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Bielsa, le discours de la méthode
Marcelo Bielsa, l’homme des principes inflexibles, a été mis en cause, là où cela lui fait le plus mal : la morale. Accusé de manquement à l’éthique et au fair-play, il s’est défendu. Magistralement.
Même les défenseurs les plus acharnés de Marcelo Bielsa, ceux qui le regardent avec des yeux de Chimène, doivent le reconnaître, contraints et forcés : l’entraîneur a des défauts. De fait, il y a pas mal de reproches qu’on peut faire au Rosarino. Pêle-mêle, un palmarès finalement pas beaucoup plus épais qu’un sandwich SNCF (aucun trophée soulevé depuis les Jeux olympiques avec l’Argentine en 2004). Le fait que ses équipes encaissent quasiment autant de buts qu’elles n’en marquent. L’inconstance des résultats sur la durée, l’essoufflement des méthodes du maître étant le tribut à payer pour l’implication démente qu’il exige de ses joueurs. Pablo Contreras, élève énamouré de Bielsa avec la sélection chilienne, le confessait même à contre-cœur : « Sa méthode de travail exige un renouveau constant, il ne peut pas entraîner sur des cycles longs. » Les férus de littérature pourraient même lui en vouloir d’accomplir inlassablement le théorème de l’insupportable Frédéric Beigbeder. Avec lui, l’amour dure 3 ans. Grand maximum. Sous toutes les latitudes et dans les deux hémisphères. De Guadalajara à Santiago en passant par Marseille, Bilbao, Lille ou Buenos Aires.
La loyauté avant tout
L’affaire est entendue, il y a des raisons légitimes de critiquer le Bielsa coach. En revanche, attaquer l’homme est une autre paire de manches. Depuis le début de sa carrière et probablement de sa vie, l’Argentin s’est toujours fait le héraut d’une intangible rigueur morale. Le Loco a affronté les épreuves avec une constante : ses principes doivent primer sur les objectifs sportifs ou ses désirs personnels. Le Chili s’en souvient encore. Lorsqu’Harold Mayne-Nichols, l’homme qui a tout fait pour le faire venir et avec qui il partage un certaine noblesse d’âme, n’est pas réélu à la tête de la Fédération, Bielsa démissionne immédiatement par loyauté. Bielsa n’a jamais non plus toléré le manque de correction, ou le manque de respect, les frontières sont parfois floues, et ce qui pourrait n’être qu’une menue contrariété pour une personne lambda devient très vite un affront insupportable pour lui.
À ce sujet, Eduardo Rojas, qui travaillait avec Bielsa à Santiago, rapporte une anecdote qui en dit long sur l’Argentin : « Avant la Coupe du monde 2010, le président Pinera vient nous souhaiter bonne chance. Il dit : « Je voudrais souhaiter le meilleur pour l’Afrique du Sud au Loco Bielsa. » Et il enchaîne en continuant avec les surnoms des joueurs pour faire « cool » . Le Palmatoria Beausejour, le Poeta Orellana. Palmatoria, c’est une sorte de lampe à huile, qui produit un liquide noir, donc Palmatoria, c’est connoté comme surnom, c’est assez utilisé dans les quartiers populaires pour désigner un mec très mat de peau, mais seuls ses amis peuvent l’appeler comme ça. Et si on appelle Orellana « poeta » , ça n’est pas pour son romantisme, c’est parce qu’il ressemble à un comique de rue très vulgaire. Pour Marcelo, c’était très déplacé, surtout de la part d’une personne censée incarner une certaine exemplarité. À la fin de l’entraînement, Bielsa s’en va, et passe à côté du président sans le saluer, délibérément. »
Au Chili, il avait un espion officiel
Que l’on trouve cela admirable ou parfois ridicule, c’est ainsi, Bielsa est incapable de transiger avec son code moral, au point de s’en rendre fou. Or pour un type droit dans ses bottes, qui place l’éthique au-dessus de tout, il n’y a rien de pire que d’être jugé coupable de déloyauté. Par son adversaire, Frank Lampard. Et même pire, par son propre club. C’est sans doute pour cela que tout le monde l’imaginait se faire hara-kiri en mondovision. Mais il n’en a rien été. Car Marcelo Bielsa n’a qu’un seul code moral. Le sien. Et à aucun moment il ne l’a violé. C’est en somme ce qu’il faut lire entre les lignes de sa conférence de presse : « Ce que j’ai fait n’est pas illégal. Nous pouvons en discuter, cela n’est pas vu comme quelque chose de bien, mais ça n’est pas une violation de la loi. Je sais qu’il n’est pas correct de faire tout ce qui est légal. Je n’ai pas eu de mauvaises intentions. » En réalité, même s’il est sincèrement désolé d’avoir pu contrarier l’esprit du fair-play tel que perçu par les Anglais, il se considère dans son bon droit selon son inamovible grille de lecture. D’ailleurs, il a toujours espionné ses adversaires et ne s’en est jamais caché. « Au Chili, un ami de sa fille, Francisco Meneghini, qui avait à peine 20 ans, était son espion officiel. Parfois, il entrait avec une accréditation, il y allait en tant que « journaliste » pour pouvoir assister aux entraînements des adversaires » , rappelle Eduardo Rojas.
En assumant tout, Bielsa a détaillé sa méthode. Attaqué sur ses valeurs, il a contre-attaqué magistralement, plaçant une pierre involontaire dans le jardin de ses collègues : « Nous avons un staff de vingt personnes. Ces vingt personnes créent un volume d’informations, même si cela ne définit en rien la suite de la compétition. Alors, pourquoi faisons-nous un tel travail ? Parce que nous nous sentons responsables si nous ne travaillons pas assez, et cela peut nous provoquer un excès d’anxiété. En rassemblant ces informations, nous pensons nous rapprocher d’une victoire, même si cela n’est pas forcément vrai. » Sans le vouloir, sans faire de comm’, uniquement parce qu’il pensait juste et correct d’exposer le discours de sa méthode pour répondre à une attaque qu’il estimait légitime bien qu’erronée, Marcelo Bielsa venait de ringardiser la profession.
Par Arthur Jeanne