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Bleus : l’esquive du style
Un match de Coupe du monde et c’est reparti : la question du style est de retour, avec sous le bras l’identité de jeu, plaçant Didier Deschamps sous le feu de critiques dont il n’a pas que l’habitude. Et si l’on arrêtait le fantasme ? En réalité, le sélectionneur des Bleus ne cesse de répondre à ces interrogations : cette équipe de France est une équipe de son époque, basée sur la répétition permanente d’improvisations dans un schéma dont elle se fiche pas mal. Où la gagne et le combat se baladent en couple, naturellement.
La porte a été ouverte juste avant la victoire face à l’Australie (2-1), samedi dernier : « Le style de jeu, ça veut dire quoi ? Combien d’équipes disputant le Mondial peuvent se prévaloir d’un style constant ? Une. » L’Espagne, accrochée par le Portugal (3-3) la veille de l’arrivée sur scène des Bleus à Kazan, c’est tout. Point. Que faire quand on a le ballon ? Quelle image souhaite-t-on renvoyer à l’adversaire ? Comment l’annuler, le déséquilibrer, l’abattre en somme ? Casse-tête sans fin de la vie de l’entraîneur de foot, qui reste un motivateur avant d’être un créateur (les joueurs entrent dans les concepts), un homme dont le rôle est de réussir à faire combiner des sensibilités différentes, notamment en sélection, ce qui implique forcément une capacité psychologique avancée. Dans ce cadre, voilà Didier Deschamps, premier coach de France, débarqué dans le circuit pour ce que le foot a de plus primaire (la pelouse, l’entraînement, le ballon, la victoire), vulnérable hors de ces limites, un cas à lui tout seul. Soit un type qui n’a « pas de certitudes » , que « des convictions » dont la liste commence et s’arrêterait à l’issue : la gagne, le résultat. Le suiveur a fini par s’y habituer : avec Deschamps, c’est l’instantané, pas de place à la nostalgie, ni à la projection. La victoire au-dessus de l’esthétisme : ainsi, c’est le football sauvage qui prend le pouvoir.
« Des automatismes, pffiou… »
Au lendemain du succès des Bleus à Kazan, Didier Deschamps a pourtant secoué ses hommes dans une salle, avec la vidéo comme support : d’accord pour avancer à « la gagne » (ligne directrice du projet selon ce qu’en a dit Benjamin Mendy en conférence de presse la semaine dernière), mais sur le terrain, le sélectionneur souhaite des gars à son image. Des mecs dans le combat permanent et qui ne rechignent pas dans le pressing, outil essentiel qui peut devenir « le meilleur meneur de jeu du monde » (Klopp) si l’on s’en sert correctement. Il n’a pas vu ça contre l’Australie et l’a fait savoir, notamment à la triplette Griezmann-Dembélé-Mbappé, qui aura en plus passé une large partie de la rencontre à se courir dans les pattes. Lundi, Blaise Matuidi est alors venu expliquer à tout le monde « les difficultés » connues par le 4-3-3 tricolore dans le secteur : « Il faudrait qu’on en discute. On a déjà commencé entre nous, pour savoir ce que l’on doit mettre en place dans ce genre de confrontations. » Heureusement, N’Golo Kanté a poussé un peu plus loin la réflexion : « C’est un travail d’équipe. Ça commence par les attaquants, tout le monde doit être concerné et penser de la même manière.(…)Mon ressenti, c’est que dans la possession et dans les transmissions, il y a des choses à travailler. » Ce manque de communication et de coordination a surtout débouché sur un manque, « un trou au milieu » (Lucas Hernandez), ce qui correspondait à la place occupée par Antoine Griezmann dans le 4-4-2 de la préparation. « Des joueurs comme Antoine, Raphaël et Paul doivent plus parler pour qu’on voie qu’on n’est pas une équipe de D2 » , a résumé le latéral de l’Atlético. Ambiance et fouillis.
