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Bielsa : « Les fans ne célèbrent pas la spéculation et la triche »
Depuis maintenant de nombreuses années, Marcelo Bielsa a choisi de ne plus accorder d’interview à la presse, par souci d’équité et de justice entre les médias. Par souci de justice et d’équité envers Marcelo Bielsa, So Foot publie les transcriptions in extenso de ses conférences de presse avec Leeds United. Ce samedi, Leeds accueille en leader le FC Brentford, concurrent direct pour la montée en Premier League.
Bonjour Marcelo. Pouvons-nous démarrer en prenant des nouvelles de Barry Douglas, qui s’est blessé lors du dernier match (victoire 1-0 de Leeds à Hull City, N.D.L.R.) ?
Douglas ne sera pas disponible pour ce match à venir.
Qu’est-ce que cela engendre pour les choix concernant le groupe que vous allez prendre ce week-end ? Évidemment, c’est une difficulté de ne pas pouvoir compter sur la totalité de son effectif. Mais avant l’arrivée de Douglas, nous avions Stuart Dallas qui a répondu positivement à chaque fois que j’avais fait appel à lui. Aussi, nous possédons Tom Pearce qui occupe la même position et, sans manquer de respect au travail de Douglas, nous sommes préparés afin de répondre aux éventuelles absences.
Nigel Adkins, l’entraîneur de Hull City, a expliqué après le match qu’il n’avait jamais vu une équipe aussi impressionnante en Championship… Quel est votre sentiment là-dessus ? Avez-vous l’impression que Leeds United est devenu l’équipe que tout le monde souhaite battre dans cette division ? (Le traducteur s’adresse à Bielsa, mais ce dernier le coupe très tôt. Bielsa répond par lui-même.)
J’apprécie beaucoup ces paroles, surtout de la part d’une personne qui connaît suffisamment bien cette division. En toute logique, ce genre d’éloge augmente notre obligation à justifier ces propos.
Nous abordons le dernier match avant la prochaine trêve internationale. Quel serait le message envoyé par Leeds à boucler cette période en leader malgré les blessures subies par le club depuis le début de la saison ?(Bielsa lève les sourcils et cherche ses mots.)
Nous avons perdu des points en chemin, mais ces points perdus n’étaient pas liés aux absences dans l’effectif, surtout lors des matchs contre Birmingham (défaite 2-1, N.D.L.R.) et Sheffield Wednesday (1-1, N.D.L.R.).
Je ne pourrais pas vous convaincre sur le fait que nous avons perdu des points à cause d’un manque de joueurs. Bien sûr, j’ai toujours de l’attention pour ceux qui sont indisponibles, mais nous devons être prêts pour pallier ces absences qui nous font face. Les performances de Jansson, Robertson et Harrison furent satisfaisantes. En rapport à notre prochain match ce samedi, j’espère simplement que nous allons poursuivre notre évolution positive et acquérir la victoire.
Est-ce que cette situation renforce votre idée du début de saison selon laquelle vous cherchiez à former un effectif restreint, afin que tout le monde puisse participer activement à la saison en cours ? Eh bien, au contraire. (Bielsa relève la tête, regarde le journaliste dans les yeux.) Parce que maintenant, nous souffrons d’un nombre d’absences supérieur à celui que nous avions prévu ! J’ai toujours en tête que nous allons subir une moyenne de quatre absences pour chaque rencontre. Aujourd’hui, nous sommes au-dessus de cette moyenne. Malgré cela, j’ai beaucoup de considération pour tout le travail effectué par le centre de formation de Leeds qui nous a permis d’intégrer Shackleton, Shaughnessy, Pierce, Clarke, Edmondson… Ces jeunes joueurs couvrent les indisponibilités d’éléments plus expérimentés.
Quel est le degré de gravité concernant la blessure de Douglas ? Je pense que Douglas sera disponible après la trêve internationale, mais je ne peux pas vous l’assurer.
Il y a une statistique étonnante : cela fait 49 matchs consécutifs que les arbitres n’ont pas donné de penalty en faveur de Leeds. Quelle est votre opinion sur l’arbitrage dans le football anglais ? J’aime la manière d’arbitrer en Angleterre. Je crois que le rythme et l’intensité qui caractérisent ce championnat sont liés à la noblesse du football anglais. Notez bien que je parle du football anglais et non des joueurs anglais, car de nombreux joueurs étrangers évoluent aussi en Angleterre. Mais bien entendu, le fan de football souhaite punir la spéculation et la triche. (Bielsa corrige sa phrase.) Ou plutôt, le fan de football ne célèbre pas la spéculation et la triche. En cela, le footballeur s’identifie aux supporters et évite toute forme de simulation. Aussi, cela facilite le travail de l’arbitre qui ne doit pas s’arrêter sur chaque action pour juger ou non d’une simulation. L’arbitre possède le droit de ne pas douter de ce qu’il voit. De toute manière, quelle que soit la décision de l’arbitre, il mérite toujours d’être soutenu par les acteurs du football, car cette tâche est très, très compliquée. Les arbitres méritent respect pour leurs bonnes décisions et considération pour les mauvaises. La raison est simple : nous possédons beaucoup plus de recours pour donner notre opinion sur un jugement qu’ils en possèdent pour décider.
