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Billet d’humeur : « Chanter dans le métro et être sur le terrain, c’est la même adrénaline »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger
Billet d’humeur :  « Chanter dans le métro et être sur le terrain, c’est la même adrénaline »

Il n'y a pas que la passion du football qui peut naître dans un vestiaire. Pour les jumeaux Allan et Brice, ainsi que leur ami Davy, c’est à cet endroit qu'a grandi celle du chant. Aujourd’hui, à 27 ans, ils sont trois des quatre côtés du carré Billet d’humeur, groupe de pop vocale boostée par le son électro de JB. Des pelouses de la Seine-et-Marne à celles de Londres, ils ont d’abord couru après leur rêve de foot, pour finalement s’épanouir dans la musique. C’est donc sans complexe ni regret qu’ils sortent ce mois-ci le clip du titre « Ego ».

Vous avez sorti votre premier album en octobre, mais votre toute première scène était surtout un vestiaire de foot. Comment ça vous a pris ?Brice : Depuis les U10, Allan, Davy et moi avions pris l’habitude d’étaler nos humeurs par le biais du beat box. On animait le vestiaire quoi. Davy venait à la maison avant les entraînements. On faisait des petites musiques de 30 secondes, on disait « Ouah ça déchire » et après on partait au stade. La musique a vraiment commencé comme ça pour nous. On chantait surtout après les matchs, que l’on gagne ou que l’on perde. On créait une énergie où on était tous ensemble. Rien que dans les échauffements, je me souviens qu’il y avait déjà ce côté rythmique. Allan : On tapait dans les mains, tous ensemble. Un-deux, clap-clap… Ça montrait à l’équipe adverse qu’on était très structurés.Davy : C’était une sorte de haka. Brice : Quand on jouait dans le 77, on était vraiment catalogués comme les artistes de l’équipe. Dès qu’on avait un moment d’absence, on nous disait : « T’es en train de chercher un air, là ? »

Chanter dans un vestiaire, c’est d’abord une histoire d’acoustique.

Le vestiaire serait donc un endroit propice à la création et l’expression artistique ?Brice : Je crois que c’est d’abord une histoire d’acoustique…Davy : Oui, avec les douches en fond sonore ! (Rires.) Et puis quand tu gagnes un match, naturellement, tu te mets à chanter. Même chez les pros, tu vois toutes les équipes taper sur les tables…

C’est aussi un huis clos où tu es en confiance avec des coéquipiers. L’opposé du couloir du métro, où vous chantiez quelques années plus tard…Brice : Il y a quand même quelques similitudes. Les couloirs du métro, c’est un peu comme un sas où tu répètes tes gammes avant de passer sur d’autres scènes. Et dans les vestiaires, c’était presque ça. On se motivait ensemble et on gueulait tellement que les équipes adverses devaient se demander ce qu’on fabriquait avant d’entrer sur le terrain.Allan : Cela dit, le couloir de métro ressemble plus à un terrain de foot. On est face à des gens à qui on doit prouver des choses. Chanter dans le métro et être sur le terrain, c’est le même défi, il y a la même adrénaline.Davy : Ça donne une ambiance live un peu folle. Presque dangereuse finalement, avec une prise de risque.

Vous avez donc abordé la musique comme si c’était une compétition sportive ?Brice : Clairement. Encore aujourd’hui, on adore se mettre en compétition avec d’autres artistes. On recherche ces tremplins. C’est d’ailleurs de là que tout est parti. À 18-19 ans, on était dans un bus pour aller à l’entraînement et le chauffeur nous a donné un flyer pour s’inscrire à un concours. On est arrivés deuxièmes.Allan : On s’est fait battre par une petite de 13 ans qui faisait une reprise d’Edith Piaf… (Il souffle) On est revenus l’année suivante, on a gagné et on a été propulsés en première partie de Christophe Maé. Davy : Le switch se fait peut-être à ce moment, où on se dit que notre truc, c’est peut-être la musique. Plus que le foot.Brice : Et à la suite de deux-trois concerts sur Paris, on a rencontré JB, qui nous a apporté cette petite touche électro qui nous manquait.