Une équipe de son époque
Sans surprise, l’équipe de France n’a pas changé et reste une sélection, portée par ses individualités, qui ne possède pas un plan de jeu prédéfini : ça ne sert à rien, c’est l’idée avancée. Ce qu’on voit : un spectacle d’improvisations dans un schéma qui n’aurait aucune importance selon son metteur en scène. Vraiment ? « Avoir des affinités, c’est déjà difficile, mais alors des automatismes, pffiou… » , glissait Didier Deschamps à L’Équipe mag en début d’année. Bingo : le style de jeu à la française est un mirage, n’a jamais existé et n’existera jamais. La France du foot, ce n’est pas ça, c’est autre chose : un vaste méli-mélo sans ADN clair. Le jeu de possession est espagnol, la contre-attaque tirée d’une récupération de balle rapide est allemande. « On n’a jamais eu d’identité de jeu. C’était quoi notre style de jeu en 1998 ? » , demandait il y a peu Frank Lebœuf. Petit : « Gagner les matchs. » Deschamps est de cette école, mais est aujourd’hui coincé dans un paradoxe : le produit qu’il a entre les mains est l’anti-France 1998. La version 2018 de l’équipe de France est un cocktail brûlant : des attaquants qui permutent sans cesse devant, mais ne bossent quasiment pas défensivement (Kylian Mbappé a avoué récemment que c’était son plus gros chantier), un bloc-équipe souvent fracassé en deux. Une équipe de son époque, définitivement.
« Je ne sais pas l’idée précise du football français »
C’est le moment où s’invite l’axe d’évolution principal des Bleus : l’effort avant le talent, le boulot sans ballon, l’heure des battants donc. Hugo Lloris, dans L’Équipe, avant le Mondial : « Quelle est la vraie philosophie de jeu française ? Moi, je ne saurais pas répondre. Pourtant, je regarde les matchs de l’équipe de France depuis vingt ans, ou je les joue, et je ne sais pas l’idée précise du football français. Des équipes athlétiques, avec des talents au-dessus du lot, oui, mais après ? L’Espagne ou l’Allemagne ont une autre perception du football, mais nous, à chaque fois que cela s’est bien passé, voilà ce qu’on a vu : des battants, prêts à souffrir, à laisser tout ce qu’il faut sur le terrain pour gagner. On a besoin de ça. » Deuxième lame : « Autour de nous, tout le monde passe son temps à parler technique, tactique, mais ce qui compte vraiment, c’est l’envie au fond de soi de s’arracher. Il y a des nations qui font des grands tournois, sans avoir de grands joueurs, parce qu’elles donnent tout. On peut s’inspirer d’elles : il faut donner à l’équipe un peu plus que son talent. Et si tu es éliminé avec ces valeurs-là, on ne te le reprochera pas, ou moins. Qu’est-ce que vous attendez, au fond ? D’abord, une équipe combative. Qui a envie de voir une équipe où des joueurs, au bout d’un quart d’heure, commencent à ne plus défendre ? Vous n’avez pas envie de voir ça. Et moi non plus. Et le coach non plus. »
Ce qu’on a vu en fin de match contre l’Australie, justement, Olivier Giroud permettant à Deschamps de ressortir sa formule gagnante de l’Euro. Cette Coupe du monde n’est pas l’heure d’une nouvelle révolution française, il faut en prendre conscience, mais cette équipe doit désormais entrer dans le rythme de la compétition, la grande : celle qui exige de prendre un adversaire et de s’adapter à ses caractéristiques. Didier Deschamps a manqué son pari contre l’Australie sur ce détail, mais s’apprête à souffler sur le Pérou en mettant d’abord Antoine Griezmann dans les meilleures conditions – c’est lui le patron technique, désolé Paul, et le parcours tricolore dépendra largement de la liberté qui lui sera donnée –, mais en ressortant surtout le 4-2-3-1 de la fin d’Euro 2016. Une première depuis plusieurs mois qui devrait permettre à Blaise Matuidi de se refaire une place dans le onze, dans une position d’ailier gauche pour éteindre un côté droit péruvien destructeur, Carrillo en tête. Fini la philosophie, place au combat : c’est encore le thème de ce Mondial.
Par Maxime Brigand