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Bleus, le droit à la nuance

Par Maxime Brigand
9 minutes
Bleus, le droit à la nuance

Quatre jours après la défaite de l’équipe de France en finale de la Coupe du monde face à l’Argentine et alors que Didier Deschamps, en place depuis juillet 2012, n’a toujours pas annoncé officiellement s’il voulait repartir ou non pour un énième tour, une question mérite d’être posée : dans le jeu, les Bleus ont-ils vraiment réussi leur Mondial ?

Assis sur les hauteurs d’un hôtel parisien au début du mois de mai dernier, quelques heures avant la finale de Coupe de France entre l’OGC Nice et le FC Nantes, Didier Deschamps n’esquive rien. Le rendez-vous a été calé de longue date avec un objectif simple : dresser à ses côtés, et non loin de son staff, un grand bilan de ses dix ans passés dans le fauteuil le plus convoité et le plus brûlant du pays. Tout y passe : les débuts, sa potentielle frustration de ne plus poser de coupelles tous les matins, les leviers de son management, l’échec face à la Suisse subi moins d’un an plus tôt, le succès de 2018… Sa vision du jeu est également au centre de cet entretien. Deschamps la livre par morceaux. Première question : comment monter un projet de jeu cohérent avec des joueurs qui évoluent toute l’année sous les ordres d’entraîneurs ayant tous des sensibilités différentes ? Pas simple, mais « mon travail n’est pas d’aller à l’encontre de ce qu’ils connaissent en club, répond le sélectionneur tricolore, à So Foot. Il y a deux alternatives pour un sélectionneur. Soit opter pour un moule fixe dans lequel je cherche à faire entrer mes joueurs coûte que coûte, soit s’adapter aux qualités de chacun. Je suis de la deuxième école. Mon objectif est que chaque joueur évolue dans sa zone préférentielle, dans la position où il est le plus à l’aise. (…) Je ne me suis jamais dit que ce serait dans tel système et pas autrement. » Dans la foulée, Didier Deschamps concède une gestion à « la forme du moment » et lâche, un peu plus tard, après une question posée sur la réussite d’une Italie victorieuse de l’Euro après des mois et des mois passés à répéter les mêmes circuits dans un même système, ceci : « Le succès à l’Euro a donné raison à Roberto Mancini, mais avec la non-qualification au Mondial, est-ce que ça lui donne toujours raison ? Moi, j’ai choisi de prendre une autre direction. Ils ont eu raison en 2021, on a eu raison en 2018, et à la fin, c’est le résultat qui tranche. » Une vieille histoire : celle du résultat roi. Cela semble pourtant parfois un peu trop simple.

Le « bien jouer »

Deschamps le répète depuis la nuit des temps. À ses yeux, le résultat est le seul juge de paix. On peut, de l’extérieur, raisonnablement voir la chose comme un piège : en abordant la chose ainsi, le sélectionneur des Bleus, en poste depuis juillet 2012, se retrouve emprisonné par la victoire. En résumé : si l’équipe de France gagne, il a raison, et si elle perd, il a tort. Humblement, et l’histoire l’a déjà prouvé, il est tout de même possible d’affirmer que le foot est un poil plus complexe, que le résultat ne fait pas tout, qu’il peut tromper sur le contenu d’un match, et cette Coupe du monde 2022 est sans doute l’un des meilleurs objets pour débattre de la chose. Quatre jours après la défaite de l’équipe de France en finale face à l’Argentine, alors que l’on discute encore beaucoup des émotions ressenties – elles ont été exceptionnellement hautes – et d’un scénario cruel, il est tout de même probablement l’heure de prendre du recul sur ce que ce groupe a su proposer, ou non, au cours du mois écoulé. Tout d’abord, un point ne bouge pas d’une compétition à l’autre : offensivement, les Bleus ont de nouveau su maximiser leurs temps forts au Qatar, et ce, grâce notamment à un Kylian Mbappé dont les épaules solides ont porté 90% du projet offensif. Au cours du voyage, Adrien Rabiot l’a vite assumé ainsi : « On charbonne et on attend que Kylian fasse le boulot devant. » Comme Didier Deschamps le dit souvent, et il a raison, il n’existe pas une voie unique pour arriver au succès. En 2022, l’équipe de France, qui a dû affronter un paquet de pépins à l’heure de filer défendre son titre de championne du monde, avait choisi une route simple, ce qui a néanmoins conduit au bridage de plusieurs pions. Dans cette Coupe du monde, Antoine Griezmann et Ousmane Dembélé, deux créatifs, ont, par exemple, passé plus de temps à assurer la sécurité de la maison qu’à la décorer.

Didier Deschamps n’est pas dans la mécanique. Il est dans le mental. La force de son équipe de France, c’est son unité.

