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Beto Márcico : « Messi est devenu un peu maradonien »
Légende du Toulouse FC (1985-1992), avec qui il avait éliminé le Naples de Diego Maradona en Coupe de l'UEFA en 1986, Beto Márcico (62 ans), champion d'Argentine avec Boca Juniors en 1992, a célébré le sacre de sa sélection, mais est vite revenu à la réalité d'un pays en proie à de lourdes difficultés économiques. Il raconte.
Beto, t’es-tu remis de tes émotions de dimanche ?Je le vis tranquillement et très différemment du public argentin. Je n’ai pas vécu le match et la fête de la même façon, du fait d’avoir été joueur. Ce n’est pas du tout la folie des supporters argentins, qui sont des fanatiques. Je suis très heureux, mais il y a toujours une limite pour « nous » , les joueurs.
Si tu prends un peu de hauteur, comment analyses-tu cette troisième étoile pour le foot argentin ?Il ne faut pas oublier qu’il y a trois ans, même un peu moins, le public n’aimait pas Messi ! Il l’insultait, il disait qu’il ne chantait pas l’hymne, etc. Et, d’un coup, ça a changé. Pourquoi ? Parce que Messi est devenu un peu « maradonien » . Il s’est disputé avec les arbitres, avec les Pays-Bas… Je le disais à des copains hier : « Maintenant, vous aimez Messi parce qu’il se dispute avec tout le monde. » On a eu Maradona, le meilleur au monde, on a eu la Coupe du monde. Puis on a eu Messi, et on a désormais un autre titre. C’est très important.
Toi l’ancien qui a connu les deux périodes : tu choisis Messi ou Maradona ?(Du tac au tac.) Maradona. Pour sa personnalité sur le terrain, d’abord. Messi a acquis un charisme sur cette Coupe du monde, voire depuis la dernière Copa América. À partir de là, le public argentin a commencé à l’aimer. Avant, il était aimé, mais pas de la même façon qu’aujourd’hui. Ensuite, pour la concurrence qu’a eue Maradona, elle n’était pas aussi forte pour Messi. Maradona avait Platini, Van Basten, Gullit… Au moins dix joueurs pas loin de son niveau. Aujourd’hui, mon classement, c’est : Maradona, Platini, Pelé, Messi, Di Stéfano et Cruyff.
Dimanche dernier, il est environ 15h30 quand Montiel trompe Lloris et offre la troisième étoile à l’Argentine. Que se passe-t-il autour de toi ?J’étais à la maison avec mes enfants et deux amis français. Mes enfants n’étaient pas très contents, ils voulaient que la France gagne, car ils sont français ! Mais je te le redis, personnellement, j’étais tranquille en me disant aussi que l’Argentine méritait sa victoire. La France a commencé à jouer dans le dernier quart d’heure !
Chez toi c’était calme, mais on imagine que dans la rue…Il y avait un silence pas possible, terrible en attendant les tirs au but ! Personne dans la rue. Derrière, c’était complètement la folie. On avait les fenêtres ouvertes, ça criait, ça chantait… Mais j’ai vu certaines célébrations un peu maladroites, un peu désorganisées.
Tu sais qu’en France, la poupée d’Emiliano Martinez ne passe pas du tout.Il y a des choses qui ne me plaisent pas du tout. À ce niveau, il faut savoir garder son sang-froid. Tout le monde dit que c’est sa personnalité… Je comprends qu’il soit champion du monde, mais il faut avoir du respect. Des fois, il fait des choses… C’est un très bon gardien, surtout sur les penaltys, avec beaucoup de personnalité, mais il ne faut pas exagérer non plus. Je me doute que ça ne passe pas en France… Mais Mbappé lui a mis trois buts !
Et même un tir au but.Oui, tout ! Pour un spécialiste des tirs au but, Mbappé lui en a mis trois ! Je ne suis pas d’accord du tout qu’il se moque. Mais malgré tout, je retiens aussi le bon comportement du public lors de la parade et des festivités. Normalement, tu as toujours des magasins cassés, des vols… On n’en est pas arrivé là. Même si la célébration a parfois aussi été démesurée.
À quel niveau ?Tu as vu que les joueurs ont fait un tour d’honneur en hélicoptère ? (Il rit comme s’il n’en revenait toujours pas.) C’est incroyable. Pas mal de gens n’ont pas pu voir les joueurs. Mais ce serait un problème politique. Les joueurs n’ont pas voulu aller voir le président, car ils ne voulaient pas mêler le foot à la politique. À cause de ça, on dit qu’il n’y a pas eu de présence des forces de police comme il aurait dû y en avoir pour un tel événement.
La fête est-elle toujours aussi intense aujourd’hui ?Jusqu’à mercredi, oui. Mais aujourd’hui (l’interview a été réalisée jeudi, NDLR), c’est mieux. Le problème ici est qu’il y a beaucoup de problèmes économiques, de corruption. Et, ça y est, depuis hier, sur les journaux télévisés, ça commence de nouveau à taper sur les problèmes du pays. L’inflation est à 6-7% mensuelle. C’est le retour à la réalité. Et la réalité en Argentine est très, très mauvaise.
Raconte-nous ton quotidien.C’est très dur. Je vais te résumer : pour prendre un billet d’avion pour l’Europe, tu as besoin, au minimum, de sept salaires ! Sept salaires ! Il y a trois ans, ça ne coûtait qu’un salaire. On ne peut pas partir à l’étranger. On est coincés. On dirait qu’on est comme un pays d’Afrique, un pays pauvre. La situation de l’Argentine est lamentable.
On ose imaginer que ton activité dans l’immobilier est affectée. À quel point ?Les gens n’ont pas d’argent. Des chantiers sur des immeubles sont complètement arrêtés. Si tu prends un crédit dans une banque, les taux d’intérêts sont de 110% ! Ce n’est pas possible !
Vois-tu des bonnes perspectives, malgré tout ça ?Oh non… Au contraire. Je ne sais pas où on va finir. Beaucoup de journalistes disaient : « Si on sortait dans la rue pour manifester contre l’inflation et autres comme on est sortis en attendant les joueurs, ce serait peut-être un autre pays… » Il n’y a que le football qui peut provoquer ça.
Propos recueillis par Timothé Crépin