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Bleu ciel ou bleu sale ?
Selon ses détracteurs, l’équipe de France serait au pire moche, au mieux refuserait le jeu. Mais peut-on vraiment devenir champion du monde sans respecter un minimum les valeurs du football ?
« Le fait que la France a été peinée de perdre contre le Portugal l’autorisait à être heureuse avec une performance plutôt moche. » Compliment, compréhension ou vacherie indirecte ? Dans Sport/Foot Magazine, le sélectionneur belge Roberto Martínez n’a pas spécialement salué la victoire française en Coupe du monde. Sa déclaration va dans le sens des premières piques signées Thibaut Courtois ou Eden Hazard, à chaud après le match, ou plus généralement par nombre d’observateurs belges (mais pas seulement) sur les réseaux sociaux. « Sur le terrain des réseaux sociaux, cela ressemble presque à du militantisme politique » , estime Véronique Reille Soult.
CEO de Dentsu Consulting, qui étudie l’influence et la réputation sur internet et les réseaux sociaux, elle a constaté que « la grande majorité des gens, qui ne regardent pas le football toute l’année, ne se soucie que du résultat. En gros, seule la victoire est belle. Donc en France, ce profil-là ne critique pas le jeu des Bleus. » Mais chez les vrais amateurs de ballon rond, la question du style de jeu compte, « et on a donc une proportion de personnes – minoritaires – qui remettent en question le style de la France. De manière très légère côté français » . Un peu plus appuyée en revanche quand cela vient d’un pays tiers comme la Belgique. « La critique augmente proportionnellement dans les pays vaincus, mais c’est totalement humain : il faut atténuer une réalité qui ne nous convient pas, donc on critique le vainqueur, on trouve des raisons pour valider qu’il ne mérite pas totalement sa victoire. » Moches ou pas moches, ces Bleus ? La consultante préfère botter en touche : « Cela reste un sujet technique. »
« La France a su jouer à l’italienne »
Chez les techniciens français, on monte facilement au créneau pour soutenir l’approche de Didier Deschamps. « La beauté du football, c’est la variété des systèmes, une équipe pose un problème, et tant que l’adversaire ne trouve pas la parade, il mérite de gagner » , soutient Frédéric Antonetti. Quand Roberto Martínez soutient qu’il n’a pas perdu la bataille tactique, l’ancien coach du SC Bastia pense donc fermement le contraire.
Comme Guy Lacombe : « Quand Roberto Martínez emploie le mot « moche » pour qualifier les dix dernières minutes de la France contre la Belgique, je pense qu’il n’a pas le terme approprié. La France l’a joué à l’italienne, mais c’était compréhensible par rapport à la situation. N’importe quelle équipe l’aurait fait. Contre le Brésil, je n’ai pas vu la Belgique attaquer en fin de match, ils ont été obligés de défendre et ils le faisaient moins bien que les Bleus. »
Possession n’est pas synonyme d’offensif
Les Brésiliens, justement. Menés, ils étaient dans le besoin de produire du jeu et de se découvrir. « Ils l’ont très bien fait, mais ont manqué de réussite. Et il est clair qu’à ce moment-là, l’équipe offensive n’était plus la Belgique. » Si Fred Antonetti affirme que les Diables rouges, comme plusieurs autres écuries telle la Croatie, ont proposé un jeu différent de la configuration « bloc bas/contre-attaques » majoritaire pendant le tournoi, « certaines n’ont pas pour autant été « offensives ». Comme l’Espagne qui a monopolisé le ballon pour empêcher l’adversaire d’attaquer, et a engendré l’un des pires matchs du Mondial contre la Russie » .
Pour Lacombe, les procès sur le jeu de la France sont inappropriés, voire simplement injustes envers la meilleure attaque du Mondial à partir des huitièmes de finale : « Il y a mille manières de jouer au football, mais une seule qui est idoine pour votre équipe. Didier Deschamps a su trouver avec réalisme la stratégie idéale par rapport aux joueurs à sa disposition. »
« La clé, c’est le mouvement et les accélérations »
Quitte à aller à l’encontre des canons de beauté actuelle, « la possession du ballon » , registre dans lequel « l’Espagne s’est enfermée et a donc proposé une parodie de ce en quoi il consistait plusieurs années en arrière » . Antonetti en viendrait presque à s’énerver que le débat existe : « À chacun son idée du panache. Mais ce qui fait la beauté du football, c’est la variété des manières de le jouer, et ce qui permet à une manière de dominer une autre, ce sont le mouvement et les accélérations. Tu peux avoir 80% de possession, si tu n’accélères jamais le jeu, c’est inutile. La France a au moins su accélérer quand elle en avait besoin. »
Quitte aussi à se découvrir quand elle était menée au score : « Le but de Pavard contre l’Argentine montre que si nécessaire, la France pouvait changer de registre, et les statistiques, onze buts à partir des huitièmes de finale, ce ne sont pas les statistiques d’une équipe qui refuse de jouer. Concéder la possession de balle à un adversaire, ce n’est pas interdit. »
« Certains gestes défensifs sont des œuvres d’art »
Comme savoir défendre, selon Lacombe. « Pourquoi ce serait mal de défendre à certains moments du match ? Cela fait partie des valeurs de notre sport. On ne compare pas un dribble et un tacle, et pourtant certains gestes défensifs sont de véritables œuvres d’art. Notre équipe de France a été impressionnante sur ce point. » Une équipe qui a su maîtriser nombre d’aspects, notamment psychologiques. « On a su tenir dans les moments difficiles » , rappelle Lacombe. « On a été très forts sur les coups de pied arrêtés » , souligne Antonetti.
Pour qui la stratégie française n’est néanmoins pas adaptée au football de club, car « sur du long terme, tu dois développer un football de possession, dominateur, quitte à perdre quelques matchs. Mais sur une configuration de tournoi, avec l’élimination directe, c’est une approche efficace. Surtout si tu n’as pas la chance, comme l’Espagne de 2010 ou l’Allemagne de 2014, d’avoir des joueurs qui jouent ensemble depuis longtemps. » Didier Deschamps étant un homme intelligent, il a peut-être déjà prévu une mue tactique pour 2020…
Par Nicolas Jucha
Tous propos recueillis par Nicolas Jucha