- FIFA
- Scandale
Blatter, Platini, les meilleurs amis font les meilleurs ennemis
En 1998, quand Sepp Blatter est élu pour la première fois président de la FIFA, Michel Platini apparaît comme son bras droit et futur héritier. 17 ans plus tard, les deux hommes viennent de tomber, alors qu'ils étaient les deux dirigeants les plus puissants du foot mondial. La faute à des ambitions empêchant toute cohabitation.
Entre Michel Platini et Sepp Blatter, la première rencontre remonte au 12 décembre 1987 à Zürich, pour le tirage au sort des éliminatoires du Mondial 1990. Le Français est alors un jeune retraité de 32 ans qui a quitté la scène sportive au sommet, quand le Suisse est un secrétaire général de la FIFA aussi méconnu qu’ambitieux. Et le feeling est immédiat, ce dernier vouant un profond respect aux anciens grands joueurs quand le premier est « envoûté » – comme il l’expliquait récemment au Monde – par le charisme et la bonhomie du dirigeant. L’association future apparaît évidente, un proche de Blatter décrivant à Reuters le futur président de la FIFA comme aimant « être aux côtés de gens célèbres, que ce soit des chefs d’État, des politiciens ou des joueurs » . À la FIFA de longue date et ambitionnant de remplacer le partant João Havelange à la tête de l’institution, Blatter sait qu’il aura besoin d’un « nom » à ses côtés pour avoir la posture d’un présidentiable.
Platoche, de son côté, met rapidement de côté ses projets de reconversion comme entraîneur – sélectionneur des Bleus à l’Euro 1992 – pour se lancer dans une carrière « politique » . Comité technique de développement du jeu à l’UEFA (1988-1990), comité d’organisation du Mondial 1998 dans le giron de Fernand Sastre, l’ancien capitaine des Bleus songe même à la présidence de la FIFA en 1997 selon L’Équipe. Dans Le Monde, il affirme que c’est Blatter qui lui a proposé de tenter le coup. L’aîné se place même comme son numéro 2, mais Platini affirme avoir refusé, car à l’époque, il n’était pas intéressé. Version différente pour L’Équipe : le Suisse a surtout convaincu l’ancien meneur de jeu de ne pas se présenter pour la présidence, mais d’être à la place son conseiller technique lors d’un entretien à Singapour. Une fois le Suisse au sommet du foot mondial au nez et à la barbe de Lennart Johansson, Platini devient pour quatre ans le conseiller personnel du futur inamovible président. Une fonction qui, aujourd’hui, plombe la carrière du Français.
« Quand Platini a obtenu du pouvoir de son côté, la dynamique a changé »
Pourtant, à l’aube des années 2000, c’est cette entrée fracassante en politique qui permet à Platini de prendre du poids et de la légitimité comme dirigeant, au même titre que son « associé » en prend comme président de la FIFA. De leur relation, le Suisse parle d’un rapport « père-fils » , et, vu de l’extérieur, tout laisse à penser que l’amitié entre les deux hommes est aussi solide que mutuellement profitable. Blatter enquille les mandats à la tête de la FIFA, quand Platini, en 2007, déloge l’ancien rival de Lennart Johansson comme président de l’UEFA. Si l’appui de Sepp Blatter est assez tardif, il aide néanmoins le Français à s’installer et à prendre du pouvoir.
Il apparaît alors clair que Platini va se faire la main à l’échelle européenne avant de succéder au Suisse quand ce dernier daignera céder son trône. Mais les deux « amis » d’hier sont avant tout des ambitieux. Et à un certain niveau, ce point de rapprochement les rend incompatibles. « Tant que Platini était avec lui, cela marchait parfaitement, mais quand Platini a obtenu du pouvoir de son côté, la dynamique a changé » , avait ainsi confié un ancien officiel de la FIFA à Reuters. Ancien mentor, Sepp Blatter est alors un rival pour Platini, pour qui la présidence de la FIFA devient un objectif. Pour certaines sources, la rupture entre les deux hommes s’accélère à cause de conceptions différentes sur l’arbitrage : quand Platini refuse la vidéo et impose l’arbitrage à cinq, Sepp Blatter installe la goal-line technology.
Les mensonges de Blatter contre les menaces de Platini
Difficile, cependant, d’imaginer que deux hommes au sens politique aussi aiguisé décident de s’affronter pour une simple question « technique » . Entre le Français qui tient l’Europe et le Suisse qui est intouchable à l’échelle mondiale à cause de son aura chez les électeurs africains ou asiatiques, se joue alors une longue guerre froide. Pas d’attaques frontales, seulement des piques par médias interposés, comme le feraient deux candidats en campagne électorale. Le point de non-retour est atteint en 2014 lorsque Sepp Blatter se dit officiellement en quête d’un cinquième mandat. En 2011, il promet pourtant à Michel Platini de laisser sa place en 2015 si le Français est derrière lui une dernière fois. « J’ai la désagréable impression de m’être engagé personnellement sur la base d’un mensonge » , explique l’intéressé à L’Équipe peu avant que Blatter ne remporte l’élection de mai 2015. Après celle-ci, et alors que le Suisse s’apprête à démissionner quelques jours plus tard, l’ancien sélectionneur de l’équipe de France offre une poignée de main chaleureuse au vainqueur. Pour la photo officielle… car en coulisses, c’est la guerre.
Blatter décide de lâcher un pavé dans la mare dans une interview avec De Volkskrant, en accusant clairement son ancien conseiller de tentative d’intimidation. « Il s’est installé à la table de mon frère au déjeuner et lui indique« de dire à Sepp de se retirer de l’élection ou il va aller en prison ». » L’amitié, réelle ou intéressée, a fait long feu. Au cœur du scandale de corruption de la FIFA, Blatter n’a plus la capacité de diriger le football mondial, contrairement à Platini. Mais il a promis de ne pas oublier les attaques du Français à son égard. Avec la suspension pour huit ans des deux anciens compères, on peut facilement en déduire que l’aîné a réussi à emmener son ancien protégé dans sa chute. Mais a-t-il réellement gagné la partie ? Avec leur suspension commune, les deux voient leurs rêves de grandeur s’évanouir : la présidence de la FIFA pour Platini, un prix Nobel de la paix et une présidence d’honneur de la FIFA pour Blatter. S’ils étaient restés dans le même camp, ils n’auraient eu qu’à se servir.
Par Nicolas Jucha