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Bleus : prouver que la leçon suisse a été retenue
Après un premier tour qui n'a vu aucune équipe faire de carton plein et où seulement trois nations ont réussi à gratter plus de six points, l'équipe de France se lance ce dimanche dans son autre tournoi, face à la Pologne, pour un huitième de finale qui pourrait être le dernier match du mandat de Didier Deschamps. Si les Bleus s'avancent avec un paquet de certitudes, cette rencontre doit surtout être l'occasion de prouver que la leçon de la Suisse a été retenue.
Il faut les voir se relayer depuis quelques jours devant micros, caméras et enregistreurs, et présenter au monde cette drôle de bête dont on ne cesse de leur parler en long et en large. À ceux qui auraient passé les dernières 72 heures enfermés au fond d’une grotte, les Bleus ont en effet adopté cette semaine un nouveau membre : « l’autre compétition ». Un membre omniprésent, qui a su se faire une place au chaud dans toutes les têtes, toutes les jambes, toutes les discussions. Partout. Il est même venu s’inviter face à la presse, samedi, au milieu d’une leçon de langue de bois offerte par Didier Deschamps : « Écoutez… Bon, c’est une autre compétition qui commence, qui n’est pas la même que la première, où on a trois matchs sûrs. Là, pour faire en sorte qu’il y en ait un autre derrière, ça passe évidemment par le match de demain. C’est des matchs couperets, pour toutes les équipes qualifiées, dont la Pologne et nous. C’est déjà quelque chose d’être là, mais maintenant, c’est une gestion pour aller au bout et atteindre notre objectif. » Plus beau slalom, tu meurs.
Depuis le temps, on a fini par s’habituer : plus ces types montent les marches, plus ils se transforment en robots avides de compétition, d’adrénaline et refusent de faire dans le sentiment. On y est. Dimanche, les grandes affaires commencent pour l’équipe de France, attendue au stade Al-Thumana de Doha pour disputer un huitième de Coupe du monde avec une Pologne dont le sélectionneur, Czesław Michniewicsz, a rapidement chassé les romantiques en affirmant ne pas avoir « les joueurs pour faire le jeu ». Cela n’a pas empêché les Biało-Czerwoni, entre autres portés par un Wojciech Szczęsny monstrueux, de se frayer un chemin jusqu’au deuxième tour, et voilà pour la première fois depuis longtemps les Bleus face à une voie à deux issues. À gauche : un quart de finale face à l’Angleterre ou au Sénégal. À droite : un retour direct pour Paris avec, au passage, un très probable point final posé au mandat de Didier Deschamps.
« On ne peut pas sortir de la rencontre »
Le sélectionneur français y pense-t-il le matin en se rasant ? Publiquement, il le jure : pas le moins du monde. Le fait est pourtant qu’à partir de dimanche, chaque match disputé peut être le dernier d’une histoire débutée en juillet 2012. On se dit quand même qu’il faudrait un ouragan pour voir se heurter au bloc polonais cette équipe de France, deuxième plus grande productrice d’expected goals d’un premier tour où elle a passé son temps à empiler les tirs (48 en trois matchs là où la Pologne n’en a tenté que 16, soit le 31e total des 32 équipes présentes lors de la phase de poules) et les centres, et qui a retrouvé une partie de son côté impénétrable face au Danemark (2-1) – la première période a été un modèle du genre, la seconde période a vu les Bleus se relâcher un peu dangereusement. On se disait aussi la même chose avant de la voir bavarder avec la Suisse le 28 juin 2021, à Bucarest. « Je pense que ce jour-là, on a été trop relâchés quand on menait, a reconnu Antoine Griezmann, vendredi. À 3-1, on a cru que c’était plié, mais dans les grandes compètes, tu te rends compte que c’est difficile, qu’il n’y a pas d’adversaire facile, que rien n’est joué d’avance, qu’il ne faut rien lâcher. »
Samedi, Hugo Lloris, qui s’apprête à égaler le record de sélections de Lilian Thuram, en a remis une couche : « On en a beaucoup parlé les mois qui ont suivi l’Euro. Sur un match aussi important, on ne peut pas sortir de la rencontre. Il faut les jouer pleinement, quel que soit le scénario. » Depuis le début de ce Mondial, ces mecs répètent que la leçon a été apprise, qu’il n’y a « plus de petites nations » et qu’on ne les reprendra plus au piège. Ils ne cessent aussi d’évoquer un groupe qui « vit bien », même si la semaine a vu Benjamin Pavard se faire secouer publiquement par Didier Deschamps après le match face à la Tunisie. Avant ce huitième, il est quand même de bon ton de repenser aux propos tenus par Hugo Lloris avant le Danemark : « On jugera vraiment ce groupe quand on aura affronté des difficultés. » S’il a connu quelques secousses face aux Danois et a vu un onze baroque se faire tourner par la Tunisie jusqu’à l’arrivée du duo Griezmann-Mbappé, difficile de dire qu’il s’est vraiment retrouvé dos au mur. Ainsi, prudence.
Les pieds qui parlent
Prudence, et silence. Mercredi soir, Kylian Mbappé, passé en quatre ans du statut d’apprenti à celui de jeune tuteur (Randal Kolo Muani a avoué jeudi discuter zone d’appels et sang-froid devant le but avec l’attaquant du PSG), a de nouveau rejoint le bus des Bleus sans un mot ni un regard vers les journalistes présents dans la zone mixte du stade Education City, à Al Rayyan. Après l’Australie et le Danemark, malgré un prix de MVP reçu au terme des deux rencontres, l’un des plus gros déclencheurs du premier tour (14 tirs, 50% de cadrés, 3 buts, mais aussi 18 centres, soit le deuxième plus haut total du tournoi) et homme autour de qui l’animation offensive tricolore a été construite n’a pas parlé et a même laissé la FFF payer une amende à la FIFA pour son silence (l’homme du match a normalement l’obligation de se présenter en conférence de presse).
Jusqu’ici, Mbappé, qui ne souhaite pas faire de la pub pour le sponsor du trophée d’homme du match (Budweiser), est l’homme dont tout le monde parle, mais qui ne parle pas. Peu importe, au fond, tant que, comme Zidane en 2006, ses pieds parlent. Griezmann, vendredi : « Il parle beaucoup, met de la joie de vivre. Par rapport à 2018, il est plus « dans » le groupe. Il sait qu’il est important pour nous, que chaque geste qu’il fait sur le terrain ou en dehors va être regardé par les fans, les journalistes et ses coéquipiers. » Et Kylian Mbappé, dont l’association avec Antoine Griezmann est pour le moment bluffante, assume autant qu’Ousmane Dembélé se replie avec sérieux et qu’Upamecano s’est construit un siège de titulaire indiscutable aux côtés de Varane, qui sera tout de même à regarder de près après son match de la Tunisie. Dimanche, alors qu’arrivent les matchs où la respiration est de plus en plus difficile, où les jambes tremblent et où l’unité des individus est mise à nu, toute cette bande a l’occasion de donner une couleur à cette drôle d’aventure. Tout commence vraiment au moment où tout peut aussi s’arrêter : qui n’a pas envie de se mettre près du feu ?
Par Maxime Brigand, à Doha