- France
- Lutte contre l'homophobie
« Idrissa Gueye a ouvert la boîte de Pandore »
Ce week-end de foot en France a été marqué par le refus assumé de cinq joueurs professionnels de s'associer à la campagne de lutte contre l'homophobie mise en place par la LFP en collaboration avec plusieurs associations. Bertrand Lambert est le président de l’une d'entre elles. Il raconte comment il a vécu les évènements.
Bertrand Lambert a fondé l’association PanamBoyz & Girlz United il y a tout juste dix ans. À l’époque, il proposait déjà à la LFP de faire jouer les joueurs de Ligue 1 et Ligue 2 avec des lacets arc-en-ciel pour sensibiliser le monde du football contre l’homophobie. Ce week-end, depuis son canapé, il a observé tout le chemin qu’il reste à parcourir pour espérer voir un jour un joueur de Ligue 1 faire son coming out, ce qui « ferait tomber tellement de préjugés qu’on aurait même plus besoin de porter des maillots arc-en-ciel ».
Dans quel état d’esprit étiez-vous avant le début du week-end ?
Après l’épisode Idrissa Gueye l’an dernier, on se doutait qu’il y aurait des joueurs réfractaires cette année. On ne savait juste pas combien ils étaient, ni dans quels clubs et comment ils allaient manifester leurs refus. Malgré cela, je pense qu’en dix ans, on a quand même fait une grande partie du chemin. À l’époque, il n’était même pas question de parler d’homosexualité ou d’homophobie. Aujourd’hui, les mots sont dits clairement, et ce qui heurte, ce n’est plus de parler du problème, mais c’est que certains joueurs refusent de porter le maillot arc-en-ciel.
Quel bilan faites-vous de ce week-end de sensibilisation ?
J’ai regardé les matchs pour voir si les maillots étaient portés parce qu’il n’y a aucune obligation de le faire. Les clubs sont incités, mais finalement, ce sont eux qui décident si leurs joueurs doivent porter les maillots ou non. J’étais attentif aux dispositifs d’avant-match, aux réseaux sociaux et globalement je peux dire qu’il y a eu une couverture exceptionnelle. Tous les clubs ont joué le jeu en portant le maillot. Sur 700 joueurs, seuls cinq ont refusé de le faire de manière claire (Donatien Gomis de Guingamp, Zakaria Aboukhlal, Moussa Diarra et Saïd Hamulic de Toulouse, ainsi que Mostafa Mohamed de Nantes, NDLR).
Comment avez-vous réagi face à ces refus ?
Déjà ce sont des refus publics. D’autres ont peut-être refusé de le faire, mais ne l’ont pas manifesté. Ça s’est vu dans le passé avec Idrissa Gueye, mais aussi Presnel Kimpembe qui faisait exprès de prendre des cartons jaunes pour ne pas être là. Cette année, il est blessé, donc il a une bonne excuse. C’est regrettable, il faut faire preuve de plus de pédagogie et sanctionner ces comportements.
Est-ce qu’il n’y a pas un manque de clarté vis-à-vis des joueurs ?
En effet, il faut aplanir tous les malentendus qu’il peut y avoir. Je crois que ces joueurs pensent que porter le maillot arc-en-ciel fait d’eux des homosexuels ou des promoteurs de la cause homosexuelle, ce qui n’est absolument pas le cas, puisque c’est une opération pour lutter contre les violences faites envers les homosexuels. On a fait le nécessaire pourtant avec un flyer qui est censé avoir été distribué à tous les joueurs dans lequel on explique la signification de cette campagne. Visiblement tous les clubs n’ont pas fait leur travail à fond.
On a l’impression que plus les années passent, plus les cas de refus augmentent. Pourquoi ?
