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Bielsa, le droit à la critique

Par Alexandre Pedro
Bielsa, le droit à la critique

Son début de saison à Lille ressemble à un échec. Mais parce qu’il est adoubé par Pep Guardiola et qu’il incarne un certain romantisme, Marcelo Bielsa est un entraîneur qu’on ne critique pas sans passer pour un rétrograde. Amis bielsistes, permettez-nous d’égratigner (un peu) la statue du commandeur.

Marcelo Bielsa est-il le Jean-Paul Sartre de la Ligue 1 ? « Il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron » , disaient les zélateurs du philosophe. Aron, l’universitaire pertinent, mais trop pondéré, était forcément moins séduisant qu’un Sartre combattant « le veau d’or du réalisme » . Sartre se trompait souvent ( « la liberté de critique est totale en URSS » , affirme-t-il en 1954), mais il était impertinent, imaginatif et si séduisant. Aujourd’hui, Bielsa a tort. Le bilan de son Lille parle contre lui : 19e (avec un match en moins), six buts marqués dont la moitié lors de la première journée face au Nantes de Ranieri, cet Aron italien qui s’invite sur le podium. Ce ne sont que des résultats, un instantané amené à être contredit dans quelques semaines peut-être. Bielsa est une exigence qui demande du temps et ceux qui le critiquent ne vivent que de courts-termes et critiques faciles.

Sur Twitter, dans les commentaires des articles ou à la machine à café de l’entreprise, le discours des bielsistes est implacable. Critiquer l’Argentin, c’est oser remettre en cause son génie, s’attaquer à une certaine idée du foot et prendre place au banquet des détracteurs primaires à côté de Pierre Ménès, voler au secours du corporatisme de ces entraîneurs français qui passent d’un banc à l’autre, du plateau de beIN à celui de Canal. Pire, c’est donner raison à Pascal Dupraz, indépendantiste savoisien en exil en Occitanie. Alors il faudrait fermer les yeux ou plutôt les forcer à discerner une réalité fantasmée. L’idée de jeu de Bielsa serait plus forte que la réalité. L’intention vaudrait réalisation. Parfois, on entend même dans la bouche des adversaires – comme celles des Rennais samedi dernier – que Lille « est un bonne équipe » et qu’elle « propose un beau jeu » . Parce que Bielsa. La réalité, c’est celle d’une équipe qui possède le ballon, mais n’en fait rien, qui attaque et défend mal. Une formation souvent coupée en deux, pas sur la longueur du terrain, mais sur la largeur. La raclée reçue face à Monaco (4-0) était édifiante dans ce sens-là. Mais comme Guardiola dit qu’il est un meilleur entraîneur que lui…

Football Manager et fonds vautours

Alors, avant de critiquer, il faut se justifier pour éviter le procès en « anti-bielsisme » . Dire qu’on trouve le personnage génial, l’entraîneur clivant, mais stimulant intellectuellement, le remercier pour avoir remis en cause certaines certitudes françaises lors de son passage à Marseille. Une fois posé ce préambule, on peut s’interroger. Qu’est-il venu foutre dans cette galère ? Aimer Bielsa, c’est défendre une certaine idée du foot, un idéal. Sauf qu’on a la désagréable impression que l’esthète intransigeant est la caution d’un projet purement spéculatif où fonds vautours et paradis fiscaux ont toute leur place. Il a assumé – sinon il aurait pris le premier vol pour Rosario – ce recrutement qui ressemble à une mauvaise partie de Football Manager avec 70 millions d’euros investis sur treize joueurs au CV plus ou moins incertain. LOSC année zéro. Tout raser pour repartir avec une équipe à ses ordres, une jeunesse modelable à son exigence. Le passé n’existe plus, l’identité du club non plus. Jusqu’à la caricature, le LOSC incarne ce football mondialisé, déterritorialisé, soit une holding luxembourgeoise, un entraîneur argentin, un directeur sportif portugais et des gamins paumés sur le terrain venus du Mali, d’Argentine, du Brésil…

Mais l’amour rend aveugle. Bielsa est ce grand maître inattaquable. Parce qu’il a proposé une idée forte du jeu, il faudrait le suivre aveuglement comme ces admirateurs de Godard qui ne voient que des chefs-d’œuvres dans sa filmographie. Pourtant, Godard disait lui-même que certains de ses films étaient ratés. El Loco n’en est pas encore là, mais il reconnaît lui-même ne pas être au-dessus de la critique. « Je comprends que j’ai perdu en crédibilité, a-t-il avoué cette semaine. Pour ce qui est de savoir si Lille joue bien ou mal, je partage votre point de vue, il est acceptable d’affirmer que Lille ne joue pas bien. » Acceptable, recommandable même. Au nom d’une certaine exigence intellectuelle – celle que Bielsa développe avec ses mots lents et choisis lorsqu’il s’adresse aux médias –, il faut critiquer son LOSC. Et ce n’est pas pour autant qu’on a envie de proposer un dîner à Pierre Ménès.

Dans cet article :
Lucas Chevalier couvert de compliments
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Par Alexandre Pedro

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