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Bogdán, le douloureux chemin d’Ádám
Débauché par Liverpool au mercato d’été 2015 après huit ans de turbin à Bolton, le portier numéro deux de la sélection hongroise devait jouer les Simon Mignolet de secours sur les bords de la Mersey. Problème : de Budapest aux Reds de Klopp, le grand rouquin a cumulé les bourdes comme un poussin. À trois mois de l’Euro, il n’a aucune chance de chasser Gábor Király et son jogging des cages magyares.
« Ádám Bogdán veut quitter son enfer de Liverpool et partir dès que possible. » Nous sommes le 23 janvier, et le Sun fait du clic en décrivant le calvaire de celui qui déteste être la risée d’Anfield. Car en un mois, monsieur s’est tapé une double honte : relâcher le ballon sur corner contre Watford et permettre à Aké de marquer, puis merder un autre coup de pied de coin où le cuir rentre direct face à Exeter, pensionnaire de D4. Fin septembre, il sauvait trois tirs au but et téléportait les Reds en huitièmes de finale de la League Cup aux dépens de Carlisle United. Méforme ? Perdu. Yo-yo habituel. Ex-suppléant de Jääskeläinen à Bolton, l’ami Ádám a été désigné joueur de l’année par les supporters du Reebok Stadium alors qu’il s’est pris cinq pions Blues et un dégagement du dernier rempart toffee, Tim Howard, droit dans les filets à 90 jours d’intervalle (2 octobre 2011 – 4 janvier 2012). Tout en chipant le spot de Jussi les guiboles usées. Il portait aussi les gants lors du dramatique 1-8 contre les Pays-Bas en éliminatoires du Mondial 2014 qui a coûté son siège à l’entraîneur Sándor Egervári. Et restait sentinelle principale du « Nemzeti 11 » malgré les quatre encaissés à l’aller et les trois concédés au rival roumain.
Mister « Wotsit »
Bogdán le Budapestois pur sucre a emballé les recruteurs des Wanderers au cours de son prêt à Vecsés, tout près de la capitale hongroise. Neuf matchs et 150 000 forints (500 euros) versés au Vasas FC auquel il appartenait lui ouvrent l’accès de l’Angleterre en 2007. Dans la foule Trotter, on s’interrogeait souvent sur l’identité de ce « wotsit » (un sous-Curly britannique au fromage, ndlr) à la chevelure 100 % poil de carotte. Réponse : un adepte des sorties casse-gueule et des tenues bariolées jaune orangé, sollicité quand l’indétrônable Jussi pétait une durite, se blessait ou servait la Finlande. Owen Coyle, son manager à Bolton (2010-12), justifie la promotion progressive : « Comptez ses matchs et vous verrez que s’il y en avait un mauvais, c’était bien l’un des rares. Il n’y a jamais eu débat pour moi. S’il était en meilleure forme que Jussi, je l’alignais sans hésiter. Il a laissé passer quelques buts, mais il souffrait parce que la team souffrait. Il donnait tout sur le terrain et continuera à le faire. Ádám a eu le privilège d’évoluer et de renforcer son niveau aux côtés de l’un des meilleurs gardiens de Premier League de ces dernières années. Il a analysé comment Jussi s’y prenait et a bénéficié de son expertise. »
Une expertise sur laquelle pariait un Liverpool privé de doublure après le départ de Brad Jones à Bradford. Après tout, les portiers hongrois n’ont jamais démérité outre-Manche. Gábor Király a montré la voie à Crystal Palace. Le regretté Márton Fülöp s’est imposé à Coventry, Leicester puis Ipswich Town. Et Bogdán ? Plombé par la susceptibilité de Mignolet. Tétanisé par l’enjeu alors qu’il a un passif rosbeef. D’où ses deux énormes conneries chez les Reds, dont la première dézingua son baptême dans l’élite. Aujourd’hui, mamie pleure au téléphone, les proches se rongent les sangs, et l’intéressé filtre la presse. Pour se consoler, Ádám la guigne s’est blindé les esgourdes à des concerts de Coldplay et d’Adele avec sa dulcinée. Pas franchement le line-up le plus joisse pour un garçon sur la pente descendante. Et pourtant, le type croit à son étoile. Préparateur mental américain à l’appui. « Il m’aide à garder les pieds sur terre, à gérer mes succès et mes échecs. Je pense n’avoir commis quasiment aucune erreur à Bolton. Ce n’est pas une coïncidence qu’une équipe du calibre de Liverpool ait vu de la fantaisie en moi et m’ait engagé. Tous les joueurs ont des hauts et des bas, et là, c’est assez dur. Mais je tiens le choc ! »
Mains en beurre
Le voilà écarté du groupe des Reds en Ligue Europa alors que Klopp s’était décarcassé pour l’empêcher de se carapater cet hiver. Le technicien teuton invoque un manque d’expérience à combler par l’observation. Comprenez : le malheureux a les mains en beurre et doit réapprendre les fondamentaux. À 28 balais, la pilule râcle le gosier. D’autant plus quand l’ancien gourou du Borussia accorde un bonus à Mignolet et exfiltre le rookie Danny Ward de son prêt à Aberdeen afin de s’assurer un recours stable. Péter Gulácsi, homologue et prédécesseur de Bogdán sur le banc de Liverpool, était mieux loti que ça. József Andrusch tente une explication : « Ádám ne pousse pas assez sur ses genoux. À l’époque où je le coachais, on a énormément pratiqué sur ça. Et quand il a débuté en sélection face au Luxembourg (juin 2011, ndlr), il a bondi d’une telle manière sur un corner adverse que c’était magnifique à regarder. Il a soufflé son opposant direct qui gisait sur le sol. Ádám s’est relevé et a pointé ses pouces vers moi en souriant. Malheureusement, il retombe dans ses travers. La bonne volonté ne suffit pas en Angleterre. Il faut être un diable sur la pelouse » , affirme l’ex-chargé des gardiens au « Nemzeti 11 » (2010-2015). D’ailleurs, la sélection échappe à Bogdán. Le vétéran Király tient la corde pour crotter son survêt’ en France, et Dénes Dibusz, du Ferencváros, toque au portillon. Normal : le « Fradi » tue la D1 magyare, tandis qu’Ádám est aux fraises et a une féroce envie de déserter Albion. Même Balázs Megyeri de Getafe, quintuple roi de Grèce avec l’Olympiakos, s’immisce lentement dans le cœur du taulier Bernd Storck. Deux good news ragaillardiront sûrement le bonhomme : il figure parmi les 24 convoqués contre la Croatie ce samedi à Budapest, et Liverpool consentirait à le libérer en juin. Toujours ça de pris !
Par Joël Le Pavous