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Bielsa : « L’élément central se situe autour de l’amour du maillot »
Depuis maintenant de nombreuses années, Marcelo Bielsa a choisi de ne plus accorder d’interview à la presse, par souci d’équité et de justice entre les médias. Par souci de justice et d’équité envers Marcelo Bielsa, So Foot publie les transcriptions in extenso de ses conférences de presse avec Leeds United. En cas de victoire à domicile contre Bolton, Leeds s’assure de rester dans le sillage du leader Norwich City.
Bonjour Marcelo. Cette semaine, la Fédération a pris une décision concernant l’affaire d’espionnage dans laquelle vous étiez impliqué. (L’EFL a condamné Leeds United à payer une amende de 200 000 livres sterling dans le cadre du « spygate » , N.D.L.R.) Êtes-vous content que cela fasse partie du passé ? (Direct.) Oui ! Oui, oui…
Pour ce week-end, quelles sont les nouvelles concernant Jack Clarke ?Il n’est pas disponible. L’équipe sera composée de Casilla, Ayling, Jansson, Cooper, Alioski, Klich, Philipps, Roberts, Pablo Hernández, Bamford et Harrison.
Roofe est blessé. Avez-vous une idée, même approximative, de la date de son retour ? Non. Très sincèrement, sa blessure peut demander quatre, six ou huit semaines de récupération.
Nous avons vu que Brown était encore aligné chez les U23. Est-il proche de démarrer un match avec vous ? Il fait des progrès constants. Il est nécessaire de mettre en lien ses améliorations avec les besoins de l’équipe, pour que son intégration soit réussie au maximum au moment où il pourra démarrer une rencontre.
Que pensez-vous de Bolton, une équipe qui s’apprête à jouer sa survie en D2 ? (Long silence.) Il est toujours difficile de confirmer une différence comptable entre deux équipes dans un championnat quand vient le moment de l’affronter directement.
Si nous devions regarder le classement uniquement, Birmingham aurait par exemple dû s’imposer contre Bolton. Et pourtant, Bolton est sorti vainqueur du match. Il existe aussi des exemples contraires, mais le comportement le plus sain est d’éviter que n’importe quelle équipe prenne son adversaire avec de la suffisance. C’est la mentalité à adopter en Championship.
Au match aller, vous aviez dû batailler pour aller chercher la victoire sur la pelouse de Bolton. Aujourd’hui, voyez-vous un changement dans leur manière de jouer ? Hé bien, j’ai une conception globale de cette équipe, mais cette étude n’est pas assez minutieuse pour faire des comparaisons entre l’équipe du match aller et celle d’aujourd’hui.
Nous avons vu West Bromwich Albion arracher une victoire au buzzer lors de son dernier match. Vu que vos adversaires directs pour la montée engrangent des points, est-ce important pour votre équipe de suivre ce rythme ? Dans n’importe quelle situation, il est important que Leeds engrange des points. Les matchs qui restent encore à jouer détiennent une dimension de plus en plus définitive à l’approche de la fin du championnat. Nous ne nous sentons pas obligés de suivre le rythme de nos adversaires s’ils gagnent, et nous ne nous sentons pas sereins après que nos adversaires directs perdent des points en route. Tous les points glanés à partir de maintenant vont prendre une dimension significative.
Merci beaucoup. (Tête baissée pour réfléchir, Marcelo Bielsa lève la tête et sourit au journaliste.)
Douglas et Forshaw sont-ils disponibles pour le prochain match ? Douglas va jouer demain chez les U23. C’est la dernière étape vers un processus de récupération en équipe première, sous réserve du contrôle médical. Ce n’est pas le cas d’Adam Forshaw, car sa blessure nécessite plus de temps. Cela va aussi être difficile de compter sur lui pour les matchs de la prochaine semaine… Pour Roofe, il se trouve dans le même état que Clarke.
Patrick Bamford semble beaucoup apporter à votre collectif. Comment avez-vous vécu ses évolutions au sein de votre propre équipe ? Oui ! Revenir dans une équipe après une longue période d’absence, cela nécessite de retrouver progressivement la forme et de développer son état physique. Petit à petit, il s’améliore afin d’arriver au plus haut niveau de ses capacités.
Beaucoup de monde pense que Leeds va battre Bolton avec la manière. Quel est votre avis sur la question ? Cette analyse est basée sur le fait que Norwich (actuel leader de Championship, N.D.L.R.) a battu Bolton par quatre buts d’écart.
De notre côté, nous pensons tout d’abord à gagner. La manière, cela vient ensuite. Établir un écart de buts important, c’est notre troisième objectif. Mais tout ça, ce sont nos rêves pour la prochaine rencontre. Je ne pourrais rien vous dire sur leur différence de niveau, quelle soit majeure ou mineure.
