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Bobby Charlton, la fin d’une légende

Par Maxime Brigand
7 minutes

Vainqueur du Mondial 1966, légende de Manchester United et miraculé du drame de Munich, Sir Bobby Charlton est décédé ce samedi à 86 ans. Il laissera derrière lui une vie de héros.

Bobby Charlton, la fin d’une légende

« La souffrance est toujours là. Bien au fond. Vous ne vous en débarrassez jamais. Elle fait partie de vous. Vous êtes seul et d’un coup, sans prévenir, elle revient. Alors, vous pleurez. » Sur sa poitrine, des marques. Le long des côtes, des cicatrices. La démarche est lente. Le tableau est pénible. L’homme peine à marcher, mais il refuse de s’aider d’une canne. Alors, pour rejoindre son bureau, il s’appuie difficilement sur les murs délimitant les couloirs. Matt Busby veut se remettre au travail. Hier, il ne voulait pas rouvrir ses cahiers, mais sa femme, Jean, l’a convaincu par ces mots : « Ce ne serait pas juste pour ceux qui ont perdu quelqu’un qu’ils aimaient. Je suis sûre que ceux qui sont partis auraient voulu que tu continues. » Busby est resté à l’hôpital pendant dix semaines. Il a prié pour mettre fin à ses jours et a parfois répété qu’il aurait préféré, un temps, ne jamais rouvrir les yeux.

La douleur est trop intense, les images aussi. Et les noms, encore les noms, ceux que l’on est venu lui énumérer sur son lit, à l’établissement Rechts der Isar de Munich : Walter Crickmer, Bert Whalley, Tom Curry, Roger Byrne, Tommy Taylor, David Pegg, Eddie Colman, Mark Jones, Geoff Bent, Duncan Edwards, Frank Swift, H. D. Davies, Tom Jackson, Henry Rose… 21 noms au total, qui deviendront les « Flowers of Manchester ». Le secrétaire de Manchester United, deux adjoints de Busby, des joueurs, des journalistes. Puis, dans le silence d’Old Trafford, Matt Busby a craché à travers les haut-parleurs surplombant la foule de supporters réunis depuis plusieurs jours autour du Théâtre des Rêves. Celui où Manchester United était en train de bâtir l’une des équipes les plus redoutables d’Europe. « Ladies and gentlemen, je vous parle depuis l’hôpital de Munich. » Non, l’entraîneur de Manchester United n’est pas mort. C’est un miraculé.

Pourquoi moi ?

Le 6 février 1958 était un lendemain de fête. Manchester United venait d’assurer sa qualification pour la demi-finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, sa deuxième consécutive, après un nul à Belgrade contre l’Étoile rouge (3-3). Avec Busby, les Red Devils avaient déjà remporté trois titres de champion d’Angleterre (1952, 1956, 1957) et développé la volonté féroce de marcher sur l’Europe du foot. Sauf que ce jour-là, l’avion qui ramène l’équipe à Manchester ne décollera jamais, terminant sa course dans une maison lors d’un troisième essai fatal. On connaît la suite : une aile qui embrase un réservoir de pétrole, des morts, de la neige, des images dans les cinémas britanniques, des journaux noircis, la mort de Duncan Edwards, la pudeur de l’histoire. Il était 15h03 quand tout s’est arrêté.

Le milieu offensif Liam Whelan aura même lâché au moment du décollage : « C’est peut-être la mort, mais je suis prêt. » Dans les décombres, une mèche aura résisté. Le symbole d’une génération, un gamin de 20 ans repéré cinq ans plus tôt par le recruteur de Manchester United, Joe Armstrong, où il deviendra un membre des Busby Babes. Bobby Charlton vient de voir la mort : « Je me suis dit : “Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je encore ici sain et sauf avec une petite éraflure à la tête ? C’est injuste !” Il m’a fallu énormément de temps pour me remettre de tout cela.» Sa mère racontera quelques années plus tard qu’elle n’entendra plus jamais Bobby rire. Comme pour Busby, le personnel de l’hôpital de Munich viendra lister les disparus à Charlton. Matt Busby, lui, vient de se lancer un nouveau défi : gagner la Coupe d’Europe pour honorer ses enfants disparus. Il philosophait en expliquant que «c’est certainement le sens de la vie : bâtir, créer, surmonter les échecs, espérer. (…) Je savais que d’une manière ou d’une autre, je devais gagner à nouveau, pour ceux qui étaient partis. Sinon, ma vie n’avait aucun sens.» Alors ce sera avec Charlton, rapidement habillé de force en patron, et à partir de Bobby.

