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Blatter – Platini, petits meurtres politiques entre amis
Les destins de Sepp Blatter et Michel Platini n'ont jamais été aussi connectés, et leurs péripéties actuelles mettent en lumière les intrigues pour le pouvoir qui gangrènent le football mondial. À méditer pour les scénaristes de Game of Thrones ou House of Cards.
Les emmerdes ont réellement commencé le 24 septembre, quand le ministère public de la Confédération helvétique (MPC) a ouvert une procédure pénale à l’encontre de Sepp Blatter pour « paiement déloyal » et également « attribution à 5% de la valeur du marché » de droits télé pour les Mondiaux 2010 et 2014 à Jack Warner, ancien président de la Fédération CONCACAF et vice-président de la FIFA. Un individu radié à vie, car suspecté de corruption, racket, fraude et blanchiment d’argent, rien que ça. Et Michel Platini dans tout cela ? La justice suisse ne le considère pas encore comme un prévenu à part entière – ce qu’est Blatter -, mais plus qu’un simple témoin pour avoir reçu 1,8 million d’euros de la FIFA en 2011. Il a beau plaider un retard de salaire, la commission d’éthique de la FIFA a prononcé les suspensions pour 90 jours du futur ex-patron et du probable ex-futur patron de l’instance du football mondial. Le Français s’est empressé de plaider sa bonne foi, et quand bien même il a déjà annulé des déplacements officiels et n’exerce pas sa charge, il n’a pas encore cédé son trône européen. L’UEFA, par la voix de sa commission d’éthique, n’a pas encore jugé nécessaire de le remplacer par son vice-président espagnol Ángel María Villar. Parce que celui qui préside la fédé espagnole depuis 1988 mouille dans une autre enquête de la commission d’éthique de la FIFA pour suspicion d’échange de votes en décembre 2010 dans le cadre de l’attribution des Mondiaux 2018 et 2022 ? C’est encore une autre histoire. Une réunion de crise est prévue à Nyon le 15 octobre entre les fédérations membres de l’UEFA pour statuer sur ce qu’il y aura de mieux à faire pour sauver les apparences et les meubles. Pendant ce temps, à la FIFA, on a déjà fait le « ménage » avec Issa Hayatou installé dans le siège de Blatter et Markus Kattner dans celui de Jérôme Valcke, le secrétaire général de la FIFA et bras droit du dinosaure suisse ayant lui aussi été suspendu trois mois pour une affaire de billets du Mondial 2014 vendus au marché noir. Un beau bordel – les accusés ont tous fait appel – fait de coups de poignard dans le dos et dans lequel celui qui a pris le plus cher par la commission d’éthique reste le Sud-Coréen Chung Mong-joon. Candidat à la présidence de la FIFA depuis août et farouche opposant de Blatter et Platini – le candidat du système selon lui -, le milliardaire et héritier de l’empire Hyundai a pris une radiation de six ans. Quand bien même ce qui lui est reproché touche plus au lobbying qu’à de la corruption ou du détournement de fonds.
Platini mort politiquement selon un dirigeant de la FIFA
De quoi se poser des questions sur l’indépendance réelle de la commission d’éthique de la FIFA, réformée en 2011 à l’initiative de Sepp Blatter, après sa réélection, afin d’assurer une plus grande transparence. Or selon Chung, l’instance n’est rien de plus qu’une équipe de « tueurs à gage » servant les intérêts du big boss de la FIFA. A-t-elle eu la peau de Michel Platini avec cette suspension ? Sous couvert d’anonymat, un dirigeant de la FIFA a déclaré que Platini était « mort politiquement » à cause de sa suspension, quand bien même il a déjà déposé son dossier de parrainages pour être candidat le 26 février prochain. « Ce serait du jamais-vu » qu’un dignitaire suspendu voit sa candidature validée par la commission électorale. Et quand bien même la commission ad hoc qui doit étudier les dossiers à la fin du mois d’octobre jugerait celui du Français recevable, elle solliciterait l’avis de la… commission d’éthique qui vient de le suspendre via la juge Vanessa Allard. Platini a beau avoir fait appel, qualifié sa suspension de « farce » , son avenir à la tête de la FIFA est désormais incertain, tout comme son futur à l’UEFA. Car malgré le soutien officiel de Noël Le Graët, de Thierry Braillard, le secrétaire d’État aux Sports, ou encore de l’UEFA elle-même, le Français n’est désormais plus perçu comme le successeur naturel de Blatter : si sa candidature était validée, ses déboires actuels font le jeu de ses détracteurs l’estimant tout aussi corrompu que le Suisse et incapable de changer le mode de fonctionnement de la FIFA. Wolfgang Niersbach, le président de la Fédération allemande, a d’ailleurs déjà lâché le triple Ballon d’or, qui doit « réfléchir à se retirer » . Dans l’entourage de Platini, qui a trop longtemps sous-estimé la menace, on pointe du doigt un décalage entre les décisions au sein de la FIFA et l’état de l’enquête de la justice suisse : « Que valent sur le fond les décisions du comité d’éthique qui le juge coupable alors que la justice suisse mène une enquête ? Cette dernière n’a pas suffisamment de charges pour faire de lui un prévenu. On ne respecte pas la présomption d’innocence et on invalide sa campagne. Il faut donc bien distinguer la décision politique et celle juridique. »
Un coup de Blatter pour ne pas tomber seul ?
