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Billal Brahimi, baroudeur d’honneur

Par Adel Bentaha
10 minutes
Billal Brahimi, baroudeur d’honneur

À 22 ans, le Niçois Billal Brahimi est un mystère. Un talentueux mystère qui a déjà connu six clubs, trois pays et qui, quand il sort du banc, se charge de nettoyer les lucarnes de France.

Quatre victoires, deux nuls. À mi-saison, la dynamique de l’OGC Nice remplit tous les bons critères. Un redressement auquel Didier Digard, intronisé coach en janvier dernier, contribue largement, poussé par des joueurs aux prestations régulières. Dans cet effectif, pas besoin d’être titulaire indiscutable pour faire la différence. Demandez donc à Billal Brahimi, seizième temps de jeu du club (782 minutes disputées et seulement six titularisations), pourtant devenu expert en optimisation. Par ces entrées en jeu, l’ailier s’est ainsi distingué en trouant les filets à Marseille, d’un bel enroulé à l’entrée de la surface, ou contre Ajaccio, sur un doublé tout aussi somptueux. Du travail bien fait, représentatif d’un bonhomme qui a mené sa carrière comme on se poserait dans une salle d’attente : droit et en silence.

Galtier, Cergy et Feiyue trouées

« Je souhaitais un joueur percutant, capable de prendre la profondeur. C’est ce que ce jeune au parcours atypique peut nous apporter. » En des mots simples, Christophe Galtier, alors sur le banc de l’OGCN, résumait le bout de chemin effectué par Billal Brahimi. Des voies sinueuses qui, à seulement 22 ans, le voyaient écumer six clubs, trois pays, et conclure par un transfert à 7,5 millions d’euros chez les Aiglons. Désormais installé dans la rotation du Gym, en dépit des départs de Galette et de son successeur Lucien Favre, Brahimi savoure. Plutôt logique, quand on regarde dans le rétro. « Ma vie se résume au football, présentait sobrement l’intéressé au média VISTA. Quand j’étais petit, on m’appelait « Le gardien ». Parce que j’étais le premier à sortir dans le quartier, et le dernier à rentrer chez moi. »

Avec le ballon comme plaisir routinier, le petit Billal aura en effet sillonné son quartier du Verger, à Cergy, en quête de compagnons dribbleurs. Le premier d’entre eux sera un certain Niels Nkounkou. « On a grandi ensemble, on habitait à une rue l’un de l’autre, donc on se connaissait avant même de commencer à jouer ensemble à Cergy, sourit l’arrière gauche de l’AS Saint-Étienne. Billal, c’était l’enfant du quartier. Tout le monde le connaissait, et lui a toujours été attaché à cet endroit. » Il faut dire que l’enfance est sportive, et que le désir de taper dans le cuir devient rapidement irréfrénable. Le salut vient alors des amis de son grand frère, conscients du talent de ce gringalet de 10 ans. Inscrit au Cergy Pontoise FC, « David Luiz » (son surnom, lié à ses prouesses capillaires) entame sa prochaine vie, sur le synthétique des terrains Chat Perché et Salif Keita. Sans chaussures. « Je n’avais pas de crampons. Pour mes entraînements, ma mère a dû acheter des Feiyue. 30 euros au marché de Cergy. Je les ai trouées au bout du premier entraînement », blague aujourd’hui le chevelu.

Merci Éder

Des souvenirs emplis d’une certaine nostalgie, venus rappeler à ce talent trop fragile physiquement sa lente progression. « Contrairement à beaucoup d’entre nous, Billal n’a jamais eu la chance ou l’opportunité de réaliser des détections dans des centres de formation, embraye Nkounkou. Il était même envoyé en équipe 2 ou 3 à Cergy, il avait moins de visibilité que les autres. Mais il ne s’en est jamais plaint. Au contraire, ces petites difficultés lui servaient de boost, parce qu’en nous voyant, il se disait que tôt ou tard, lui aussi aurait sa chance. » La lassitude ne tarde cependant pas à se pointer, pour celui qui atteint ses 16 ans sans avoir attiré le moindre recruteur. Alors direction le club voisin de l’AS Saint-Ouen l’Aumône, le genre de destination qui, quand on a cet âge et ces ambitions, ne ressemble pas franchement à un tremplin.

On était neuf dans une grande baraque. Chaque semaine, une dame venait nous faire à manger, et après, c’était Koh-Lanta : les jours passaient, et de moins en moins de joueurs étaient conservés.

