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Bleus : Karim Benzema, une épine retirée ?
Alors que l’attaquant du Real Madrid, touché à la cuisse gauche, a été contraint de quitter le groupe France dimanche matin, Didier Deschamps se retrouve dans une position idéale pour réinstaller sa formule gagnante de l’été 2018 et redéposer sur la table ce qu’il veut retrouver depuis plusieurs mois : un bloc solide et plus équilibré.
La sentence est tombée en plein mois d’août, en 2021, plus de cinquante jours après la gamelle de Bucarest face à la Suisse, que Didier Deschamps a toujours voulu résumer à « dix petites minutes ». Toujours, sauf une fois, lors d’un long entretien donné à L’Équipe, où le sélectionneur des Bleus avait concédé ces mots sur son changement de système post-victoire inaugurale contre l’Allemagne et nul contre la Hongrie lors du dernier Euro : « Je l’ai fait parce que même si on a été très solides, l’Allemagne a eu de la maîtrise et que je voulais améliorer l’aspect offensif dans la créativité. Je voulais qu’on essaye d’être un peu plus brillants en sachant qu’on allait être moins solides. À l’arrivée, il vaut peut-être mieux être un peu moins brillants, mais plus solides. » Comment ? Après une compétition passée à jongler entre les formules sans que cela n’empêche durablement son bloc de se faire percer en plein cœur, Deschamps aura d’abord misé pendant plusieurs mois sur un 3-4-1-2 avant tout pensé pour rapprocher au maximum son trio offensif à l’intérieur du jeu sans que cela n’apporte de réponses très convaincantes lors des phases sans ballon, à l’exception notable d’une mi-temps face à la Belgique à Turin, en octobre 2021, et de quelques séquences contre l’Espagne, quelques jours plus tard. Cette équipe de France n’a jamais été une équipe de pressing haut et n’a, ces dernières années, globalement été cohérente défensivement que lorsqu’elle est revenue à un 4-4-2 compact, uni, connecté, serré.
Position moyenne sans ballon de l’équipe de France en 2018.
En Russie, il y a plus de quatre ans, c’est avant tout lui, notamment la force de son carré intérieur formé par le quatuor Varane-Umtiti-Kanté-Pogba, qui permettait aux Bleus de briller sous les vagues et de déclencher ensuite les rouleaux grâce aux lancements de Paul Pogba, au cerveau d’Antoine Griezmann et à la vitesse de Kylian Mbappé. Quelques jours avant de se pointer au Qatar, l’objectif annoncé de Deschamps a alors été clair. L’heure est venue de ressortir les lances. Le sélectionneur l’a bombardé en premier le jour de sa liste : « On a eu une longue réflexion avec le staff, quelques discussions avec certains joueurs, et on a décidé de revenir à une défense à quatre. On a fait de bonnes choses à trois, de très bonnes choses parfois, mais on a aussi été très souvent en déséquilibre, et je ne sais que trop bien que pour exister dans une grande compétition, il faut être solide sur le plan défensif. Je suis convaincu que c’est notre meilleure option. » Puis il a été relayé par certains héros de 2018, Hugo Lloris – « L’objectif, à travers ce tournoi, va être de retrouver une certaine solidité » – et Lucas Hernandez – « Tout le monde a faim. On aura des matchs de foot, mais aussi des combats, donc il faudra de bons guerriers et être rigoureux sans ballon. Après, on sait qu’on a des attaquants qui peuvent marquer à chaque moment. » Depuis samedi soir, l’équipe de France, déjà privée au milieu d’un duo Pogba-Kanté invaincu ensemble depuis la finale de l’Euro 2016, en a un de moins : son Ballon d’or, Karim Benzema, touché à la cuisse gauche et qui a dû déclarer forfait dans la nuit pour l’ensemble de ce Mondial 2022. Un mal ? Oui, mais peut-être aussi pour un bien.
Le retour du #pivotgang ou une place pour Rabiot ?