Qui est derrière la manœuvre politique qui fait vaciller Platini ? Facile d’imaginer qu’il s’agisse de Sepp Blatter lui-même, qui vient de faire appel de sa suspension selon le New York Times et réclame une audition pour se défendre. Dans un communiqué, le Sud-Coréen Chung assurait récemment que le Suisse n’avait pas renoncé à « revenir à son poste après le 26 février 2016, après l’expiration de sa suspension de 90 jours, si le congrès extraordinaire de la FIFA est incapable d’élire un nouveau président » . Ce que l’intéressé nie formellement par la voix de ses proches. Dans l’affaire, et à moins d’être sévèrement condamné par la justice suisse, Sepp Blatter a moins à perdre que son ancien Padawan Platini : black-listé, vu comme la cause de tous les maux de la FIFA, il n’a a priori plus d’avenir à sa tête, contrairement au Français qui jusqu’à l’annonce de sa suspension, avait un boulevard devant lui. Dans le passé, Blatter a su se sortir indemne de scandales comparables tout en éliminant au passage ses principaux rivaux comme les Brésiliens Ricardo Texeira et João Havelange lors de l’affaire ISL (International Sport Leisure). Après enquête de la justice suisse, la commission d’éthique de la FIFA avait jugé en 2013 le président « maladroit » , mais aucunement coupable d’avoir enfreint les règles de l’institution, alors que les deux Sud-Américains avaient abandonné leurs sièges. Bien qu’elle soit censée être indépendante, et critiquée par Blatter lui-même ces derniers jours, cette commission bicéphale – une chambre d’instruction et une chambre de jugement – a eu la main étrangement lourde à l’égard du Sud-Coréen Chung. Sa radiation de six ans tombe pour avoir en 2010 envoyé un courrier aux membres du comité exécutif de la FIFA, dont il était alors membre, pour proposer la création d’un fonds international pour le football (GFF) et la participation de la Corée du Sud à des projets de soutien du football dans le monde pour un montant de 777 millions de dollars jusqu’à 2022. Une générosité pas totalement gratuite, car son pays convoitait l’organisation du Mondial 2022 finalement attribuée au Qatar. « Il n’y avait rien d’inhabituel concernant le GFF. Il était parfaitement en ligne avec les projets de développements des pays candidats à l’attribution du Mondial. La FIFA leur avait d’ailleurs demandé de les proposer. Ni argent ni faveurs personnelles n’ont été échangés en relation avec le GFF, et aucune charge n’a été retenue contre moi » , s’est justifié l’Asiatique, pour qui l’ampleur de sa sanction souligne la partialité des instances de la FIFA : « Contrairement à MM. Blatter, Valcke et Platini, je ne fais l’objet d’aucune allégation de corruption, fraude ou de conflit d’intérêts. »
Le plus intéressant dans l’histoire reste peut-être que le nouveau président par intérim de la FIFA, Issa Hayatou, est un ancien rival de Blatter aujourd’hui réconcilié avec le Suisse. Si bien que celui qui dirige la CAF depuis 1987 va organiser le prochain congrès électif extraordinaire du 26 février prochain, quand bien même, en 2011, il avait reçu un blâme pour avoir touché 100 000 francs – un peu plus de 15 000 euros donc – de la part d’ISL en 1995. Sans oublier des soupçons de corruption autour de l’attribution du Mondial 2022 au Qatar… La justice de la FIFA semble fonctionner à deux vitesses et ceux qui attendent une révolution lors de l’élection du printemps prochain pourraient être déçus. Des candidats encore indemnes, il ne reste que les outsiders, comme le prince Ali de Jordanie ou l’ancienne gloire brésilienne Zico. Des candidats que Sepp Blatter se sent peut-être capable d’avaler une fois qu’il aura définitivement mis Platini hors-jeu ?
Par Nicolas Jucha