Comment s’est faite la répartition des postes dans Billet d’humeur ?JB : Chacun s’est spécialisé dans le domaine dans lequel il était bon. Allan, ça a toujours été le beat box et la composition. Vu qu’il assure les bases, je dirais que c’est un peu notre libéro. Brice, parolier et lead sing, un show man qui tient la barre devant. On dira qu’il est un bon numéro 10. Alors que Davy, qui gère les chœurs, a toujours été un soutien pour tout le monde. Donc soit un milieu relayeur soit un arrière latéral.Brice : Davy, c’est un peu notre Layvin Kurzawa ou Lilian Thuram. (Rires.) Davy : Ouais, le mec qui marque deux buts quand tu ne t’y attends pas.Brice : Et au poste de gardien, on a JB derrière avec ses pads. Pas forcément la personnalité qui se met le plus en avant, mais finalement la plus solide.

Pour revenir sur votre parcours dans le football, tout a commencé à l’AS Brie dans le 77.Davy : C’est là qu’on s’est connus avec Allan et Brice. Moi, je suis toujours resté dans le département, dans des petits clubs.

À l’âge de 15 ans, on a eu la chance de faire des tests à l’étranger parce que notre oncle habitait à Londres. Allan a été pris à West Ham et moi à Dagenham & Redbridge.

Brice : Avec Allan, on a ensuite rejoint le CS Meaux. Lui était aux cages et moi au milieu de terrain. À l’âge de 15 ans, on a eu la chance de faire des tests à l’étranger parce que notre oncle habitait à Londres. Allan a été pris à West Ham et moi à Dagenham & Redbridge. C’était vraiment compliqué. Déjà pour s’intégrer, avec la barrière de la langue, mais aussi sur le terrain. Moi, ce qui m’a le plus marqué en Angleterre, c’est la faculté des clubs à te réinventer. Par exemple, là-bas, on me faisait jouer à gauche, alors qu’en France je jouais n°6. J’avais un profil à la Matuidi, avec du coffre, mais pas très coordonné. Allan : Pareil au poste de gardien. En France, on recherche souvent la technique alors qu’en Angleterre, tant que tu arrêtes la balle, ça leur va.Brice : Ensuite, j’ai enchaîné les pubalgies, les lombalgies… J’ai compris que le foot était avant tout physique avant d’être quelque chose que tu veux dans la tête. Et j’ai lâché assez rapidement.Allan : Moi, j’ai continué un peu plus longtemps, j’ai joué avec les équipes de jeunes. Au bout de deux ans, je suis rentré en France un peu malgré moi. Le niveau était élevé, on n’avait pas de diplômes, donc il a fallu choisir entre l’école et le rêve du foot.

Il vous a manqué quoi pour réellement percer dans le monde pro ?Allan : Je pense que j’ai pris conscience des choses trop tard. Au-delà du travail, il y a un aspect mental prédominant pour réussir dans le foot. D’ailleurs, tu peux voir tout de suite si telle personne a les moyens de jouer au haut niveau. À l’âge de 13 ans, on jouait par exemple avec Marcel Tisserand (actuel défenseur de Wolfsburg, N.D.L.R.). Il était surclassé, il y avait une sérénité dans son jeu… Nous on se battait, mais ce n’était pas une évidence comme pour Marcel. Brice : On jouait aussi contre les frères Pogba, Mathias et Florentin, quand ils étaient à Roissy-en-Brie. Eux, c’était vraiment les frères Derrick dans Olive et Tom. Il y en avait un qui jouait milieu gauche, l’autre milieu droit. On avait pris quelque chose comme 7-1 contre eux. Allan : À Torcy, nos rivaux de toujours, il y avait plein de bons joueurs aussi. Notamment Mickaël Barretto, qui est aujourd’hui à Auxerre. Lui, tu voyais qu’il avait le sens du jeu.Brice : Je pense aussi à Billy Ketkeophomphone. Il était vraiment au-dessus. Il mettait des buts du milieu de terrain !

Paul Pogba était déjà dans l’équipe de Seine-et-Marne et on parlait déjà de lui comme d’un futur grand. Mais si on avait dû mettre une pièce pour dire qu’il serait champion du monde, on ne l’aurait pas fait. On croyait plus en ses frères qu’en lui.