La Sainte Trinité

C’est donc l’histoire d’une rencontre. C’est aussi le récit de la vie de Bobby Charlton qui reste encore aujourd’hui le plus grand joueur de l’histoire du football britannique et l’une des plus belles légendes de Manchester United. Tout simplement car il était élégant, fin, peut-être le plus doué de sa génération. En réalité, il était surtout le plus complet. Le plus génial était sans aucun doute George Best, arrivé à Manchester en 1961. Le plus impressionnant était sûrement Denis Law, débarqué à United en 1962, car l’attaquant écossais avait un sixième sens rare. Charlton-Best-Law, la Sainte Trinité, celle qui s’affiche aujourd’hui sur le parvis d’Old Trafford. Jamais Manchester United n’a connu une telle grâce. Trois Ballon d’or : Law, en 1964, Charlton, en 1966, et Best, en 1968. Dans ses discours, Matt Busby aimait évoquer le « cœur United ».

Lorsqu’il remporta la C1 en 1968 face au Benfica (4-1), Bobby, auteur d’un doublé, fut le premier salué par Busby. Charlton dira : « Nous étions deux parmi les rescapés, Bill Foulkes et moi, encore présents dans l’équipe. La quête du titre européen obsédait Matt Busby. Nous devions le faire pour lui. C’est lui qui avait inscrit le club en Europe contre l’avis de la Football League. Depuis l’accident de Munich, il était rongé par la culpabilité. » Sous sa pipe et son blouson gris, l’entraîneur écossais n’était pas un maître tactique. Le tableau noir n’était pas quelque chose qui le passionnait. Il aimait gérer l’humain, refusait d’être second et voulait reprendre le dessus sur la vie. Bobby Charlton, lui, avait créé autre chose. C’était sa force : en 22 années passées sur les pelouses, Charlton a dessiné son style, il a inventé son football. Celui d’un milieu sans réel poste, dribbleur redouté, qui n’aura reçu qu’un seul carton jaune au cours de sa carrière et adorait autant les frappes de mule que les ballons piqués.

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L’héritage de Busby

Charlton était l’homme d’un club. Il était aussi l’étendard d’une nation tout entière qui sera championne du monde pour la seule fois de son histoire, en 1966, sous sa direction, avec notamment un doublé en demi-finale contre le Portugal d’Eusébio. Bobby, c’était aussi une tronche. Une mèche ramenée sur le crâne. On l’aimait pour ça, mais aussi pour ses buts, ses nombreux buts pour l’Angleterre (49), car Charlton était le genre de mec à pouvoir allumer la lumière n’importe où. Souvent, il expliquait prendre du plaisir « à inventer et pousser dans ses limites » le foot. Noble. Ça, c’était avant de vouloir l’honorer. Car, ensuite, Bobby Charlton est entré dans une nouvelle mission : assurer l’héritage de Busby à Manchester United et veiller au respect des valeurs d’un club pour lequel il lâchera ses derniers souffles. Il fallait le voir dans les tribunes d’Old Trafford, épaulé de sa femme, Norma Ball. Charlton était une voix qu’on écoutait, il a eu sa place dans le board et a souvent été consulté, notamment dans les choix d’entraîneur : c’est notamment lui qui refusa Mourinho pour succéder à Ferguson en 2013. Puis, les années sont passées, la démence s’est peu à peu emparée de lui, et ce samedi, son décès a été annoncé par sa famille, à 86 ans, trois ans après celui de son frère, Jack. Il y a des vies comme ça : celle de Bobby Charlton aura été celle d’un survivant, qui a vu plusieurs amis mourir sous ses yeux, qui a aidé son club à se reconstruire jusqu’aux sommets, qui a écrit l’histoire de son sport et de son pays, et qui a vu Manchester United nommer une tribune à sa gloire. Charlton voulait pousser les limites du jeu. Il semble aussi avoir réussi à pousser celles de la vie.

Big Bizot !

Par Maxime Brigand

Première version de cet article publiée en août 2017.
Mis à jour le 21 octobre 2023.

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