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Bleues : la peur de l’engagement, une exception culturelle ?

Par Gabriel Joly
6 minutes
Bleues : la peur de l’engagement, une exception culturelle ?

Tandis que les Anglaises se sont exprimées pour alerter les équipementiers sur le problème des shorts blancs en période de menstruations, les Bleues sont de manière générale bien plus timides au moment de revendiquer une quelconque nécessité de changement dans le foot féminin français. Mais pourquoi une telle absence de prise de position ? Éléments de réponse.

14/07/2022 à 21h
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« Organiser des compétitions internationales, c’est bien. S’investir dans notre championnat, c’est mieux. On est à la ramasse, et la Coupe du monde 2019 n’a eu aucun impact. » Début février, Ada Hegerberg jetait désespérément un pavé dans la mare après que la FFF avait annoncé sa volonté d’organiser l’Euro 2025. Un coup de gueule, certes isolé, mais bienvenu pour le foot féminin français, alors que ses principales représentantes brillent par leur absence d’engagement. D’autres pays ont pourtant choisi d’exister en dehors des terrains : les Espagnoles ont, entre autres, conjointement milité contre l’homophobie ; les Américaines ont œuvré pour obtenir l’Equal Pay entre les sections masculines et féminines ; les Danoises ont préféré hypothéquer leurs chances de qualification au Mondial 2019 pour alerter sur la nécessité de considérer leur sport. En France, la seule joueuse à avoir osé s’engager est norvégienne. De quoi questionner les raisons d’une telle frilosité.

En France, les joueuses ont aussi des trucs à dire, mais elles ressentent une forme d’illégitimité. Ce ne sont pas des immenses stars à la différence des étrangères dans leurs pays respectifs.

La touche française

Dans le foot féminin, la France fait office d’exception. Le premier élément d’explication de cette particularité pour une nation de ce calibre semble s’expliquer par des facteurs culturels. Les mêmes qui conduiraient les Espagnols à garnir massivement les tribunes du Camp Nou pour une demi-finale de Ligue des champions féminine. « Megan Rapinoe ou Ada Hegerberg viennent d’un pays où la place de la femme est différente. Elles ont plus de facilités à s’exprimer, juge l’ancienne milieu de l’OL et des Bleues Camille Abily. En France, les joueuses ont aussi des trucs à dire, mais elles ressentent une forme d’illégitimité. Ce ne sont pas des immenses stars à la différence des étrangères dans leurs pays respectifs. » L’absence de titre majeur pour les Bleus poserait en effet problème, la majorité des Françaises ne se sentant pas de revendiquer des droits. Pourtant, comme le rapporte une source contactée au sein de la FFF, le groupe en aurait assez de s’exprimer sur les sujets féministes et liés au développement du football féminin. Joueuses et staffs préféreraient en effet parler ballon. Une manière, selon elles, de normaliser l’approche générale envers le foot féminin, et de l’aborder comme il devrait l’être depuis longtemps, c’est-à-dire comme n’importe quelle autre discipline.

Si cette attitude semble novatrice à la lumière de cette information, il n’en reste pas moins qu’elle s’inscrit dans ce qui, de l’extérieur, ressemble à une forme d’apolitisme à la française. « Chez nous, il y a une majorité écrasante de sportifs non politisés. On manque de citoyens et citoyennes engagés, donc ça se retrouve forcément dans le monde sportif. Le symbole parfait de ça, c’est Zidane. Dans le foot féminin, c’est une tradition qui perdure depuis les Rémoises de 1968(les pionnières du foot féminin en France, NDLR). Elles ne voulaient rien avoir à faire avec le Mouvement de libération des femmes », note à ce propos le journaliste Hubert Artus, auteur du livre Girl Power, 150 ans de football au féminin. L’une des joueuses du FCF Reims interrogées dans le documentaire Les Filles du stade d’Yvonne Debeaumarché peut d’ailleurs en témoigner : « Politiquement, on n’était pas engagées, c’était le sport pour le sport. » Mais cette posture passive dans la quête de droits et de réalisations sociales, l’équipe de France ne l’a pas toujours tenue. Certaines filles se sont au contraire élevées face au manque de considération pour leurs performances.

L’engagement d’un sportif ou d’une sportive dépend beaucoup du contexte dans lequel il évolue. La FFF n’est pas forcément une instance propice à cela au vu de ce qui a été, ou plutôt n’a pas été entrepris depuis la Coupe du monde 2019.

L’engagement, c’est maintenant

En 2009, les internationales françaises Sarah Bouhaddi, Gaëtane Thiney, Corine Petit et Élodie Thomis avaient posé nues en se cachant les seins pour une campagne à l’initiative de la FFF. L’idée était d’interpeller la gent masculine avec un slogan féministe : « Faut-il qu’on en arrive là pour que vous veniez nous voir jouer ? » Cette action n’a toutefois pas été suivie par d’autres prises de parole. Encore une fois en raison d’une question culturelle ? Pas spécialement. L’initiative de ce reportage photo avait certes fait parler, mais il avait surtout dérangé à cause de l’hypersexualisation induite des joueuses. « On m’a proposé de faire cette campagne. J’avais hésité avant de refuser. C’est grave d’en arriver là pour parler de foot féminin, je trouve cela dommage. À l’époque, il le fallait, ça montre bien qu’on partait de loin », se souvient justement Camille Abily. Bien que la Fédération ait à ce moment précis tenté d’œuvrer pour défendre les joueuses, sa position, et particulièrement celle de son président Noël Le Graët, à l’égard des thèmes progressistes interroge.

« L’engagement d’un sportif ou d’une sportive dépend beaucoup du contexte dans lequel il évolue. La FFF n’est pas forcément une instance propice à cela au vu de ce qui a été, ou plutôt n’a pas été entrepris depuis la Coupe du monde 2019 ou lorsque certains dirigeants nient le racisme au sein de l’institution, rappelle la sociologue spécialiste du sport Béatrice Barbusse. Un environnement pas spécialement volontariste influence forcément. » Par ailleurs, les internationales sont, de par leur statut, moins exposées à des situations nécessitant une prise de parole selon Camille Abily. « En équipe de France, tout a toujours été mis en place pour qu’on soit dans des conditions optimales. On ne peut évidemment pas en dire autant du championnat. Mais dans le foot féminin, souvent, on se dit que c’est mieux d’être très contentes de ce qu’on a. » Ainsi, les têtes d’affiche ne sont pas incitées à revendiquer de meilleures conditions. « Marie-Antoinette Katoto, par exemple, aurait la légitimité nécessaire pour parler grâce à son aura, mais en France, on est plus critique qu’ailleurs, ajoute la Lyonnaise qui a joué un an aux États-Unis. Si une joueuse s’exprime sur un sujet et fait des mauvais matchs derrière, on va d’autant plus lui reprocher, car elle aurait soi-disant mieux fait de se concentrer sur son foot. Il faut avoir les épaules solides pour assumer les critiques. » Raison pour laquelle seules les joueuses les plus expérimentées commencent seulement à se faire entendre. Après la « sonnette d’alarme » tirée par Sonia Bompastor avant la dernière finale de la Ligue des champions, le soutien de Wendie Renard aux Anglaises qui ont demandé à ne plus revêtir de shorts blancs en raison de leurs menstruations semble être un motif d’espoir concret.

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Par Gabriel Joly

Tous propos recueillis par GJ

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