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Blaise Matuidi : « Arbitrer un match de foot, c’est de l’art »
En début de semaine, Blaise Matuidi a enfilé son costume de parrain des Journées de l'arbitrage La Poste, qui se déroulent du 18 au 30 octobre. Après avoir pris le sifflet pour se mettre dans la peau des hommes et femmes en noir ce mardi matin à l'occasion d'un match de jeunes, le champion du monde s'est posé quelques minutes pour partager sa vision de l'arbitrage, à la lumière de cette expérience, et quelques souvenirs.
Ce mardi matin, tu as rencontré de jeunes arbitres, d’autres plus expérimentés, comme Clément Turpin et Stéphanie Frappart, et vous avez surtout pris le sifflet pour un match de jeunes. Que retiens-tu de cette journée ?Ça a été un vrai moment de partage, et j’en ai tiré beaucoup d’enseignements. J’ai eu la chance de prendre la tunique, ça ne va pas mal en plus, hein ? (Rires.) Je pense que j’aurais fait un bon arbitre. J’ai adoré l’expérience, en tout cas. En se mettant à leur place, on se rend compte du niveau athlétique et de la difficulté à prendre les bonnes décisions. C’était aussi sympa de pouvoir échanger avec Stéphanie Frappart et Clément Turpin, qui sont de grands arbitres français.
Était-ce une première pour toi de prendre le rôle de l’arbitre sur un terrain ?Oui, justement, c’est pour ça que ça a été riche. Je me suis dit qu’on devrait faire ça plus souvent. Pourquoi ne pas mettre régulièrement des joueurs dans la peau des arbitres pour leur faire découvrir le métier ? Aujourd’hui, je me suis dit que les arbitres méritent qu’on leur tire notre chapeau. Le respect, on doit l’avoir, mais là j’ai envie de dire bravo. Ils doivent gérer l’aspect athlétique, le stress, la prise de décisions en quelques secondes à peine, c’est assez exceptionnel. Quand on est joueur, il faudrait être confronté à ce genre de situations, être mis à l’épreuve, comme j’ai pu l’être avec ces jeunes. Là, ils pourraient nous dire : « Voilà ce qu’on endure chaque week-end. » Et encore, ils ont le public, l’environnement hostile, en pro comme en amateur, ça doit être quelque chose.
Qu’est-ce qui t’a semblé le plus dur ? La prise de décision, ça m’a trop marqué. Ce n’était pas le même contexte qu’en Ligue 1 ou dans des matchs importants, mais ça m’arrivait de me dire « Mince, j’ai tort » tout en sachant que je ne pouvais pas revenir en arrière. Je me suis mis dans la peau des arbitres, en me mettant en tête que je pouvais me tromper. L’important, c’est d’être responsable et ne pas revenir sur une décision prise. Le plus dur, c’est de faire en sorte qu’elle soit acceptée autour de moi. J’ai quand même vu des jeunes un peu frustrés (rires), même en sachant que c’était moi au sifflet, c’est ça qui est extraordinaire et révélateur. On doit être des exemples pour tout le monde, et notamment pour les amateurs où il existe beaucoup de difficultés dans la communication entre les éducateurs, les joueurs et les arbitres. Je pense qu’il y a un système à mettre en place, une passerelle entre le monde pro et amateur sur ces questions.
Dans les discours des uns et des autres, on sent parfois qu’il existe un fossé entre les joueurs et les arbitres, comme si votre vision du foot n’était pas du tout la même. As-tu déjà eu ce genre de ressenti ?Bien évidemment, on peut avoir ce sentiment quand on est sur le terrain. Mais c’est faux, on a tort. L’arbitre sent peut-être même mieux le foot que nous, parfois. Ils ont des analyses poussées sur les faits et gestes. Je discutais avec M. Turpin qui me racontait qu’à l’époque, quand il voyait Maxwell arriver sur le côté, il savait qu’il allait centrer plutôt que déborder à chaque fois. Il savait qu’il allait chercher Zlatan dans les airs. C’est de l’analyse, du détail, c’est aussi sentir le jeu sur le moment. C’est aussi pour ça que je dis que l’arbitre fait partie de cette famille du foot, on est ensemble. Sans eux, on ne peut pas jouer.
On a souvent l’impression que la communication est difficile entre les joueurs et les arbitres. Est-ce que ça t’arrivait de dialoguer avec certains en dehors des matchs ? Oui, on pouvait parler rapidement quand on se retrouvait à la fin des rencontres ou dans des événements. Je suis totalement d’accord pour dire qu’il faudrait plus de moments de dialogue, pour qu’ils puissent donner leur ressenti, et nous le nôtre, dans le calme. C’est compliqué quand on est dans le feu de l’action sur le terrain, tout le monde est dans l’adrénaline.
