre est aujourd’hui un homme de base pour Patrice Garande, un titulaire régulier capable de débloquer un match sur une fulgurance, surnommé affectueusement « AD29 » en référence à CR7. À ses côtés, Racovițan et son mètre 85 se professionnalisent, mais malgré la chute irrémédiable des hommes de Stéphane Jobard puis de David Linarès vers le purgatoire, aucune minute ne lui sera octroyée dans l’élite. « Un petit regret qui empêche la boucle d’être bouclée », concède l’ex-môme de Dijon, vite effacé par ce coup de fil au mois de décembre 2020.
« Éveille-toi, Roumain ! »
« Au pays, les gens avaient appris qu’il n’y avait pas un, mais deux Roumains à Dijon. Partant de là, trois clubs étaient intéressés, mais j’ai priorisé le projet de Botoșani, poursuit Bogdan Racovițan. On m’a donné une seule garantie : que j’aurais du temps de jeu, et donc l’occasion de prouver. Ça m’a suffi, puisque le DFCO ne pouvait pas me proposer mieux. » Le fameux projet de Botoșani est un des plus stables financièrement et réguliers sportivement de Roumanie, 99% à base de joueurs libres depuis la montée en 2013. Il a notamment propulsé Olimpiu Moruțan (aujourd’hui à Galatasaray) dans le grand bain et lancé la carrière du Camerounais Michael Ngadeu, débarqué anonymement de quatrième division allemande en 2014 et désormais pilier de La Gantoise et capitaine des Lions indomptables. Le titi parisien Hervin Ongenda y est choyé, et la forte colonie francophone (Kage, Edjouma, Dawa, Sila, Remacle et donc Racovițan) assure au folklorique coach Marius Croitoru le cadre idoine.
« Bogdi » , lui, a bénéficié de six mois d’adaptation avant d’installer sa défense debout dans le onze et d’être repéré par l’ancien Nantais Florin Bratu, successeur d’Adrian Mutu sur le banc de l’équipe de Roumanie espoirs. Bien qu’éloigné de l’univers footballistique roumain, il en a assimilé les codes, aidé par la tête piquée très tôt dans le bain de la culture locale. « Quand j’étais gamin, le moment que j’attendais le plus, c’était les vacances en Roumanie une fois par an, l’été ou à Noël, chez les miens, à Oradea. J’y ai été baptisé en tant qu’orthodoxe et j’ai toujours eu ce côté patriotique en moi, cette volonté de vouloir défendre et de redorer notre blason, qui est un idéal. » Pour autant, le calme et rigoureux Bogdan sait qu’il doit beaucoup à sa formation française. « Quand un jeune Roumain est formé ou passe beaucoup de temps à l’étranger, ça se voit directement. Sur le plan technique, pas de souci. Mais physiquement et sur le plan de l’endurance, on a beaucoup de retard, abonde le roi des duels sur ce début de saison. Par exemple, pas seulement moi, mais mon coéquipier en sélection Dragoș Albu, qui a joué trois saisons chez les jeunes d’Utrecht, tu peux deviner sans trop de problème qu’il a oscillé entre les terrains et la salle. On a besoin de plus de puissance et d’agressivité pour tenir derrière, le talent et la lecture du jeu ne suffisent pas. »
Déjà dans le viseur des grands de Roumanie, mais aussi d’écuries de Ligue 1, qui ont eu vent de ses exploits, le droitier relanceur de Botoșani (actuel 6e du championnat roumain) a même prouvé qu’il en avait sous le capot dans le secteur offensif aérien, en claquant son premier but en pro face à Mioveni, puis son premier but avec la tunique des Tricolorii mici contre l’Italie version copie conforme, d’un coup de casque lancé pleine balle. Et même si l’Euro espoirs de 2023, coorganisé par la Roumanie, fait office de point de repère pour « Raco » , une phrase de la dernière conférence de presse du désormais ex-sélectionneur Mirel Rădoi résonne en arrière-plan : « Bogdan Racovițan, Radu Drăgușin et d’autres U21 sont susceptibles d’être appelés avec les A, très bientôt. » Le rendez-vous est pris.
Par Alexandre Lazar, à Botoșani (Roumanie)
Propos de Bogdan Racovițan recueillis par Alexandre Lazar.