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Bleu is the new black

Par Julien Duez
Bleu is the new black

« Cette victoire de la France, c’est un peu une victoire de l’Afrique. » Une petite phrase parmi tant d’autres qui est venue ternir la brillance de la deuxième étoile glanée par les Bleus face à la Croatie. Non pas qu’il faille occulter les éventuelles origines étrangères des 23 de Didier Deschamps, mais en France, la tendance inverse a souvent été le fait d’individus à l’idéologie douteuse. Et si la meilleure attitude à adopter était de laisser les footballeurs être des footballeurs ?

C’est donc ça le revers de la médaille ? Depuis son sacre, l’équipe de France essuie une pluie de critiques, ou plutôt des contre-feux allumés pour atténuer sa performance. Quand ce n’est pas la supposée absence de plan de jeu de Didier Deschamps ou la pauvreté du spectacle proposé, c’est un vieux démon qui ressort et que l’on pensait pourtant mort et enterré : les origines des joueurs. Comme si cette équipe de France était condamnée à ne pas pouvoir jouer au foot tranquillement. Comme si son destin était lié à une interminable série de polémiques diverses et variées.

La pique lancée par l’écrivain Renaud Camus sur Twitter, (déjà condamné pour incitation à la haine), avant la finale a dû faire applaudir l’ancien leader du Front national Jean-Marie Le Pen et l’ancien président PS de la région Languedoc-Roussillon Georges Frêche. Le premier depuis son manoir clodoaldien, le second depuis le fond de son cercueil. Et derrière les personnalités publiques, une foule de trolls d’extrême droite anonymes du monde entier, qui comparent une équipe de Croatie pure parce que blanche à une France métissée et, à ce titre, illégitime pour représenter une nation européenne. Ceux-là, on les connaissait depuis longtemps, mais après la victoire, un concert d’hommages d’un genre nouveau est venu s’ajouter à la cacophonie des bilans post-tournoi : renvoyer certains joueurs à leur africanité, comme pour leur dire « n’ayez pas honte, vous rendez fiers tous les noirs du monde » .

Une fausse bonne idée

Parmi ces chevaliers venus de l’étranger, Nicolas Maduro lui-même. Dans un discours prononcé après la finale, le président vénézuélien salue « les migrants africains venus en France [qui] ont gagné » . Les 21 joueurs nés sur le sol hexagonal apprécieront, comme Steve Mandanda et Samuel Umtiti, arrivés respectivement à Évreux et Lyon à l’âge de deux ans. De son côté, le présentateur du talk-show américain Trevor Noah (de nationalité sud-africaine), s’est fendu d’une petite phrase qui a fait mouche : « Vous n’obtenez pas ce teint en traînant dans le Sud de la France, mes amis ! » Comme pour souligner que la deuxième étoile aurait été glanée par des Africains (et insistant lourdement sur ce vieux cliché selon lequel l’Afrique serait un pays), reléguant ainsi au second plan les joueurs à la peau claire. Dans la presse étrangère, le quotidien italien Corriere della Sera parlait d’une « équipe de champions africains mélangés à de très bons blancs » . En Espagne, Sport analyse que « la France revient au sommet du foot parce qu’elle a décidé d’avoir du sang merveilleusement impur et africain dans ses veines » . Au-delà de la formulation douteuse, on notera la non-connaissance de l’historique de ce « sang merveilleusement impur » , qui ne date pourtant pas d’hier.

Évidemment, il serait ridicule de cacher sous le tapis les racines étrangères des joueurs qui en possèdent. L’exemple de Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri avec l’équipe de Suisse a montré qu’un individu peut avoir deux identités, sans forcément en renier une des deux. Porter l’étendard du mythe de la France gauloise est incompatible avec une société métissée, et un sport comme le football qui se caractérise par sa capacité à rassembler des individus de toutes les origines. À l’inverse du fiasco de 2010, la campagne de 2018 a été marquée par un groupe soudé et uni, représentant un pays : la France. On connaissait le Paul Pogba ambianceur, chambreur et buteur. En conférence de presse, le Mancunien a prouvé qu’il était également un porte-parole de grande classe : « La France d’aujourd’hui, c’est une France avec plein de couleurs. On se sent tous français, on est heureux de porter ce maillot. La France, elle est belle comme ça, C’est comme ça qu’on l’aime et qu’on l’aimera toujours. » Tous ensemble. Pas, les uns contre les autres.

Éviter un nouveau black-blanc-beur

Pogba n’a pas été le seul à réagir. À un compte Twitter qui était parvenu à trouver 23 origines aux 23 joueurs, Benjamin Mendy a répondu avec sobriété et efficacité.

Preuve que la thématique n’est pas inhérente au seul football, les basketteurs Nicolas Batum et Evan Fournier ont eux aussi tenu à réagir.

Le tweet de Fournier a ceci d’intéressant qu’il souligne la différence entre les États-Unis et la France quant au rapport aux origines. Dans le premier cas, celles-ci sont ouvertement revendiquées et mises en avant. Dans le second, elles se fondent dans un idéal républicain qui prime sur toute autre considération. Il y a là matière à débattre, mais force est de constater qu’une vision n’a pas nécessairement raison de primer sur l’autre. Après avoir reçu un courrier incendiaire de l’ambassadeur de France aux USA, Trevor Noah n’en démordait pas et remettait une couche sur l’africanité de certains joueurs, fruit du colonialisme français. Si le fond est pertinent, la forme est maladroite. Noah semble en effet ignorer qu’en France, le fait de lourdement souligner les origines des uns et des autres n’est qu’une manière d’attiser les braises d’une idéologie raciste qui voudrait que cette équipe de France ne soit pas vraiment française.

L’effet black-blanc-beur qui a accompagné le triomphe de 1998 s’est ensuite avéré être un fiasco. En faisant des hommes d’Aimé Jacquet les porte-parole d’une nation multiculturelle, ces derniers ont dû porter sur leurs épaules un fardeau que les politiques avaient échoué à mettre en place. Soudain, ils n’étaient plus des sportifs, mais des modèles, des exemples, des objets de récupération. En vingt ans, la France a changé. La génération 2018 a réussi à écrire sa propre histoire et à se débarrasser du fantôme de la première étoile. Hélas pour elle, certains vieux démons semblent impossibles à chasser. Ces 23 garçons ont été exemplaires dans leur conduite et leur engagement. La victoire est désormais acquise, leur mission s’arrête ici. Merci messieurs, c’est désormais à nous de nous mettre au travail.

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