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Bienvenue à l’École des agents de joueurs de football
Depuis désormais six ans, l'école des agents de joueurs de football propose à des jeunes de tout horizon de se former au métier d'agent. Après dix mois de boulot intensif, les 300 élèves répartis dans quatre centres de formation en France (Paris, Lille, Lyon et Marseille) peuvent espérer décrocher la licence professionnelle délivrée par la FFF.
Aujourd’hui, le Paris FC ne joue pas. Les filles du Paris Saint-Germain non plus, d’ailleurs. Pourtant, à 9h du matin, le stade Charléty est déjà ouvert. Dans ses travées, 80 hommes et femmes (répartis en deux groupes) sont assis, stylo en main, les yeux rivés sur leurs cahiers. Eux, ce sont les pensionnaires de l’École des agents de joueurs de footbal (EAJF). Après des semaines de formation en e-learning, ils assistent à leur première semaine de cours en présentiel. Dans une salle qui résonne, mais qui a le mérite d’avoir vue sur le terrain de football. Qu’importe à vrai dire, puisque ce vendredi matin, le groupe d’étudiants est concentré sur le cours de droit à l’image donnée par Badou Sambagué, avocat au barreau de Paris et également conseiller de George Weah.
Alors qu’ils sont en train de décortiquer un article qui semble bien compliqué pour des esprits qui se réveillent tout juste, Sidney Broutinovski interrompt la classe. « Bonjour à tous. Je voulais simplement faire le point avec vous sur l’ambiance en classe. Tout le monde a payé le même prix, si un élève est dissipé, c’est à vous de le secouer. Les deux principes ici : respect et auto-régulation » , explique-t-il fermement. Ici, ce n’est pas un lycée. Mais le directeur se doit d’être clair. La formation va vite, très vite même, et personne ne peut se permettre de perdre du temps ou d’en faire perdre. Pour Sidney Broutinovski, l’objectif est simple : pousser à la réussite un maximum d’élèves et continuer à faire croître son établissement.
« Je vais créer la formation que j’aurais voulu avoir »
Issu du monde de l’immobilier, et copains avec de nombreux jeunes footballeurs, c’est tout naturellement que Sidney Broutinovski s’est orienté vers le métier d’agent. Problème, dans les années 2000, les formations ne courent pas les rues. « Pour trouver la formation, j’ai bataillé. J’ai fini par trouver une école de commerce à Paris. J’ai payé plus de 2000 euros pour aller une fois par semaine dans une salle de cours qui devait être un ancien cagibi, sans fenêtres, rien, avec des professeurs qui étaient tout sauf agents de joueurs de football » , regrette-t-il aujourd’hui. « C’était pire que la fac ! C’était du foutage de gueule. Et là, je me suis dit : je vais créer la formation que moi, j’aurais voulu avoir. » D’une déception est donc née l’école des agents de joueurs de football, en 2009. « C’était à l’époque où Giuly montait sa conciergerie. Il allait faire une conférence au Parc des Princes et m’a proposé de s’associer à lui. Ensuite, Rigobert Song m’a rejoint dans le projet. Au final, tout s’est très bien passé. Il y a eu un boum médiatique » , raconte le fondateur, surpris du nombre de journalistes présents pour sa grande première.
Une fois l’école créée, il a fallu poser les bases de l’enseignement et recruter les professeurs les plus à même de les transmettre. « Je voulais des professeurs qui connaissent le ballon, ceux que moi, je n’avais pas eus. Le droit, c’est chiant, et ça emmerde tout le monde. Je devais trouver la passerelle entre la théorie et la pratique. Les élèves veulent du concret, des exemples » , explique le directeur, fier de la progression fulgurante de son projet. D’une quinzaine d’élèves en 2009 – des anciens camarades de promotion majoritairement – l’EAJF compte aujourd’hui près de 300 élèves répartis dans toute la France. « On m’a toujours conseillé d’ouvrir ailleurs. J’ai écouté les conseils, et on a ouvert à Lyon, à Lille, à Marseille. Maintenant que j’ai ouvert ces villes-là, on me demande d’aller à Bordeaux. L’année prochaine, on ouvre Nantes à la Beaujoire, c’est top. » Sa réussite, l’EAJF la doit à plusieurs principes fondateurs : des enseignants en phase avec le métier d’agent, une formation multimodale et une semaine de séminaire.