Il est naturellement étrange d’être positif lorsque, à deux jours de son premier match dans une Coupe du monde, un tenant du titre perd l’un de ses meilleurs attaquants, qui plus est lorsqu’il est dans la forme de sa vie et qu’il possède un CV aussi complet qu’unique (relais en mouvement, qualité de jeu de tête rare, calme dans la surface, lecture du jeu assez phénoménale). Il faut pour autant se souvenir que sans Karim Benzema, l’équipe de France a été battue au Danemark (2-0), mais a aussi livré l’une de ses rencontres les plus pleines de 2022, face à l’Autriche (2-0), en septembre. Cette soirée, comme une autre contre l’Afrique du Sud (5-0), fin mars, avait vu Kylian Mbappé et Olivier Giroud se connecter les yeux fermés devant Antoine Griezmann. Mieux, Mbappé s’était ensuite pointé dans la zone mixte du stade de France pour louer le deuxième meilleur buteur de l’histoire du pays et mettre par ricochet un taquet au PSG : « Ici, j’ai beaucoup plus de liberté qu’en club. Le coach sait qu’il y a un numéro 9 comme Olive, qui occupe les défenses, et que moi, je peux me balader et aller dans l’espace. »
Les chiffres de cette nuit racontaient alors beaucoup de choses : Mbappé avait tiré sept fois au but (pour trois frappes cadrées et un but), tenté quatorze dribbles pour sept réussis (soit autant que face à la Belgique au Mondial 2018) et touché un peu moins de 90 ballons, presque un record dans sa vie tricolore. À deux jours de croiser le fer avec l’Australie, voilà où en est Didier Deschamps : si la perte de Benzema, qu’il a jusqu’ici peiné à pleinement réintégrer dans les circuits malgré quelques moments géniaux, est naturellement un coup dur pour le groupe – « Je l’ai eu par messages, il était dépité » (Eduardo Camavinga, samedi) -, elle place surtout le sélectionneur dans une position idéale pour réinstaller sa formule gagnante de l’été 2018 et va lui permettre de retrouver une meilleure stabilité dans son animation défensive. Sur ce point, une épine du doigt vient de lui être retirée.
L’attaquant du Real, qui n’a pas été remplacé, laissant alors Deschamps sans meneur créatif back up à Antoine Griezmann, a beau ne pas être un cas à problème, il reste un joueur à statut, et le fait de n’avoir désormais plus qu’un seul élément dans ce cas – Kylian Mbappé, dont le jeu a grandement évolué depuis 2018 – devrait offrir une latitude plus importante au premier entraîneur de France dans son animation offensive – une histoire de zones préférentielles et d’habitudes de jeu des différents profils en place – et lui permettre d’une certaine manière de renforcer les équilibres de son groupe. Reste désormais à savoir qui sera le quatrième offensif choisi par Didier Deschamps : Ousmane Dembélé, loué par tout le monde depuis le début du rassemblement, à l’image de Youssouf Fofana, venu vendredi évoquer « le danger permanent dans les 30 derniers mètres face à qui on ne sait pas quoi faire » que représente l’ailier du Barça ? Kingsley Coman, qui offrirait peut-être plus de garanties sur le plan défensif ? Adrien Rabiot, dans le rôle du joueur hybride équilibrant façon Blaise Matuidi 2018 ? Le problème du milieu de la Juventus est qu’il évolue côté gauche là où Deschamps a besoin d’un pion côté droit. Peut-on alors imaginer voir Mbappé prendre la pointe à la place de Giroud pour faire une place à Rabiot à gauche ? Difficile à croire, pour le moment. « Je me méfie du copier-coller, glissait Deschamps il y a quelques jours à l’AFP. Je n’aurais pas la prétention de dire aujourd’hui que je sais ce que je dois faire, mais au moins, je sais parfois ce que je ne dois pas faire, et ce n’est déjà pas mal. » Quelque chose dit quand même qu’il sait très bien ce qu’il veut voir : resserrée face aux vents, l’équipe de France, qui a pris l’habitude de commencer les compétitions avec un masque avant d’en changer en cours de route, se prépare dans un premier temps à ressortir sa robe favorite.
Par Maxime Brigand, à Doha