Est-ce que cette période de repos vous a permis de recharger les batteries avant d’enchaîner sur trois matchs consécutifs ? (Il sourit.) Écoutez, je vous répondrai là-dessus après nos trois matchs ! Si cela s’avère positif, cela voudra dire que cette période de repos était bénéfique. Si cela s’avère négatif, cela voudra dire que cette même période de repos a interrompu le développement de l’équipe. Il y a toujours une explication à une série de résultats positifs, mais la difficulté réside dans le fait d’en avoir la certitude avant.
Et vous, vous sentez-vous reposé ? Ah oui, mais moi, je ne ressens pas la fatigue !
(Rires dans la salle.)
Est-ce que vous aimez vivre ces moments où les résultats finaux sont proches d’être révélés ? Bien entendu ! L’axe majeur de notre profession est basé sur la compétition. Quand les conséquences de la concurrence sont définitives, c’est aussi le moment où nous ressentons le plus de défi.
Il y a beaucoup d’attente chez les fans qui souhaitent voir le club accéder en Premier League. Comment ressentez-vous cette atmosphère en tant que coach du club ? Je trouve cette attente légitime. (Il réfléchit.) Nous savons ce que ressent le supporter quand il s’imagine quitter le Championship. Il faut savoir que nous avons la même envie qu’eux. D’une part parce que nous avions les mêmes désirs en début de saison, et d’autre part car nous savons que nous agissons sur les sentiments de nombreuses personnes. Et cela doit décupler notre force.
Pour vous, est-il difficile de gérer cette attente des supporters ou non ? Je n’ai jamais ressenti le besoin d’un soutien extérieur pour faire augmenter mon envie de gagner.
Vous avez expliqué précédemment qu’il serait difficile de ressortir des conclusions de cette fin de championnat… Pensez-vous que celles-ci n’arriveront que dans les deux dernières journées ? Dans le football, il est très difficile d’affirmer des faits encore inexistants.
Parmi plusieurs raisons, l’une des choses qui rendent le football le sport le plus vu à travers le monde est qu’il est possible de voir gagner une équipe qui ne le mérite pas. Dès lors, si vous voulez calculer pour les journées restantes, battre huit équipes en huit journées s’annonce difficile. Mais si vous pensez aussi qu’il n’est pas possible de faire une analyse logique et juste, car il peut arriver que l’équipe qui gagne ne soit pas la meilleure… En prenant tous ces éléments en compte, je crois qu’il est impossible de répondre à votre question. Êtes-vous content des apports de Berardi et Dallas chez les U23 ? Berardi va nécessiter un peu plus de compétition à ce niveau-là. À cet effet, il sera prêt à jouer. Et pour Stuart Dallas, récupérer sa forme sportive l’a moins sollicité. Il sera réintégré au groupe pour jouer.
Lundi, vous avez pris des photos en compagnie des supporters à Elland Road. Pour vous, est-ce important de soigner son image vis-à-vis des sollicitations des fans ? Non ! Pour moi, je le fais parce que… Parce que le plus important est de voir un supporter qui aime son écusson, son maillot. (Bielsa apparaît soudain gêné.) Quand les gens m’interpellent, ce n’est pas pour me demander des autographes à moi, mais plutôt à l’entraîneur de Leeds… Je comprends les liens d’affection entre le supporter et les joueurs d’un même club, et je ne dis jamais non à un enfant qui me demande un autographe. Les supporters ne demandent pas l’autographe à une personne, mais à ce qu’elle représente.
Avec ses multiples blessures en début de saison, Roofe s’est à nouveau blessé dernièrement. Trouvez-vous que ce joueur souffre de malchance à ce niveau-là ?(Bielsa rit jaune et s’adresse à Salim Lamrani.) Dis-lui qu’il peut en tirer ses propres conclusions… Les chiffres sont tellement illustratifs qu’ils parlent d’eux-mêmes. Mais d’un point de vue personnel, je n’aime pas parler de cela pour en dégager une justification sur ce sujet. Une expression dit que Dieu est parfois dur, mais il n’étrangle jamais. Nous verrons bien si cela se vérifie…
(Rires dans la salle, puis un journaliste chilien prend la parole.)
Avant votre arrivée à Leeds, ce club n’était pas du tout suivi en Amérique du Sud. Maintenant que vous y êtes, les Chiliens se renseignent toutes les semaines sur les résultats de votre équipe. Comment expliquez-vous cet amour toujours existant, malgré le fait que votre départ de la sélection nationale date d’il y a maintenant huit ans ? La seule chose que je peux vous dire, c’est que… (Bielsa prend un long moment de réflexion.) C’est que nous souhaitons tous être aimés. Là, je parle de tous les êtres humains sur Terre. J’aime le Chili, et je me suis senti très aimé là-bas. Je n’oublie jamais le caractère admirable que je donne à ce peuple, ces gens qui construisent le Chili chaque jour.
À ce titre, Luis María Bonini avait travaillé avec vous en sélection et à Bilbao, il est décédé l’année dernière. Quel souvenir pensez-vous qu’il laissera au Chili ? Pendant vingt ans, Luis a été un formidable collègue de travail. C’était un homme sage, mais il ne souhaitait jamais le montrer publiquement. Il laissait toujours transparaître son grand sens commun à tous ses partenaires. C’était un homme transparent, sincère. Il laissait la démagogie de côté pour faire prévaloir la franchise. J’ai perçu cela comme une qualité rare.