Merci, Marcelo. (Bielsa fait un signe d’approbation de la tête en direction du journaliste.)
Vous allez jouer contre le FC Brentford, une équipe que beaucoup décrivent comme similaire à la vôtre dans le style. Quelle est votre opinion là-dessus ? (Il inspire et réfléchit.) C’est une équipe à la recherche de la possession du ballon. Il existe de nombreuses équipes qui, sans que cela soit connoté de manière négative, se sentent plus à l’aise sans le ballon.
Les joueurs de Brentford souhaitent l’obtention de la balle, ils savent quoi en faire et désirent jouer au football sans perdre de temps. S’ils ne jouent pas de manière continue, ce n’est pas une bonne chose pour leur style car la meilleure chose que sait faire Brentford, c’est de jouer au football. Si je me mets à dire qu’ils ressemblent à notre équipe après avoir décrit leur style de jeu, cela serait très vaniteux de ma part.
(Bielsa s’arrête dans ses explications et interroge son traducteur sur le bien-fondé de son explication.)
Je décris le style de notre adversaire, mais je ne m’attribue en aucun cas leurs vertus mentionnées pour Brentford.
Pensez-vous que le match de ce samedi sera ouvert étant donné le style de ces deux équipes ? Écoutez, il y a une constante qui se produit à un pourcentage très élevé et que vous pouvez vérifier au moment où vous observez le match en tant que spectateur. Quand vous faites des éloges à un joueur, ce même joueur se trompe l’action suivante. Je ne sais pas si cela est commun en Angleterre, mais en Argentine, c’est très fréquent. Et ceux qui font le même métier que vous là-bas vont toujours faire référence à cette constante dont je vous parle en ce moment. En cela, j’aimerais éviter de faire tout type de commentaires sur le match à venir, que j’imagine très attractif, mais je ne veux en aucun cas courir le risque d’en parler en bien et que cela ne se produise pas.
Oui, nous appelons cela le « commentator’s curse » (la malédiction du commentateur, en VF)…
(Bielsa enchaîne.) Les matchs sont retranscrits par deux types de personnes, en Angleterre comme en Argentine : l’un détaille et l’autre interprète. Lorsque n’importe lequel des deux encense l’un des joueurs sur le terrain, le joueur cité se trompe sur l’action suivante. C’est pour cela que souvent les commentateurs disent : « Il suffisait de lui lancer des fleurs pour qu’il se manque ! » Est-ce que ce genre de choses arrive aussi en Angleterre ?
(La salle répond de façon unanime par l’affirmative.)
C’est un message que le football nous envoie : il est impossible d’anticiper ce que réserve en réalité le football. Nous croyons tous que nous connaissons le football, car nous imaginons à l’avance ce qu’il va se passer. Mais le football nous renvoie à nos études et démontre qu’il est le sport le plus populaire au monde car il est imprévisible par essence.
Vous avez bientôt joué contre la moitié des équipes du championnat. Comment jugez-vous ce championnat du point de vue de sa force et son habileté ? Nous avons des équipes comme Middlesbrough qui dégagent une grande puissance dans leur jeu aérien et dans les duels en un contre un. Ce genre d’équipe suscite la crainte. Aussi, il existe une autre catégorie d’équipes comme Derby County qui possèdent d’autres caractéristiques liées à un processus offensif différent.
Parmi elles, il y a une équipe avec un style de jeu que j’affectionne particulièrement : Preston North End. Pourtant, cette équipe se situe dans la partie basse du classement… Dès lors, quand la productivité du résultat est l’argument unique, l’opinion perd de l’importance. Mais quand vous évaluez ce que produit une équipe comme un argument exclusif, nous n’aurions plus besoin de conférence de presse car il n’y aurait plus aucun sujet sur lesquels parler. Ici, nous parlons de football, mais nous considérons déjà le résultat comme la conséquence finale la plus importante. Étant donné que je pense que nous devons nous adapter à ces règles de conduite et que le contraire serait non productif, cela me dérange de défendre une caractéristique que le résultat final ne confirme pas. Je considère Preston et Brentford comme des équipes semblables avec de jeunes joueurs, un football plaisant à regarder, mais avec des résultats différents l’un et l’autre. Enfin, je crois que mon opinion ne doit pas être prise en compte, car pour être sûr de ce dont nous sommes en train de parler, il faut avoir vu davantage de match que moi.
