Bhoutan train

Avant de parler de la sélection du Bhoutan, il faut forcément d’abord rappeler brièvement ce qu’est le Bhoutan. Car on ne parle pas là de l’équipe nationale de n’importe quel pays, mais d’un petit joyau, préservé à la fois par les contreforts de l’Himalaya et par un système institutionnel et politique unique au monde, basé sur un principe génial : le bonheur national brut (BNB), qui vient se substituer à la classique valeur produit national brut (PNB). Pour faire très rapide, ce royaume d’à peine 750 000 habitants fonctionne selon quelques grandes valeurs édictées dans les années 70 : développement économique et bonne gouvernance responsables – bien insister sur le terme de « responsable » –, sauvegarde de l’environnement et promotion de la culture locale. Des valeurs qui nécessitent une forme d’isolationnisme volontaire et aucunement subie, ce qui place le Bhoutan à l’extrême opposé d’un autre pays d’Asie en termes d’éloignement au monde : la Corée du Nord. Le BNB est un indicateur exigeant et fragile, qui implique par exemple de demander 250 dollars par jour à chaque touriste visitant le pays, en échange de quoi son hébergement et ses déplacements à l’intérieur du pays sont pris en charge. Jusqu’à il y a une petite vingtaine d’années, le Bhoutan ne s’était pas non plus équipé pour que ses habitants puissent capter la télévision. Une manière comme une autre de ne pas trop s’exposer au monde et d’essayer de préserver au maximum les rites et coutumes traditionnels…

Dans le giron FIFA seulement depuis 2000

C’est là qu’on en arrive au football. Sans télévision, difficile de constater que le monde entier ou presque pratique un tel sport. Difficile pour ses quelques rares pratiquants d’observer comment manier cette sphère ronde sur un rectangle vert, dans un pays où la discipline reine reste le tir à l’arc. C’est la raison pour laquelle le tout premier ersatz d’équipe nationale du Bhoutan de football n’apparaît que très tardivement, en 1982, sous la forme d’une première timide participation à un tournoi régional non reconnu, au Népal voisin. C’est la raison pour laquelle ce n’est qu’en 2000 que le Bhoutan a intégré le giron de la FIFA. C’est la raison pour laquelle, enfin, la sélection occupait la dernière place du classement FIFA au début de l’année 2015 : 209e sur 209 ! Son dernier match remontait alors à une opposition face au Sri Lanka en septembre 2013, perdue 2-5. Plus d’un an et demi que l’équipe nationale n’avait plus disputé une rencontre officielle, faute de budget suffisant, la Fédération de Bhoutan de football préférant en plus dépenser son maigre pécule dans la formation des jeunes joueurs locaux plutôt que de financer les coûteux déplacements de sa sélection. Il était d’ailleurs prévu que cette dernière zappe le premier tour préliminaire de qualifications à la Coupe du monde 2018. Puis finalement, en fin d’année dernière, la FIFA décide d’accorder au Bhoutan 300 000 dollars d’aide pour lui permettre de répondre à cette invitation, ce qui lui offre la possibilité de participer pour la première fois aux qualifications pour un Mondial.

Des manchons de poulet dans la valise

La Fédération thaïlandaise de football décide aussi de faire un geste de solidarité et accueille la sélection du Bhoutan pendant un mois dans le Clairefontaine local, afin que celle-ci se prépare au double affrontement que le tirage au sort lui a offert face au Sri Lanka. Pour certains joueurs bhoutanais, cette aventure constitue leur premier voyage à l’étranger… Pendant ce mois de préparation, ils vont s’entraîner comme jamais pour espérer au minimum ne pas être ridicules, comme l’équipe nationale du Bhoutan a pu l’être dans le passé en perdant souvent de 7 ou 8 buts, et même en enregistrant un douloureux 0-20 une fois face au Koweït… Cette préparation porte ses fruits, au-delà des plus folles espérances : le 12 mars à Colombo, la capitale du Sri Lanka, le Bhoutan s’impose à la surprise générale 1-0, d’un but signé d’un certain Tshering Dorji, dans les dernières minutes d’un match disputé dans un stade quasi vide. Une folle victoire qui a fait le buzz par la manière dont elle a été fêtée : au KFC, avec 300 dollars sur le ticket de caisse pour sustenter tous les héros. Le correspondant du site WorldSoccer rapporte même qu’un des membres de l’équipe a essayé de ramener dans sa valise deux seaux de buckets, les manchons de poulets du fast-food américain inconnu au Bhoutan, tout comme l’ensemble des grandes chaînes de restauration, avant de se faire pincer à la douane de l’aéroport !

Le doublé du Cristiano Ronaldo bhoutanais

Cinq jours plus tard, le 17 mars, le Bhoutan confirme ce résultat en remportant une deuxième victoire, 2-1, d’un doublé signé de Chencho Gyelshen, jeune talent de 19 ans surnommé le « Cristiano Ronaldo du Bhoutan » , rien que ça. Une deuxième victoire en moins d’une semaine, seulement les troisième et quatrième de l’histoire de la sélection, après cinq nuls et cinquante-deux défaites ! Un match disputé dans le merveilleusement désuet stade Changlimithang de la capitale Thimphou, rempli par une affluence estimée entre 20 et 30 000 spectateurs. L’entrée dans l’enceinte était gratuite, et l’État bhoutanais avait accordé leur après-midi à l’ensemble des fonctionnaires du pays pour qu’ils puissent suivre cette rencontre historique. Elle permet à la sélection de grimper de la 209e à la 159e place mondiale, pour se situer désormais entre Guyana et la Gambie. Surtout, elle lui permet de se qualifier pour le tour suivant des qualifications, à savoir une phase de groupes où elle va affronter en matchs aller-retour quatre autres nations d’Asie : Hong-Kong, où elle commence sa campagne ce jeudi, la Chine, qu’elle reçoit mardi, le Qatar et les Maldives. C’est une chance extraordinaire pour elle d’emmagasiner de l’expérience et, qui sait, gratter encore quelques résultats, en misant notamment sur la difficile acclimatation à l’altitude des adversaires lors des matchs disputés au stade Changlimithang. Un nouveau sélectionneur a été nommé pour l’occasion : le Japonais Norio Tsukitate, habitué des aventures exotiques (Guam, Laos…). Le Bhoutan est clairement l’équipe frisson qu’il faut suivre en ce début de campagne qualificative pour la prochaine Coupe du monde. Allez le dragon tonnerre !