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Bob Marley, un Spur parmi nous

Par Nicolas Kssis-Martov
4 minutes
Bob Marley, un Spur parmi nous

Bob Marley aimait la musique, les femmes et le foot. Dans cet ordre, un peu l’inverse de George Best. En effet, si la star jamaïcaine n’a jamais cessé de prouver son amour du ballon rond au point de finir par disputer un fameux match contre le FC Nantes, ses inclinaisons l’ont parfois conduit vers des terres inconnues. Mais finalement pas si surprenantes. Ou comment l’homme qui fit aimer le reggae au monde entier se prit d’amour pour Tottenham et ses joueurs argentins.

3 décembre 1976, Kingston, une date cruciale pour le reggae. Alors qu’ils se préparent au grand concert gratuit en plein air Smile Jamaica, censé réconcilier un pays à feu et à sang, Bob Marley et ses musiciens se font mitrailler, probablement par des hommes de main du JLP (Jamaican Labour Party) pro-américain. Bob Marley a alors déjà acquis une stature internationale. Mais chez lui, en Jamaïque, la guerre civile – qui ne dit son nom entre pro et anti CIA – ravage les ghettos de Trenchtown ou Tivali Garden et le menace directement. Début janvier 1977, il décide à contre-cœur de s’exiler à Londres, une ville qu’il connaît bien. Il y a en effet déjà effectué plusieurs séjours et concerts, notamment en 1972 sur invitation du chanteur américain Johnny Nash, le premier interprète du I can see cleary now, repris plus tard par Jimmy Cliff. Un second « yard » pour lui, avec son importante communauté West indies et ses jeunes Britanniques fans de musique jamaïcaine, parfois aux cheveux très courts et Doc Martens rutilantes (ses hits Mr. Brown » ou Small axe, sous la patte de Lee Perry, sont devenus des anthems du skinhead reggae). C’est aussi et surtout l’explosion du punk, dont les figures sont des grands consommateurs de vapeurs I-tal, une révolution auquel son ami Don Letts va l’initier et d’où sortira le titre Punky reggae Party.

Il résidait du côté de Chelsea

Une fois arrivé sur place, si c’est d’abord pour le rasta l’occasion de croiser le chemin de la famille royale éthiopienne en exil après le coup d’état de Mengistu, Bob Marley, bien que résidant du côté de Chelsea avec sa femme Rita, sur Oakley Street, se rend fréquemment sur les terrains du Battersea Park, où il dispute régulièrement des matchs acharnés. Ses compagnons de jeu sont alors des membres du groupe ou d’autres artistes, notamment Eddy Grand, gloire locale du reggae (qui pour la petite histoire aurait été très admiratif du Partizan Belgrade).

« À la base, Bob Marley était amateur inconditionnel de football. Aussi vrai qu’il jouait de la guitare, chantait et consommait de la ganja quotidiennement, il pratiquait le football tous les jours, chez lui à Kingston comme en tournée. Bob Marley avait donc deux passions dans la vie : la musique et le football. Il envisageait ce dernier comme un art pouvant rendre les hommes libres, précise Alexandre Grondeau, auteur de Reggae Ambassadors : La légende du reggae (la Lune sur le toit). C’est donc tout naturellement qu’il fréquentait des footballeurs partout où il se rendait. Alan « Skill » Cole, milieu offensif jamaïcain présenté par certains spécialistes comme le meilleur joueur que l’île ait porté, est celui dont Bob était le plus proche. Il était devenu son entraîneur particulier en même temps qu’il devenait son confident et l’un de ses meilleurs amis. »
Un autre événement inattendu va lui permettre d’encaisser un peu plus cet exil contraint loin de son île. Dans la foulée de la Coupe du monde de 1978, Tottenham, en pleine renaissance sous la conduite de Keith Burkinshaw, décide de recruter deux Argentins, Ricardo Villa et surtout Osvaldo Ardiles, débarqué tout droit du Club Atlético Huracán. Or le rasta clame partout son admiration envers ce dernier, une affection qui démontre à quel point, pour le chanteur, le foot est un art avant d’être une affaire de nationalité, lui qui ne jure en général que par le foot brésilien. « Alors qu’il était sur le « Kaya Tour », en 1978, Rob Partridge, l’attaché de presse de son label Island Records, connaissant son affection pour le « Ossie » Ardiles, a offert immédiatement un maillot de Tottenham à Bob Marley. C’est assez naturellement que l’auteur de « Concrete Jungle » s’est attaché au club » , prolonge Alexis Grondeau. L’époque n’est pas trop sale de toute manière sur les terrains britanniques dont les équipes règnent sur le foot européen, même si les comparses de Glenn Hoddle devront se contenter pour leur part de la Coupe UEFA en 1984. On peut souligner que le club, à la différence des autres formations londoniennes, compte déjà quelques supporters « de couleur » dans les tribunes. Et qui sait, cette Magen David omniprésente dans les travées de White Hart Lane ne devait pas déplaire à celui qui voyait dans le peuple noir le digne héritier des tribus d’Israël et de la reine de Sabbat.

La légende veut que ce sera aussi le foot qui révèlera son cancer à la suite d’une blessure à l’orteil lors d’une partie en mai 1977 sur le stade Suffren, en face de l’hôtel Hilton à Paris. Continuant ses tournées exténuantes et sans se soigner par conviction religieuse, il décédera le 11 mai 1981. La disparition du plus célèbre et discret fan des Spurs.

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