Billal Brahimi et son totem d’immunité

Qu’importe, c’est au niveau régional que Brahimi régale, poussé par Miloud, un papa extrêmement attentif aux progrès du fiston. « Monsieur Brahimi a toujours été très investi, même avec nous en réalité, enchaîne Nkounkou. Je me souviens par exemple d’un match avec Cergy qu’on devait jouer à l’extérieur. Comme il manquait des voitures, il s’est proposé de déposer la moitié de l’équipe. On s’est retrouvés à sept, entassés à l’arrière. » Les prestations sont satisfaisantes, portées notamment par un replacement en ailier – gauche ou droit – exclusif. « Billal a toujours été très rapide avec un pied gauche ultraprécis, raconte Hamza Hafidi, qui le côtoiera au Mans. Il a surtout cette faculté à armer une frappe en pleine conduite de balle. J’ai rarement vu ça ! J’ai par exemple le souvenir d’un but à Concarneau, où il fait tout, tout seul. » Son nom finit ainsi par atteindre les petits papiers des scouts franciliens. Mais si le Racing 92 vient frapper à la porte, c’est l’étranger qui gagne ses faveurs. « En 2016, le Portugal remporte l’Euro en France. Donc les mois qui ont suivi, il y avait énormément d’agents portugais en Île-de-France, détaille le principal concerné. Un jour, l’un d’eux est venu me proposer une semaine de détection au Portugal. Évidemment, je n’y croyais pas, jusqu’au jour où il m’a envoyé un SMS avec les dates du test et les billets d’avion. Si le Portugal n’avait pas été champion d’Europe, que se serait-il passé ? » Billal Brahimi n’aurait peut-être jamais su placer Leixões sur une carte.

L’auberge portugaise

Direction le nord du Portugal, donc, pour intégrer les U19 d’un club habitué à la deuxième division. Au sud de Porto, Brahimi n’a pourtant même pas le loisir de cirer le banc. Encore mineur, il n’est pas autorisé à obtenir une licence par la fédération portugaise et, sur la saison 2016-2017, ne se contente ainsi que de séances d’entraînement et des joies de la colocation. « On était neuf dans une grande baraque. Des Brésiliens, des Espagnols… Chaque semaine, une dame venait nous faire à manger, et après, c’était Koh-Lanta : les jours passaient, et de moins en moins de joueurs étaient conservés. Mais au début, je kiffais ! J’appelais mes potes, je leur disais : “Je suis en U19, dans un club pro au Portugal !” Je prenais mes équipements en photo, je les postais sur les réseaux sociaux. Je souffrais psychologiquement, mais je voulais souffrir seul, sans inquiéter ma famille… » Loin de tout et l’esprit cabossé, le doux rêveur redescend sur terre. Conscient que ce printemps 2017, synonyme de fin de séjour lusitanien, sonnera certainement aussi la fin de ses songes.

« Quand il était au Portugal, ça nous arrivait d’échanger. Il me disait que c’était difficile pour lui, surtout l’éloignement, pose Niels Nkounkou. Mais il n’a jamais vraiment eu l’idée d’abandonner. D’autant que son père était toujours là pour le soutenir, même de loin. Il disait à Billal de s’accrocher, qu’il fallait passer par là pour réussir. » Alors que l’idée de tout plaquer et de rentrer dans le 95 lui traverse l’esprit, le Cergyssois finit par trouver la lumière là où il n’y en a pas. Séduits par son profil, entrevu sur quelques séances collectives à Leixões, des observateurs de Middlesbrough lui proposent en effet un essai de dix jours dans la grisaille du North Yorkshire. « Quand je suis arrivé en Angleterre, je regardais les autres joueurs et je me disais : “Vous ne savez pas d’où je viens, je vais tous vous manger !” » Bilan : trois buts et deux passes décisives en quatre matchs de détection.

Boro to be alive

Les Anglais tombent naturellement sous le charme et offrent une bourse d’étude à leur nouveau protégé. Un bail de deux ans avec les U19 qui ravit celui qui songeait à tout arrêter en cas d’échec : « Ou je me stabilisais en Angleterre, ou je retournais à Cergy pour travailler comme tout le monde. » Brahimi cartonne durant sa première saison, délivrant une quinzaine de passes décisives en 30 rencontres. Pour autant, si lui s’imagine déjà avoir le niveau pour débuter en professionnel, Peter Kenyon, le directeur sportif de Boro, n’est pas de cet avis. De quoi faire apparaître les premiers signes d’impatience du gaucher, qui n’hésite pas à frapper à la porte de ses dirigeants pour aborder le sujet. Hasard ou pas, les débuts en pro ne tardent pas à arriver, au soir du 28 août 2018 et un deuxième tour de Coupe de la Ligue contre Rochdale. Brahimi a 18 ans et la boule au ventre. « Mon coach, c’était Tony Pulis, un fou ! C’était la pause, et lui criait sur tout le monde. Il me regarde et me dit : “Come on, Brahimi !” Là je stresse, je me dis “Come on quoi ?!” Je n’étais pas prêt à jouer toute une mi-temps. Finalement, j’entre à la 75e minute. Heureusement, j’entre en même temps qu’un autre jeune, mon latéral droit en réserve (Djed Spence, aujourd’hui à Rennes, NDLR). Et on se connaissait par cœur. » Niels Nkounkou, qui lui aussi a quitté tôt la France pour l’Angleterre et Everton, est bien placé pour analyser les vertus d’un rebond outre-Manche : « C’est une fois arrivé en Angleterre que Billal a compris qu’il était sur le bon chemin. C’est un pays qui vous met très vite dans le cursus professionnel, avec les bonnes infrastructures et la bonne mentalité. »

