- Mondial 2022
- 8es
- France-Pologne (3-1)
Bleus : les rois de la clim !
Les Bleus sont en quarts de finale de la Coupe du monde. Bravo à eux. Seulement, alors que quatre des sept matchs espérés ont été disputés, difficile de sentir que cette équipe est animée de la même âme que celle de 2018, tant elle semble mécanique et montée pour alimenter son cyborg à elle : Kylian Mbappé.
Tout est toujours une question de ressenti. Alors que le thermomètre affichait ce dimanche à Paris un timide quatre degrés, il y en avait vingt de plus à Doha à la même heure. Si en France, quelques corps gelés ont pu se réchauffer avec la qualification tricolore au tour suivant, les Bleus ont à l’inverse refroidi pas mal de monde au Qatar. La Pologne de Czesław Michniewicz d’abord, dont le « plan réfléchi » a été anéanti juste avant la mi-temps par un tenant du titre jusqu’alors contrarié. Le stade Al-Thumama ensuite, heureusement déjà moins climatisé qu’à l’accoutumée et dont le public parsemé a compris dans la foulée du premier des deux buts de Mbappé qu’il n’y aurait plus de surprise dans cette partie. Et la narration enfin. Le score de 3-1, le record de Giroud, le doublé de Mbappé, voilà ce qu’on retiendra de cette rencontre. Ces faits sont évidemment positifs et laissent penser que cette sélection peut prétendre à un bel avenir dans cette compétition, mais à l’heure de se tourner vers les quarts, il manque quelque chose pour qu’elle emporte complètement l’adhésion et la sympathie du monde entier. Quelque chose de l’ordre de l’émotion, certainement.
Tout, tout, tout, vous ferez tout pour le Kyky
Impossible de ne pas repenser à 2018, puisqu’il est question de reproduire le même exploit, et de se dire que les histoires, quelle que soit l’issue de celle-ci, sont déjà bien différentes. Il y a quatre ans, 23 garçons débarquaient en Russie, gonflés avec toute l’ambition que peut avoir un vice-champion d’Europe, mais avec encore beaucoup de choses à prouver. Les trajectoires de chacun, leurs caractéristiques, leurs défauts conféraient à ce casting un caractère rafraîchissant. Un dabeur, un tricheur, un prodige, un sage, un casseur de démarche, un chambreur, un DJ, un bâtard, un fan de Koh-Lanta, un capitaine, un guerrier, quelques coiffeurs : tous les corps de métier du football y étaient représentés. Cette année, 26 hommes coiffés d’une couronne de champions du monde, alors que seuls 10 d’entre eux le sont vraiment, étaient attendus au Qatar avec tout à perdre. Après avoir mis fin à la malédiction, une fois évacué les enjeux mineurs que sont les records de longévité d’Hugo Lloris et de buts d’Olivier Giroud, il ne reste donc plus qu’un fil narratif à tirer : aller au bout.
Pour ce faire, à l’inverse du côté bigarré de la génération précédente, un bloc avec moins d’aspérités. Pis, plus il avance, plus ce collectif se mue en une escouade au service de sa star Kylian Mbappé. Lui, « cette star du futur » censée prendre la relève de Messi et Ronaldo, comme l’a souhaité le sélectionneur polonais après avoir avoué « ne pas avoir la recette magique » pour l’arrêter, est de l’aveu même de ses coéquipiers l’incarnation de cette équipe, quitte à ce qu’il aspire tout ce qu’il y a autour de lui. Amené à parler de la performance du double buteur et passeur décisif du soir, Adrien Rabiot ne dit pas autre chose : « C’est ce qu’on attend de lui, nous on charbonne derrière. » Ainsi vogue le navire bleu en 2022. Une figure de proue appelée à tout renverser sur son passage, dix machinistes occupés à faire tourner les turbines, quelques intérimaires pour les faire souffler de temps à autre et, tout au fond, en soute, des garçons qui n’auront plus rien d’autre à faire que d’observer les manœuvres depuis qu’ils ont été sacrifiés lors du match face à la Tunisie. Comme un symbole, le chouchou inattendu de 2018, Benjamin Pavard, est aujourd’hui le troisième choix à un poste sans spécialiste. Pour la petite histoire d’un groupe dans la grande histoire, on patientera.
Souviens-toi la frappe de bâtard
À Saint-Pétersbourg, le huitième de finale contre l’Argentine (4-3) avait été d’ailleurs LE match fondateur de l’épopée victorieuse. Grâce à son scénario dingue, le second poteau, la percée de Mbappé, Messi à terre, un premier gros mis au tapis, de l’émotion, des sourires spontanés, la fête, un acte fort après un premier tour compliqué. À Al-Thumama, ce huitième de finale, que Deschamps considère que « le match bascule », a pourtant été franchi par ses hommes comme une marche de plus. Avec sang-froid, avec la froide réussite de sa défense sur les frappes polonaises, avec la précision létale de Mbappé et la froide lecture des événements par l’unique prisme du résultat. L’écart de sensation avec 2018 s’explique probablement par le fait que monter sur le toit du monde n’est plus considéré comme un exploit, mais presque comme un devoir. Peut-être aussi parce que ces Bleus, plus que de se rapprocher de ceux de 2018, veulent surtout s’éloigner de ceux de 2021, qui se tiraient dans les pattes dans un huis clos pesant. « On ressent plus cette union, cette solidarité, en comparaison avec ce qui s’est passé à l’Euro, assurait Rabiot. Même ceux qui sont sur le banc et qui ne jouent pas sont concernés aux entraînements. » Comme des soldats, aux ordres de Deschamps et au service de Mbappé. Aujourd’hui, le mieux qu’on puisse souhaiter à cette équipe est donc que le prochain match lui serve un scénario rocambolesque. Histoire qu’on puisse enfin voir à quelles personnalités on a affaire.
Par Mathieu Rollinger, à Al-Thumama