Vous n’avez jamais croisé Paul Pogba ?Brice : Non, pas directement. Paul était déjà dans l’équipe de Seine-et-Marne et on parlait déjà de lui comme d’un futur grand. Il était la star de Torcy. Mais si on avait dû mettre une pièce pour dire qu’il serait champion du monde, on ne l’aurait pas fait.Allan : Moi, je croyais plus en ses frères qu’en lui.

Selon vous, est-ce plus dur de réussir dans le foot ou dans la musique ?Davy : Je ne sais pas. En vrai, c’est aussi compliqué l’un que l’autre. On ne va pas se le cacher. En foot, c’est vrai qu’il y a le talent, le physique et tout, mais à un moment, il te faut aussi des contacts, le bon agent qui va faire en sorte que tu vas être vu à telle détection. Dans la musique, c’est un peu similaire. Il faut connaître la bonne personne qui va te faire passer en radio ou en festival.Brice : Le foot et la musique sont deux milieux qui semblent faciles d’accès aujourd’hui, là où on a tendance à oublier que ce sont des disciplines où seuls les meilleurs arrivent à durer dans le temps. Je suis admiratif d’un Kylian Mbappé qui rappelle tout le temps que le talent, c’est le travail. Chose que pouvait aussi dire Jacques Brel.

Votre projet musical aurait-il été le même si vous n’aviez pas eu le foot dans votre vie ?Davy : Non pas du tout, je ne sais même pas si on aurait fait de la musique ensemble. Allan : Nous, ce sont les coachs que nous avons eus qui nous ont inculqué cette cohésion. On l’a instaurée au sein d’un vestiaire et aujourd’hui au sein d’un groupe de musique. Et puis le mental dans le sport, c’est primordial. Sans ça, on ne peut franchir aucune étape. Nous, on a compris que si on gardait le cap, on pouvait atteindre nos rêves.

Alors en quoi le foot a-t-il pu influencer votre musique ?Allan : On retrouve dans certains titres ce côté stade. On a envie de transmettre une certaine ferveur à nos supporters… Euh, je veux dire notre public !Brice : Un jour, on a eu la chance de rencontrer Alan Curbishley, le coach de West Ham, et d’assister ensuite à un match à Boleyn Ground. Je me souviens qu’il y avait des petites mamies qui étaient là et qui chantaient aussi. C’est là que tu te rends compte que la musique est intimement liée au football. Dans notre album, on a eu envie d’écrire des hymnes de notre époque, à la française, en mélangeant pop et électro. On est loin de « We Will Rock You » , mais sur scène, on a un côté très festif qui nous vient aussi de cette culture du stade. On aimerait vraiment pouvoir ambiancer un jour un stade. Si on pouvait rendre au foot ce qu’il nous a donné, ça serait vraiment un délire.

Vidéo


Pourquoi avoir choisi le nom Billet d’humeur ?Brice : Parce que dès le départ, on aimait donner notre point de vue sur l’état actuel des choses.Davy : On parle aussi bien de violences conjugales que de racisme, ou encore la perte d’un être cher. Pas forcément des choses que l’on a vécues personnellement, mais on se veut des narrateurs de tout ça.Brice : Globalement, on veut véhiculer un message d’espoir. Si on a appelé l’album Hollywood, c’est parce que ça nous plaît de raconter cette idée d’eldorado. Allan : Et on a un bel exemple de ça à travers le foot. Notre ami Taylor Salibur, il en a bavé. Il a joué en CFA2, en D2 bulgare (à Oboristhe, N.D.L.R.), un peu partout, et aujourd’hui il se retrouve dans un bon club, à Lorient avec Mickaël Landreau. C’est ce genre d’histoires qui peuvent être le prolongement de notre album. Et c’est aussi cette persévérance que nous a apportée le foot.

Il y a le titre « Daisy » qui aborde le thème du racisme. C’est quelque chose auquel vous avez dû faire face, que ça soit sur un terrain de foot ou sur une scène ?Brice : Un de nos derniers clubs de foot était Nogent l’Artaud, dans l’Aisne. Et je me souviens qu’on entendait des cris de singe dans les gradins… Ça a toujours été un tabou. Il ne fallait pas trop en parler. Aujourd’hui, c’est bon de voir qu’on n’a plus peur de dire les choses et qu’il y a une vraie mixité. Après, on parle beaucoup de racisme envers les Noirs, mais on oublie aussi que ça peut exister dans l’autre sens.