« Ici, on va au-delà du simple examen, qui est trop théorique à mon goût. Nous, on forme aussi sur le côté pratique. Là, on part à Auxerre pour un séminaire d’une semaine. On ne vend pas du rêve à l’école, on forme » , détaille fièrement le directeur. Au programme : rencontre avec les membres du staff de l’AJA, tous prêts à recevoir 80 aspirants agents, pour le plus grand bonheur des élèves et des professeurs. À quelques semaines de la première partie de l’examen de la FFF, qui aura lieu le 16 novembre, les élèves sont donc tous réunis pour trois semaines de cours intensifs. À Charléty pour les Parisiens, à Gerland pour les Lyonnais, à Pierre-Mauroy pour les Lillois et au Vélodrome pour les Marseillais, tous étudient pour accomplir un rêve commun : devenir agent de joueur.
Plusieurs profils, un seul but
À l’heure de la pause cigarette, plusieurs élèves se prêtent avec plaisir au jeu des questions/réponses. Sans surprise, la plupart ont un lien avec le monde du football. Matthieu, 24 ans, « est passé par le centre de formation du Stade rennais et du Stade brestois et a connu un peu le haut niveau. » Comme Brice, à peine plus vieux, qui a joué à « un niveau acceptable, en semi-pro jusqu’en Slovénie » . Wassim n’a, lui, pas réussi à poursuive son plus grand rêve, « devenir footballeur professionnel » . Mais poussé par la passion et un modèle imagé, il n’a pas abandonné l’idée de percer dans le monde du football : « Je lisais beaucoup Captain Tsubasa (Olive et Tom) quand j’étais petit. Je voyais un peu le personnage de Roberto. C’était un ancien joueur professionnel, devenu entraîneur qui voulait aider Tsubasa (Olivier Atton) à réaliser son rêve. Je me suis dit plus tard, si je ne deviens pas pro, j’aiderais un jeune dans un pays comme le Japon ou le Canada, à réaliser son rêve. » D’où la volonté de devenir agent. Les élèves de l’EAJF sont toutefois bien conscients de la réputation sulfureuse de la profession à laquelle ils aspirent.
Mais ils revendiquent l’ambition de défendre l’éthique incarnée par l’EAJF. Non pas pour flatter son fondateur Sidney Broutinovski, qui a pris soin de s’éloigner, mais par vraie conviction personnelle. D’autant que certains ont déjà eu affaire aux requins du milieu. « J’ai rencontré (au cours de ma carrière) des agents qui m’ont fait perdre du temps, des gens pas professionnels. Dans une carrière de footballeur, c’est fréquent qu’on soit touché par une blessure. Et parfois, on vous lâche, au moment où vous en avez le plus besoin. Quand on n’a pas la personne pour nous aider dans ces moments-là, on peut faire un mauvais choix qui va déterminer tout le reste » , illustre Brice avec son expérience personnelle. Matthieu confirme : « Mon but premier n’est pas de faire énormément d’argent, mais plutôt de faire un métier qui me plaît. Ce qui m’intéresse est de pouvoir créer une carrière avec des joueurs, de les accompagner… C’est quelque chose qui m’a manqué quand j’ai été joueur. Actuellement, dans le monde du foot, le métier d’agent est essentiel pour pouvoir réussir. J’ai eu des agents, mais je sentais que ce n’était pas forcément des personnes avec lesquelles s’engager. »
Cependant, ils savent que la licence ne fait pas tout. À commencer par le plan humain, comme appuie Brice : « Je pense qu’il y a une légitimité à avoir. Et c’est la licence qui va l’apporter. Mais ce n’est pas la licence qui va changer l’humain. On peut avoir la licence, prétendre avoir des valeurs et ne pas les avoir. La licence ne va pas changer l’homme. » Matthieu, lui, ne se voile pas la face sur son avenir à court terme : « Je pense que pour réussir en tant qu’agent, il faut une certaine expérience. Acquérir une certaine maturité. Je ne pense pas que je vais tout de suite m’imposer. Cela viendra au fil des années. Je ne me vois pas commencer tout seul de toute façon. Je préférerais m’associer avec des personnes qui ont plus de vécu. Si j’obtiens ma licence, j’aimerais débuter soit dans un cabinet, soit avec un agent licencié. » Ce que pourrait lui offrir le 11 des Légendes, « une entité très intéressante, puisqu’elle a déjà son réseau, donne la possibilité d’avoir un accompagnement, un suivi » , étaye Brice. Mais d’ici là, il faudra passer par la case examen. Une échéance que Matthieu aborde avec détermination : « Même si je n’ai pas ma licence cette année, je continuerai. Je ne vais pas baisser les bras. » C’est tout ce qu’on lui souhaite.
Par Gabriel Cnudde et Eric Marinelli