Le kick and rush siglé Pulis a forgé la mentalité d’un Brahimi dont la carrière décolle enfin. Sélectionné en équipe de France U18 (génération Tchouaméni, Caqueret et Badiashile), il gagne la visibilité nécessaire pour taper dans l’œil de plusieurs clubs, dont le Stade de Reims, qui rafle la mise. Mais si le premier contrat professionnel tant attendu est signé à l’été 2019, l’affaire se complique. Intégré au groupe Pro 2 des Champenois – succursale permettant aux jeunes recrues de gagner en temps de jeu avant de rejoindre l’équipe A –, Brahimi rentre dans le rang, et, comme à Middlesbrough, s’impatiente. En interne, certaines sources pointent du doigt le manque d’implication d’un joueur se pensant taillé pour la Ligue 1. La solution se trouvera donc en prêt, au Mans. « Au-delà de son expérience acquise à l’étranger, son passage au Mans a véritablement lancé sa carrière, analyse Hafidi. J’étais meneur de jeu, lui ailier et on s’entendait trop bien sur le terrain. Quand j’avais le ballon, c’était contrôle et transversale à droite les yeux fermés quasiment. » En National, Brahimi trouve son rythme de croisière – 12 buts et 10 passes décisives en 34 matchs durant la saison 2020-2021 –, mais surtout un vestiaire qui le fait mûrir.

Polyglotte à 20 ans

« Au Mans, j’ai bien aimé m’occuper de lui, poursuit Hamza Hafidi, de sept ans son aîné. C’est une petite ville, donc c’est plus facile de souder un groupe de joueurs, de sortir ensemble. Il en était à son quatrième club, mais toujours loin de sa famille. Même s’il ne le montrait pas, il avait besoin d’un certain soutien pour ne pas trop déprimer. Mais sa maturité et son intelligence faisaient la différence. On parle quand même d’un gamin qui, à 20 ans, parlait déjà quatre langues. » Élu révélation de l’année en National, dans une équipe qui manque les barrages pour la Ligue 2 de justesse, Brahimi achève sa mue. Et tant pis si les relations avec la direction rémoise sont toujours aussi tendues à son retour de prêt, c’est Angers qui récupère l’affaire pour un million d’euros. Cette coquette somme pour un joueur de National, dépensée en septembre 2021, se transformera en joli investissement six mois plus tard, quand le SCO vendra son joueur à l’OGC Nice pour 7,5 millions d’euros.

J’ai célébré son but contre Marseille en criant tellement j’étais content pour lui.

Niels Nkounkou, son ami d’enfance

Neuf apparitions sous la tunique noir et blanc ont suffi au futur international algérien (4 sélections) pour charmer les Aiglons. Pour le grand bonheur de Niels Nkounkou et Hamza Hafidi. « Le voir se stabiliser en Ligue 1, c’est magnifique. J’ai même célébré son but contre Marseille en criant tellement j’étais content pour lui. Arriver là où il est après tout ce parcours, c’est la plus belle des récompenses », amorce le latéral de l’ASSE, rejoint par l’ancien du Mans : « Il va naturellement s’installer en Ligue 1, si bien sûr on lui laisse le temps de jeu nécessaire. Parce que le niveau et le talent, il les a depuis longtemps. Vous avez vu ce qu’il a fait contre Marseille ? Avec du temps de jeu, vous allez voir des top buts tous les week-ends ! » En attendant d’en arriver là, Billal Brahimi bosse en silence. Car c’est souvent le silence qui règne dans les salles d’attente.

Dans cet article :
Youcef Atal : « Je n'ai rien fait de grave »
Dans cet article :

Par Adel Bentaha

Propos de Niels Nkounkou et Hamza Hafidi recueillis par AB.
Ceux de Billal Brahimi et Christophe Galtier, tirés du média VISTA et d'une conférence de presse.

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