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Bielsa et la démission surprise du sélectionneur argentin
Il y a exactement dix ans, le 14 septembre 2004, Marcelo Bielsa décidait d'en finir après six ans à la tête de la sélection argentine. Pour justifier sa surprenante décision, El Loco plaidera l'épuisement.
Plus que jamais, son large front semble abriter une terrible tempête intérieure. Son cortex semble torturé par son incapacité à faire tout compromis avec lui-même. Ses méninges semblent s’épuiser dans son labyrinthe intérieur alimenté par son sens si haut de la responsabilité collective qu’il préfère la porter seule sur ses épaules, et par ce sens de la loyauté chevaleresque qui le conduit à refuser de s’accorder le moindre répit, comme s’il s’agissait d’une haute trahison envers ceux qu’il doit servir : pas seulement son employeur – l’AFA en l’occurrence -, mais tout un peuple argentin qui voue un culte à sa sélection. « J’ai renoncé à poursuivre mon mandat comme entraîneur de la sélection, annonce Marcelo Bielsa ce 14 septembre 2004, les raisons de ma décision sont simples : je ne dispose plus de l’énergie que requiert ce poste. » Bielsa se dit épuisé. À la surprise générale, il démissionne, trois semaines seulement après avoir remporté le tournoi olympique, à Athènes. Dix ans plus tard, lors de sa première conférence de presse à Marseille, Bielsa a assuré qu’on l’appelle « El Loco » car ses réponses diffèrent parfois de celles qu’une personne normale apporterait. S’il y a débat sur l’origine de son surnom, il est indéniable qu’il a été conforté par les considérations alambiquées de Bielsa et au moins tout autant par une série de décisions frôlant rarement le conformisme. Par exemple, cette démission à la tête de l’Albiceleste, qui était bien attendue, mais deux ans plus tôt, en 2002, quand l’Argentine, grande favorite de la Coupe du monde avec la France, s’était fait sortir au premier tour. Une contre-performance, une humiliation, qui avait rendu insurrectionnelle l’atmosphère autour de l’Albiceleste. En pleurs dans les vestiaires au terme du troisième match de poule face à la Suède, Bielsa avait toutefois décidé de rester, et l’AFA avait refusé de faire du résultat, calamiteux, l’unique critère d’évaluation du travail d’El Loco.
Depuis le cataclysme de 2002, Marcelo Bielsa avait remis l’Argentine sur les rails du succès. En 2004, avec un groupe jeune, l’Albiceleste se qualifie ainsi pour sa première finale de Copa América depuis onze ans. L’Argentine a beau s’incliner aux tirs au but en finale face au Brésil, on retient surtout de son épopée au Pérou sa qualité de jeu supérieure. Avec un groupe à la composition proche, qui compte notamment dans ses rangs Carlos Tévez, Andres D’Alessandro, et César Delgado, l’Argentine remporte quelques semaines plus tard le tournoi olympique. Bielsa est radieux. Le Mondial 2006 se trouve à présent dans la ligne de mire. Quand l’Argentine se déplace à Lima pour affronter le Pérou le 4 septembre, sept matchs éliminatoires ont déjà été joués (trois victoires, trois nuls, une défaite). L’Albiceleste de Juan Pablo Sorín ne survole pas les éliminatoires comme lors de la campagne précédente, mais sa victoire à Lima (3-1) lui permet tout de même d’en prendre la tête. Personne n’imagine alors qu’il s’agit du dernier match de Marcelo Bielsa à la tête de l’Argentine. Sauf l’intéressé. « J’ai commencé à mûrir ma décision en revenant de Lima » , confesse El Loco, devant la presse.
« Les difficultés donnent de l’énergie »
« Je me suis rendu compte que je n’avais plus l’énergie suffisante pour être sélectionneur, assure Bielsa le 14 septembre 2004, et je ne peux me permettre ce type d’absence d’énergie, (…) ce ne serait pas décent d’insister. » Si El Loco cède dans la foulée le gouvernail d’une victoire, ce n’est toutefois pas seulement pour avoir l’élégance de léguer à son successeur une Albiceleste en bonne posture, mais aussi car « les difficultés donnent de l’énergie » . « Si nos résultats en éliminatoires avaient été négatifs, je n’aurai pas pris cette décision » , assure Bielsa, jamais à un contre-pied près. L’ex-entraîneur de Newell’s Old Boys confirme là à nouveau son aversion pour le culte du résultat. L’œuvre comptant davantage que les médailles. Par exemple, le fait « d’avoir réussi le mix de deux générations au sein de l’Albiceleste. » Bielsa n’a pas changé ses habitudes au moment d’expliquer son départ. Sa conférence de presse s’est éternisée, jusqu’à épuisement des questions. Mais a-t-il pour autant tout dit ? Une déclaration de son frère, Rafael Bielsa, remontant à 2009, indiquerait qu’El Loco n’avait pas tissé seul la toile dans laquelle il a fini par manquer d’énergie pour se débattre : « Personne ne peut compenser le mal qui a été fait à Marcelo de la part des entrepreneurs du journalisme sportif, qui ne sont pas des journalistes, mais des individus liés à des intérêts, à la vente de joueurs, des commerçants dont les opinions sont conditionnés par la récompense qu’ils recherchent. » En mai 2013, alors qu’il entraînait l’Athletic Bilbao, Marcelo Bielsa confessera lui-même avoir été touché par la dimension des critiques. « J’ai été l’acteur principal du pire échec du football argentin, cette élimination au premier tour de la Coupe du monde 2002, et j’ai été maltraité de manière incroyable, quelque chose d’indépassable. » Usé et fatigué, Marcelo Bielsa patientera trois ans avant de reprendre du service et d’exposer à nouveau son front torturé aux projecteurs.
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Par Marcelo Assaf et Thomas Goubin