On reprochait encore récemment aux joueurs du PSG d’entourer l’arbitre à sept ou huit pour contester, c’est presque une tradition au club ces dernières années. Que penses-tu de ça? C’est vrai que parfois, on abuse. Je le dis, mais j’en faisais partie aussi. Je crois qu’il est important de fixer des relais au sein de l’équipe. Il faut deux ou trois cadres responsables d’aller dialoguer avec l’arbitre et il faut le communiquer au reste du vestiaire. Ça ne sert à rien de se ruer à huit sur lui. Il faudrait que ça passe par une sorte de protocole avec le capitaine. À partir du moment où il fait passer le message, tout le monde doit le respecter. C’est une idée comme ça, ce n’est pas non plus mon rôle. L’erreur est humaine, on en fait tous. On rate bien des passes ou des matchs, ça arrive. J’imagine que ça peut être frustrant pour un arbitre de se dire qu’il n’a rien le droit de nous dire quand on manque un penalty, alors qu’on vient le réprimander cinq minutes plus tard pour une faute banale au centre du terrain.
Tu as connu le foot avec et sans la VAR. Qu’est-ce que cet outil technologique a changé ? Il y a différentes considérations à prendre en compte. Personnellement, j’aimais bien le côté naturel, instinctif sans la VAR. Ça laisse place à l’interprétation et ça évite d’attendre deux minutes pour savoir si le but qu’on a marqué est bien valable. Après, je ne vais pas mentir, j’aurais bien aimé qu’il y ait la vidéo lors de Barcelone-PSG en 2017, je ne suis pas sûr qu’on aurait été éliminés.
La remontada à Barcelone, est-ce ton pire souvenir en lien avec l’arbitrage dans ta carrière ? C’est sûr que c’est un très mauvais souvenir. Mais de toute façon, on a été mauvais, on ne doit pas uniquement notre défaite et notre élimination à l’arbitrage. Je me dis que si on avait été meilleurs, l’arbitre aurait pu être mauvais, et ça ne nous aurait pas empêché de passer après la large victoire à l’aller. (Il réfléchit.) En vérité, même le soir du match, je ne suis pas en colère contre l’arbitre. Il y a seulement la tristesse immense de cette défaite.
Tu as rarement contesté les décisions arbitrales face aux médias, sauf peut-être après l’élimination contre le Real Madrid avec la Juventus en Ligue des champions en avril 2018. (L’arbitre siffle un penalty dans le temps additionnel alors que la Juve avait fait son retard en menant 3-0.) Après la rencontre, tu dis que « l’arbitre a tout gâché ». Qu’est-ce qui se passe dans ta tête à ce moment-là ? Tout ça, c’est la frustration d’un homme qui vient de perdre, d’être éliminé. Ce n’est pas quelqu’un du Real Madrid qui va sortir une telle déclaration, c’est le perdant. Mais est-ce que je suis objectif ? Je suis à chaud et je ne suis pas objectif. Avec le recul, on se dit que l’arbitre a pris sa décision face à une situation litigieuse et qu’on ne peut rien y faire. On a le droit de penser qu’il s’est trompé, mais il y aura plein de personnes en face qui vont penser le contraire. Je n’aurais pas dû dire ça.
Un an plus tard, tu es victime d’insultes racistes à Cagliari. Penses-tu que les arbitres devraient interrompre les matchs quand un joueur est victime de racisme ? En fait, je ne suis pas pour que ce soit la responsabilité de l’arbitre. Le foot, c’est une famille, on est 22 joueurs sur le terrain. Si tout le monde décide de sortir, pourquoi vouloir absolument que la décision revienne à l’arbitre ? Pourquoi pas aux autres ? Il faut peut-être que ça vienne de plus haut et que ce soit automatisé, sans que les acteurs sur le terrain ne doivent improviser.
Pour finir, trouverais-tu ça judicieux et enrichissant pour l’arbitrage que plus d’anciens joueurs se décident à prendre le sifflet après avoir raccroché les crampons ? C’est quand même un travail, il faut des années d’apprentissage. Je dirais même qu’arbitrer un match, c’est de l’art. Ce n’est pas donné à tout le monde. Qu’est-ce que ça a l’air fatigant physiquement aussi… Mais je suis d’accord pour dire que ça pourrait être intéressant de voir plus d’anciens joueurs devenir arbitres. La limite, c’est peut-être qu’il se ferait davantage respecter, et ça créerait un nouveau problème, une inégalité. Le plus important, c’est de ne pas faire de distinction entre tous les acteurs du foot.
Propos recueillis par Clément Gavard