« Et alors ? », pourrait répondre Deschamps, puisque les Bleus ont été jusqu’en finale malgré cette formule si paradoxale et souvent très déséquilibrée (Mbappé a souvent été décroché des tâches défensives pour lui permettre de garder 100% de son jus afin d’attaquer l’espace ouvert à la récupération du ballon, ce qui a demandé des efforts colossaux à Adrien Rabiot et à Antoine Griezmann). Alors, ouvrons le débat : au-delà des buts marqués (16, aucune sélection n’en a planté autant) et des palpitations cardiaques, l’équipe de France a-t-elle seulement bien joué dans cette Coupe du monde ? Il est possible, et même si cela n’est pas audible par la grande majorité à la suite du parcours réussi par les Bleus, de répondre non. L’idée n’est pas ici de parler d’identité de jeu – il est très difficile d’en installer une en sélection, même si pas mal de nations réussissent à le faire -, mais plutôt de revenir à la base du « bien jouer » . Bien jouer, c’est bien interpréter son plan et proposer un ensemble cohérent, sans dégager l’impression d’un jet de pièce en l’air trop fréquent. Bien jouer, c’est finalement ce qu’a réussi à faire l’équipe de France en 2018 en tenant son projet de jeu et en frustrant ses adversaires pour mieux les piquer. Bien jouer, c’est aussi ce qu’a réussi à faire l’équipe de France en 2022 face au Danemark dans ce Mondial : un match complet, solide, réconfortant. Cette copie contre les Danois n’aura malheureusement été qu’une anomalie plus que le début d’une série, car derrière, les Bleus n’ont jamais vraiment réussi à briller durablement dans ce qui était leur projet de base dans ce tournoi : laisser le ballon aux adversaires, se replier en bloc bas, poser des filets pour récupérer le ballon dans des zones ciblées et appuyer sur des transitions rapides via Mbappé.

« Deschamps est dans l’imparfait efficace »

Il est possible de bien jouer au football sans avoir le ballon, mais cela demande de la cohérence, et tout au long du deuxième tour de ce Mondial, l’équipe de France aura réussi l’exploit de s’en sortir sans une grande cohérence, récupérant plus le ballon en catastrophe que grâce à une animation défensive parfaitement tenue, et à la puissance de ses individualités. Dans le numéro bilan de cette Coupe du monde, qui sort jeudi dans les kiosques, Philippe Troussier l’explique avec les mots suivants : « Didier Deschamps n’est pas dans la mécanique. Il est dans le mental. La force de son équipe de France, c’est son unité. Qu’elle joue contre la Belgique, le Brésil ou le Vietnam, elle ne tient pas compte du rapport de force. Elle avance à la dynamique, à l’esprit. Deschamps est dans l’humain, pas dans le business plan. Il n’est pas dans le beau, il est dans l’efficace. C’est l’essence du coaching : il veut gagner et décide donc en fonction de ce qu’il ressent sur le moment. Il est dans l’imparfait efficace, alors que beaucoup d’autres sont dans le parfait inefficace. » La finale contre l’Argentine n’a pas raconté autre chose : Didier Deschamps s’est raté dans son approche, puis on a de nouveau vu les Bleus en difficulté pour imposer un pressing bien ficelé (alors que l’Argentine déteste ne pas être dans le confort) et laxistes entre les lignes, en partie à cause de certains comportements individuels (Varane a, par exemple, souvent été dans la réaction plutôt que dans l’anticipation). Le sélectionneur tricolore a ensuite su être sauvé par l’énergie amenée par ses entrants (Coman, Camavinga, Thuram, Kolo Muani), plus que par un réel changement de plan.

Cela aurait pu suffire pour arracher une troisième étoile, mais cela ne doit pas totalement mettre de côté le fait que l’équipe de France a été éteinte pendant 80 minutes lors d’une finale de Coupe du monde, qu’elle a été tenue par les sauvetages de Konaté et Griezmann durant près d’une heure face au Maroc, que Harry Kane aurait pu punir ses limites dès les quarts de finale et même que la Pologne l’a secouée un temps. Faut-il pour autant tout jeter ? Non, mais il faut sortir un temps – définitivement, si on peut, ce qui permettrait de sortir de la simple « vérité qui est toujours dans les deux surfaces » – du résultat roi. Il faut aussi reconnaître que les deux dernières compétitions disputées par les Bleus ont été traversées sur un fil ténu, lors desquelles les individualités ont sorti des lapins de leur chapeau alors que ce Mondial a sacré l’Argentine d’un Lionel Scaloni qui a su adapter tout au long de la compétition ses plans de départ aux scénarios ou a vu le Maroc accéder au dernier carré à la force d’un projet collectif millimétré que l’on aurait aimé voir face aux Bleus avec tous ses boulons originels (Aguerd n’a pas pu prendre part à la bataille et Saïss seulement vingt minutes). L’action plutôt que la réaction, être maître de son match plutôt que s’adapter à la façon dont il tourne, c’est aussi du coaching. La Coupe du monde a beau avant tout être la compétition des joueurs, elle demande toujours un minimum de cadre. Au moment d’évoquer la suite, même si Deschamps, qui restera l’homme qui a su faire ressortir les gens dans la rue pour son équipe nationale et dont le bilan est dans tous les cas aussi unique qu’historique, a la main sur son avenir, il ne faudra pas oublier que derrière la finale, les imperfections ont été importantes et qu’elles ne datent pas d’hier. Zinédine Zidane ferait-il mieux ? Son Real n’a pas toujours été le plus enthousiasmant, mais peut-être que oui, peut-être que non. Pour le moment, parlons surtout de cette Coupe du monde et de ce qu’elle a dit, derrière les chiffres, du fonds de jeu de cette équipe de France. Alors, on repart pour un tour ?

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L'intégralité de l'interview bilan de Didier Deschamps est à retrouver dans le SO FOOT #197.

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