On entendait des cris de singe dans les gradins de Nogent l’Artaud… Ça a toujours été un tabou. Il ne fallait pas trop en parler.

Allan : Par exemple au CS Meaux, ça pouvait être difficile pour un Blanc de s’intégrer. Davy : Après, c’était moins du racisme que du communautarisme. Allan : Oui c’est vrai, mais entre Noirs, c’était plus facile, on était tous ensemble. Mais je me souviens que Thibaut est arrivé avec ses cheveux longs, son serre-tête et tout, il était très bon, mais ce n’était pas évident pour lui. JB : Dans la musique, on est un groupe mixte, donc on a aussi entendu quelques remarques étranges. On m’a déjà dit : « Tu es blanc, qu’est-ce que tu fais avec deux Africains et un Antillais ? » On a tellement l’habitude de voir les choses cataloguées, que tout doit être à sa place, dans des cases, que lorsque tu te présentes avec un groupe mixte, ça paraît bizarre pour certains.

Votre musique est également assez mixte, si on peut le dire…JB : On a chacun notre univers, des influences différentes, et c’est forcément mixte. Allan : En plus de ça, il y a toujours le cliché de l’image. Quand tu as trois Noirs sur scène, il y a toujours ce préjugé : « Ah vous faites du jazz ? » Brice : C’est tellement ancré dans les façons de penser… Si tu allumes la télé, que tu coupes le son et met une Noire assez forte à la télé, elle fait forcément de la soul pour les gens. Elle ne peut pas faire de l’électro.JB : Justement, notre génération cherche à casser ces codes. Dans la musique ou dans le foot, il y a des barrières qui se brisent.Brice : Aujourd’hui, il y a un Ballon d’or pour le foot féminin. Bon, ça fait un peu les mecs qui surfent sur une mode de dire ça, mais ce sont d’énormes progrès. Il y a dix ans, on n’entendait pas de femmes sur les plateaux télé pour parler de foot. Pareil pour des coachs noirs. En dehors de Kombouaré et Tigana, il a fallu attendre longtemps avant d’en voir d’autres sur les bancs.

Mais est-ce que les musiciens et les footballeurs ont assez de pouvoir pour faire bouger des industries qui sont généralement assez conservatrices ?JB : L’industrie ne peut pas évoluer au même rythme que la société. Mais ce sont aux acteurs du foot et de la musique de mener ces combats en premier.

On réduit les footballeurs à parler de ballon alors qu’ils peuvent apporter beaucoup plus.

Allan : En Slovaquie, quand on marchait dans les rues, on nous regardait bizarrement. Mais une fois qu’on était passés sur scène, les regards ont changé. Il n’y avait plus d’histoire de couleur.Brice : Les sportifs ont aussi un vrai pouvoir dans ces questions sociales. Le prochain grand débat, je l’espère, sera autour de l’homosexualité.Allan : Si tu prends l’exemple de Zlatan, quand tu lis sa biographie, tu comprends sa philosophie et tu vois qu’il est bien plus qu’un footballeur. Lui aussi a vécu le racisme en Suède pour devenir une idole là-bas et être accepté tel qu’il est. Ce sont ces mecs-là qui devraient faire bouger les choses.Brice : Après, les médias ne facilitent pas la tâche des joueurs. Quand on voit Anne-Sophie Lapix parler des footballeurs comme de « millionnaires courant après un ballon » ou Audrey Pulvar s’en prendre à Ribéry pour son entrecôte, elles les mettent dans des cases alors que plein d’entre eux ont plein de choses à exprimer. Davy : On réduit les footballeurs à parler de ballon, alors qu’ils peuvent apporter beaucoup plus.

À l’inverse, on demande souvent beaucoup aux artistes de s’exprimer sur d’autres sujets que la musique…Brice : De moins en moins, je trouve. Le footballeur comme le musicien sont aujourd’hui condamnés à faire de l’entertainment. Ce qui est assez injuste. Quand il y a un attentat : on communie dans les stades ou on aime écouter un pianiste qui joue « Imagine » devant les lieux du drame.

Dans cet article :
403 jours après, Beth Mead marque à nouveau
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Propos recueillis par Mathieu Rollinger

Crédits photo : Yann Orhan

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