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Biélorussie-Ukraine, souffrance commune ?
Alors que l'UEFA a rendu impossible toute rencontre opposant un club ukrainien à un club russe, Michel et sa bande ont autorisé l'affiche Ukraine-Biélorussie. Étonnant à première vue, mais pas si fou finalement. Alors que beaucoup d'enjeux géopolitiques opposent les deux pays, les deux équipes de football sont plutôt dans la réunion.
Réfractaire à la Russie depuis une centaine d’années et une famine provoquée par un certain Staline, l’Ukraine peut difficilement avoir des atomes crochus avec la Biélorussie d’Alexandre Loukachenko, plutôt proche de la Russie. La réciproque semble également improbable. Comment un Biélorusse pourrait ne pas en vouloir à un pays qui, en 1986, lui a envoyé près de 70 % de ses retombées radioactives suite à l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl ? Trahissant ainsi le dicton qui veut que la Biélorussie est le « pays aux yeux bleus » , remplacé par la très pathogène « contrée aux mille glaucomes » . Malgré cet inévitable antagonisme, l’équipe de football biélorusse ouvre officiellement le premier chapitre de son histoire foot en affrontant l’Ukraine en octobre 1992. Le match se terminera sur un match nul 1-1 annonciateur finalement d’un respect mutuel entre les deux anciens pays satellites.
Deux footballs meurtris
Complètement abandonné par son gouvernement et boudé par son dictateur, le football biélorusse ressemble à un immense champ de ruines. À l’image du football ukrainien, divisé et frustré par la guerre séparatiste. Aujourd’hui, si le ballon rond tient toujours le coup au pays des lacs, il le doit en partie à son héritage de l’URSS. Aussi bien du point de vue des infrastructures que de celui de la formation, où le Biélorusse reste un joueur de qualité. Mais le temps a passé et les stades ressemblent à d’anciennes ruines incas. Les salaires sont misérables et les clubs en faillite. John Nkomb Nkomb, formé au PSG, est parti cet été faire un essai d’une semaine au Dynamo de Minsk. « Franchement, j’ai pas de regrets de ne pas avoir été conservé. C’est un peu la dèche là-bas niveau infrastructure. » La situation a radicalisé les branches de supporters biélorusses qui se montrent de plus en plus hostiles à Alexandre Loukachenko, le dictateur, qui préfère le hockey sur glace et n’hésite pas à dilapider quelques millions des caisses de l’État pour améliorer le niveau de son championnat national. Une situation parallèle à celle de l’Ukraine, où Viktor Ianoukovytch, l’autoritaire à la botte de la Russie, avait alors tenté de saboter le projet Euro 2012 dans son combat politique contre Ioulia Timochenko. « Aujourd’hui, le peuple biélorusse n’est pas dupe, il voit ce qu’il s’est passé en Ukraine et éprouve de la compassion » , analyse Viktoriya Zakrevskaya, chercheuse à l’Institut biélorusse pour les études stratégiques (BISS) sis à Minsk. On aurait presque envie de dire que le peuple biélorusse envie la révolution ukrainienne, débarrassée en partie de la tutelle russe.
Un match au goût européen
Déjà bien représenté sur la scène continentale avec un club en C1, le BATE Borisov, et un club en C3, le Dynamo Minsk, le football biélorusse représente un danger de taille pour Alexandre Loukachenko. Car comme l’Ukraine, le peuple biélorusse souhaiterait se tourner vers l’Occident et l’Union européenne, afin de mettre fin à sa dictature tournée vers l’Est. C’est pourquoi Minsk assistera avec beaucoup de méfiance au match contre l’Ukraine. Car la rencontre pourrait bien être l’élément déclencheur d’une prise de conscience générale. « Les supporters biélorusses sont majoritairement acquis à la cause ukrainienne. On retrouve certes dans l’extrême-droite biélorusse les mêmes dissensions qu’en Russie entre soutien aux nationalistes ukrainiens et attrait pour la politique agressive du Kremlin au nom de la fraternité slave. Mais ultras et hooligans appartiennent majoritairement à la population urbaine et éduquée qui semblent soutenir majoritairement Kiev dans le conflit actuel » , analyse Ronan Evain, doctorant à l’Institut français de géopolitique, spécialiste de l’Est de l’Europe, post-effondrement de l’URSS. L’Ukraine et la Biélorussie étant deux pays dont l’accès mutuel est simple, les ultras ukrainiens et biélorusses se retrouvent fréquemment pour communier. « Ce sont des branches de supporters qui se connaissent bien, ont la même culture du supporterisme, les mêmes pratiques et le même idéal politique. Et puis, il n’y a pas besoin de visa » , relève Ronan. D’où la présence de nombreux joueurs ukrainiens chez les rares étrangers qui jouent en Vysshaya Liga. Ce soir, le match devrait donc se passer sans heurts et pourrait même être le symbole de contestations pro-européennes dans les deux camps. « Je ne serais pas étonné de voir des banderoles pro-ukrainiennes côté biélorusse. » Alexandre Loukachenko se méfiera en tout cas d’une telle symbiose. « Oui, enfin, en Biélorussie, être un ultra, c’est être constamment pisté, fiché et contrôlé. Donc Minsk est prévenu ! » , croit Ronan. Verdict à 20h45.
Par Quentin Müller