D’après vous, quelle est la meilleure position à occuper sur le terrain pour Dallas : souhaitez-vous le voir évoluer en ailier ou plus bas sur le terrain ? (Bielsa lève les yeux au ciel, baisse la tête et enlève ses lunettes.)
Je crois que Dallas est le penchant d’Alioski sur notre côté droit. Alioski est offensif, même s’il sait aussi très bien défendre. De mon point de vue, le style de Dallas est plus défensif de base, même s’il sait très bien attaquer. Les deux peuvent jouer sur chaque côté du terrain. Quand je vous disais dans ma précédente réponse que l’information dont je dispose actuellement est insuffisante, les deux derniers matchs internationaux joué par Dallas ont été très bons comme ailier. Dallas a passé 50% de son temps à jouer à gauche, puis 50% de son temps à jouer à droite.
Dallas n’a pas beaucoup joué durant ce début de saison étant donné sa blessure. Est-ce que vous l’avez considéré comme une option réelle dans le secteur offensif ? Oui. Dans les dernières rencontres jouées, notre premier remplacement effectué était celui de Dallas. Ce joueur sait comment bien utiliser la profondeur, il sait centrer avec les deux pieds, il sait exercer un gros pressing pour passer d’un rôle défensif à un rôle offensif. (Bielsa reprend son traducteur pour bien souligner son rôle dans le harcèlement.) Enfin, il possède une grande capacité de coordination pour sprinter au bon moment et s’engager dans un espace autorisé et libéré.
Pontus Jansson va bientôt être père. Est-ce que cet évènement va le rendre indisponible pour les prochaines échéances ? Je ne sais pas ! En ce qui me concerne, je considère que les questions en rapport avec le profil plus humain des footballeurs sont au-dessus des exigences professionnelles. Mais dans la majorité des cas que vous mentionnez, les joueurs parviennent souvent à combiner les domaines du privé et du professionnel.
Steve Bruce s’est fait jeter une ordure dessus lors du dernier match contre Aston Villa. Cela vous est-il déjà arrivé ? Oui… (Silence et réflexion.) Mais je ne vois pas cet évènement avec la barbarie et le caractère exceptionnel que vous imaginez. En vérité, cela veut dire que vous avez les bons réflexes et que je possède les mauvais réflexes.
Merci. (Sourire crispé de Bielsa.)
Les commentaires de l’entraîneur de Hull City n’étaient pas les premiers que vous avez reçus cette saison… Est-ce que cela vous remplit d’une certaine fierté professionnelle ? D’abord, je remercie vraiment de recevoir des éloges.
Je sais que le destinataire de ces mots ne devrait pas être moi, mais mes joueurs. En leurs noms, j’accepte de recevoir ces éloges. Si des personnes rejettent des mots affectueux, vous pouvez penser que ces personnes ont de la fausse modestie. Je déteste la fausse modestie car c’est une induction à ce que l’autre pense le contraire de ce que j’affirme. Donc j’accepte toujours les éloges des observateurs, surtout s’il s’agit d’un des mes homologues qui possède une vision spécifique et expérimentée comme celui de Hull ou de Middlesbrough. Mais par-dessus tout, j’espère que l’équipe méritera les mêmes éloges à la fin de ce championnat. Nous avons encore beaucoup de choses à démontrer et ces choses ne sont pas encore arrivées.
Vous êtes dans le Yorkshire depuis maintenant deux ou trois mois… Avez-vous déjà testé les traditions culinaires locales comme le fish & chips, par exemple ?
(Bielsa sourit et se met à rire.) Cette région de l’Angleterre est rurale. Ai-je raison ?
(L’audience acquiesce après une légère hésitation.)
Je suis plus un homme de la campagne qu’un citadin. J’aime le fish & chips, mais je préfère encore plus les asados argentins !
Nous avons pris connaissance que vous aviez un lit à côté de votre bureau… Combien de temps passez-vous dans les locaux de Leeds chaque semaine ? Je sais faire très peu de choses en dehors du football. Ma vie se résume au football et à ma famille. Le football m’a enseigné que pour interpréter d’une meilleure manière, il vaut mieux lire un livre ou voir un film que de forcer les choses dans un thème bien précis. Si l’on force trop, on finit par ne plus avancer. Les enfants aiment faire cela (Bielsa se triture les cheveux sur le crâne de manière circulaire), mais le mouvement est le même lorsque l’on se force à réfléchir sous la fatigue. Et quand vous regardez du football de manière exagérée, vous ne vous améliorez pas. L’obsession est décrite comme une vertu car elle associe l’obsession au travail. Mais de mon point de vue, c’est la meilleure manière d’échouer.
Propos retranscrits par Antoine Donnarieix