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Bleues : l’excitation du vide
Deux ans après la déception de l'Euro 2017, l'équipe de France retrouve la compétition et ouvre son Mondial face à la Corée du Sud, vendredi soir au Parc des Princes. Un succès ouvrirait la route, mais les Bleues ont un vertige à appréhender.
« Honnêtement, pas grand-chose. » Des sourires en coin dans la salle, un autre discret sur le visage de Corinne Diacre. À sa gauche, Amandine Henry, capitaine des Bleues, préfère se pencher au-dessus de l’affaire et accepte le vertige qui se présente à elle. Alors, qu’est-ce que ça fait ? « Franchement, moi, je me suis fait un petit film. J’ai imaginé un stade plein, une belle performance, les émotions… Je ne sais pas comment ça va se passer et même si je sais qu’il ne faudra pas rêver et être présente, c’est un rêve éveillé. »
Sur les coups de 11 heures, jeudi matin, les Bleues ont découvert le Parc des Princes et tout ce qui va avec : le changement de mesure, de décor, le début d’une aventure unique. Dans un entretien donné à L’Équipe cette semaine, Diacre a pourtant prévenu : « On ne va pas se gêner pour changer l’histoire. » Et on a envie de croire la sélectionneuse, figure de proue éternelle du football féminin français devenue responsable d’une colonie de rêveuses qui cavalent depuis des semaines et des mois après un objectif fixé par Noël Le Graët : disputer la finale de la première Coupe du monde organisée en France, à Lyon, le 7 juillet prochain.
L’angoisse de l’ouverture
La route a commencé depuis longtemps, mais les choses sérieuses débutent vendredi face à la Corée du Sud, une sélection que l’équipe de France avait écarté facilement lors des huitièmes de finale du dernier Mondial (3-0) avant de tomber aux tirs au but en quarts de finale face à l’Allemagne. « Nous sommes prêtes » , affirme Corinne Diacre, et si, sportivement, les Bleues doivent assumer leur statut, le curseur du jour se situe ailleurs : dans l’invisible, l’émotionnel, ces joueuses n’étant pas habituées à courir dans une telle arène et sous une telle pression.
Diacre toujours : « Ce match va être notre première rencontre officielle depuis deux ans. Les filles en sont conscientes. Je peux anticiper plein de choses, mais je ne peux pas être dans la tête de mes vingt-trois joueuses. Je suis déjà dans la mienne. Seules elles ont la réponse maintenant. L’idée sera de ne pas être dans l’émotion, mais plutôt dans la performance. » La performance, justement : depuis une victoire contre l’Allemagne (3-0) en mars 2018, ces Bleues roulent sur à peu près tout le monde et n’ont été stoppées qu’une fois (par la même Allemagne, 0-1, en février dernier). Alors, jeudi, une question logique a été posée à Corinne Diacre : après la quatrième place de 2011 et la défaite en quarts de finale quatre ans plus tard, qu’est-ce qui lui fait dire que celle-ci est la bonne ?
« Absolument rien, a-t-elle répondu, bourrée de sincérité. Mais on a cette ambition. Je n’ai pas de baguette magique, mais on ne va pas nous reprocher d’être ambitieuses, en tout cas je ne l’espère pas. La clé, c’est de rester sérieuses et humbles, et là-dessus, vous pouvez compter sur nous. On a envie d’aller au bout, mais il y a des étapes bien avant. » La première sera de réussir à négocier un match d’ouverture à la maison, ce qui n’a jamais été simple pour les différentes équipes de France malgré les succès de 1984, 1998 et 2016. « C’est quelque chose que l’on appréhende, a relancé Diacre en apéro. Chacune vivra ce premier match comme elle aura décidé de le vivre. Après, en cas de non-succès, il nous restera deux matchs pour finir en tête de notre groupe.
Gagner est important, mais ce n’est pas primordial. » Du Corinne Diacre dans le texte : un mélange de maîtrise permanente, de rigueur et de leadership exacerbé. Depuis un mois, ses joueuses sont dans la fameuse « bulle » , une forme de couvercle qu’il faut désormais faire sauter alors que l’excitation du vide augmente.
« Avant d’être championne du monde… »
« Oui, on rêve d’être championnes du monde, toutes, mais avant d’en être là, il y a tellement de courses, de changements de direction, de passes, de frappes, glissait cette semaine Gaëtane Thiney. Mais ça va très vite, il faut en profiter. » Et croquer dans ce moment historique, unique, cette équipe étant, comme son pendant masculin, habitée par une forme de foudre qui est sa signature la plus probable. Ces Bleues sont peu intéressées par le dogme de la possession et chercheront avant tout à fermer la boutique, ce que ne cachait pas Diacre dans L’Équipe : « Je travaille d’abord dans le système défensif. Si on ne prend pas de but, on ne perd pas. Une fois qu’on défend bien, on peut améliorer son système offensif.(…)Défensivement, c’est très simple, il y a juste à respecter des codes et des schémas. Offensivement, il faut de la créativité chez les joueuses. » L’idée veut que cette équipe se découvrira aussi en pleine compétition, c’est le charme d’un tournoi. Et c’est pour aujourd’hui, enfin.
Par Maxime Brigand