C’est vrai que la première année s’était plutôt bien passée. Quelques clubs n’avaient pas porté le maillot, mais avaient des raisons officielles à cela. Sinon, tout le monde avait joué le jeu. Ce qui est étonnant, c’est que certains joueurs toulousains qui ont refusé de porter le maillot cette année, avaient accepté l’an passé (seul Moussa Diarra est concerné par ce cas, NDLR). Alors qu’est-ce qui a changé depuis ? Eh bien il y a eu Idrissa Gueye. Le fait que lui revendique sa volonté de ne pas porter le maillot arc-en-ciel au nom de ses croyances religieuses et que le PSG n’ait pas pris de sanctions à son encontre, ça a ouvert la boîte de Pandore. L’autre élément qui a changé, c’est que l’an dernier, cette journée s’est jouée en multiplex. Donc les joueurs n’avaient pas pu s’appuyer sur l’exemple de Gueye pour se retirer à leur tour. Cette année, il y a eu un effet boule de neige et on l’a bien vu avec le Nantais (Mostafa Mohammed, NDLR) qui a refusé de jouer à la dernière seconde en se disant : « Les autres le font, pourquoi pas moi. »
Dans quelle mesure les événements autour du brassard arc-en-ciel à la Coupe du monde ont pu compter dans ces refus ?
Bien sûr que le fait d’être allé au Qatar il y a quelques mois où on nous a refusé les couleurs LGBT avec le soutien de la FIFA, ça a sans doute fait penser à tout le monde que cela était le cas partout. Sauf que les situations ne sont pas les mêmes. Au Qatar, on nous a demandé de respecter les coutumes locales dont l’homophobie fait partie. Ici ce qui fait partie des coutumes locales, c’est justement la lutte contre l’homophobie, donc tout le monde doit s’y plier. Pour cela, il y a sans doute un travail de pédagogie important à faire.
Par quoi ce travail de pédagogie pourrait-il se matérialiser ?
Il faut multiplier les ateliers de prévention. Comme par hasard, depuis que la LFP a inclus les ateliers de lutte contre les discriminations dans sa licence club (le 22 février dernier, NDLR), ce qui rapporte des points puis de l’argent aux clubs, les portes s’ouvrent. On n’est pas encore à l’obligation, mais on s’en rapproche avec une incitation financière. Et comme par miracle, plein de clubs nous ouvrent leurs portes.
Allez-vous à la rencontre des clubs professionnels pour sensibiliser les joueurs ?
On a rencontré beaucoup de supporters d’abord, notamment quand les matchs ont été arrêtés en raison de la pandémie en 2019. On a eu des discussions animées, mais en discutant, on arrive toujours à faire comprendre les choses. Puis on a rencontré des joueurs en centre de formation à l’OL et à l’OM notamment. Plus récemment, je me suis rendu à Clairefontaine pour échanger avec Hugo Lloris et le convaincre de prendre son brassard pour la Coupe du monde. J’ai aussi pu dialoguer avec Jules Koundé et Jonathan Clauss.
Quelle a été la teneur de vos échanges ?
Ça a été très différent avec chacun. Koundé me disait : « Moi, je comprends tout à fait votre combat, je suis moi-même victime de racisme en Espagne, ce sont les mêmes facteurs, le rejet de l’autre. Donc il faut aussi combattre l’homophobie. » C’était très touchant comme discussion. Clauss nous a dit la même chose dans d’autres termes : « J’ai plein d’amis gays, il faut arrêter avec ce tabou. » Lloris, lui, était davantage sur la réserve en disant : « Moi, je me fiche de ce que mon coéquipier fait chez lui dans son lit. » On lui a expliqué que ce n’était pas ça les enjeux, mais on ne le sentait pas très concerné par le problème et on n’a pas été étonné qu’il n’ait pas souhaité porter le brassard arc-en-ciel à la Coupe du monde.
Le FC Nantes a sanctionné financièrement Mostafa Mohamed. Comment réagissez-vous à cela ?
Mettre une amende, je ne trouve pas ça très utile. Je pense qu’il serait plus judicieux d’inciter, voire d’obliger ces joueurs à rencontrer les associations qui sont à l’origine de cette campagne pour discuter loin des caméras.
Attendez-vous des sanctions de la part de la LFP ou même des instances républicaines contre ces joueurs ?
Je pense que ce n’est pas à la Ligue de prendre des sanctions. En revanche, les employeurs des joueurs doivent agir. Ils ont donné leur accord pour suivre cette opération. Alors voir un de leur salarié refuser de s’y associer, ça s’appelle, dans le monde du travail, un abandon de poste. Un employé ne peut pas refuser de suivre une opération de lutte contre les discriminations lancée par son employeur sous prétexte de ses croyances religieuses. Je ne veux pas de sanctions financières ou sportives, je veux des démarches intelligentes en obligeant les joueurs à venir rencontrer les associations pour savoir de quoi on parle et pour que ça n’arrive plus.
Propos recueillis par Mathis Healy