J’essaie de comprendre le comment et le pourquoi de votre méthode si particulière. Quand vous expliquez que le football est une recherche collective dans le but d’atteindre un rêve commun, est-ce aussi votre manière de ressentir le football ? Les acteurs du football sont surévalués. Le football n’est pas un sujet fondamental uniquement par le nombre de personnes qui suivent ce sport. Il existe de nombreux sujets fondamentaux, mais qui n’intéressent que très peu de personnes. Aussi, il existe des sujets dénués de valeur qui intéressent beaucoup de personnes. En ce qui concerne le football, l’élément central se situe autour de l’amour du maillot, une identification collective et concrète qui permet aux personnes de se réunir. Nous vivons dans une époque individualiste, singulière et centrée sur soi-même. À titre personnel, le fait de prendre part à ce processus de réunification des gens depuis un poste que j’occupe de façon privilégiée et injuste, c’est une décision voulue de manière collective. Je prends conscience de cette chance que j’ai.
Vous utilisez les émotions, les sentiments pour nouer un lien fort avec vos joueurs. C’était difficile de réaliser cela avec les joueurs anglais ? (Direct.) Non, bien au contraire. Ils détiennent… Quel est le mot déjà ? Un comportement à fleur de peau pour résoudre avec brio leur capacité de réponse aux émotions procurées par le football. Là, je parle de mon groupe, de notre équipe. En aucune manière, je ne peux aller au-delà de ce raisonnement.
Depuis votre arrivée, avez-vous déjà eu le temps d’analyser ce que la ville de Leeds vous a donné et ce que vous avez donné à cette ville ? Parfois, certaines questions peuvent vous inviter à apporter des réponses démagogiques ou opportunistes. Cela dit, le fait de jouer tous les quinze jours devant 35 000 personnes, c’est une chose que je ne peux qu’apprécier et remercier.
Vous expliquez aussi que le plus important dans votre méthode, c’est le processus de développement pour permettre à votre équipe de monter en puissance dans la durée. Comment parvenez-vous à jouer avec ces deux paramètres : profiter de ce processus de développement, et l’importance pratique de gagner ? Par tradition, le football anglais laisse toujours du temps pour exprimer vos idées si vous assurez la garantie que le produit final de votre équipe s’améliore.
C’est un phénomène contre-culturel dans le monde contemporain. Aujourd’hui, les attentes positives sont quotidiennes et toutes les choses que vous faites en bien sont oubliées dès le lendemain. Cette semaine, j’ai lu un article d’El País. Je ne me souviens pas de l’auteur de cet article, mais c’est sans aucun doute un grand intellectuel. J’ai trouvé qu’il parlait de ce sujet d’une façon extraordinaire. Il donnait l’exemple du Real Madrid, vainqueur de quatre des cinq dernières C1 dont la dernière finale s’est jouée il y a très peu de temps. Malgré tout, le fait que le club ne gagne pas pendant trois matchs l’amène dans une période de crise… Cela signifie que l’entraîneur qui remporte un match au Real va recevoir une obligation de poursuivre sa série de victoires, au lieu d’obtenir de la gratitude de la part du club. Cet article illustre aussi un autre exemple, qui me paraît admirable : avant, quand une personne demandait un service à quelqu’un, elle donnait de la gratitude en retour de ce service dont elle avait bien besoin. Maintenant, celui qui a l’habitude de demander un service s’autorise à le demander régulièrement et de façon gratuite. J’ai trouvé très intéressant d’articuler cet article à la question initiale que vous m’avez posée. Faire le lien entre le résultat final et le chemin parcouru pour y arriver, c’est la seule manière d’arriver à survivre dans ma profession. Mais ceux qui mettent en valeur les résultats uniquement rejettent cette méthode : ils se contentent de faire l’éloge du bien, et l’apologie du mal. Enfin, il y a un autre exemple dans cet article que je trouve extraordinaire… J’espère que je ne vous ennuie pas trop avec mes exemples. (Rires.) Mais j’aime bien raconter cela. Vous voyez qu’en ce moment, les séries sont à la mode, non ? Hé bien quand vous voyez qu’un réalisateur met fin à une saison avec son dernier épisode, les gens lui demandent directement d’enchaîner sur la prochaine saison sans même être encensé pour son remarquable travail ! C’est comme si l’on demandait à Guardiola de reproduire son Barça mémorable tous les trois ans, car cela apparaît facile…
(Bielsa remet ses lunettes et pense en avoir terminé, avant une toute dernière question.) Pourquoi faites-vous des conférences de presse publiques et non des entretiens privés ? (Il hésite.) En vérité, je ne peux pas répondre à cela et je préfère ne pas avoir à y répondre.
Propos retranscrits par Antoine Donnarieix