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Bertrand Dacosta : « Le juge du Conseil d’État n’est pas dans sa tour d’ivoire »
Pour le droit, il est question de code de justice administrative et d'ordonnances de jugement. Pour les supporters des clubs concernés, il s'agit de savoir si leur équipe descendra ou pas dans la division inférieure ou si elle pourra jouer un match de barrage. Plongée au cœur du plus beau sac de nœuds du moment avec Bertrand Dacosta, le juge des référés du Conseil d'État qui voit les requêtes et les recours du football français s'empiler sur son bureau depuis quelques semaines.
Vous êtes juge des référés au Conseil d’État. C’est un poste obscur pour beaucoup de monde. Si je dis que vous êtes un juge administratif qui est saisi lorsque deux parties ont un litige concernant un contrat, est-ce que c’est trop sommaire ?C’est un peu trop résumé ! On va essayer de faire le plus simple possible : le Conseil d’État est la juridiction suprême de l’ordre administratif, qui en principe intervient uniquement comme juge de cassation. C’est l’équivalent de la Cour de cassation pour les affaires publiques, disons.
Donc vous ne jugez pas l’affaire en elle-même, mais simplement la décision de justice ?Je vais y venir. Dans quelle mesure le juge administratif est-il compétent en matière de football, de rugby, de basket ou de handball ? C’est que, dans le système sportif français, les fédérations sportives et le cas échéant les ligues professionnelles sont considérées comme délégataires du service public. C’est-à-dire qu’il y a un service public du sport en France, c’est un modèle qu’on ne retrouve pas forcément dans les autres pays européens, et c’est la raison pour laquelle chaque fédération agit en tant que délégataire de l’État lorsqu’elle réglemente son propre sport. C’est la raison pour laquelle c’est le juge administratif qui a à connaître de ses décisions. Le Conseil d’État, en principe, il n’intervient que comme juge de cassation une fois que les affaires ont été vues en première instance par les tribunaux administratifs, puis en appel par les cours administratives d’appel. Et au bout du compte, on arrive en cassation. Mais en référé les circuits sont différents, le Conseil d’État est directement compétent en première instance pour connaître des recours qui sont dirigés contre les actes réglementaires, pris par des autorités à compétence nationale comme les fédérations sportives. Donc lorsqu’une fédération sportive prend une décision non pas individuelle, mais de nature réglementaire, donc transversale, les décisions qu’elle prend peuvent être attaquées directement devant le Conseil d’État dans le cadre de requêtes au fond ou de référés de suspension. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État a eu à connaître directement sans passer par la case des tribunaux administratifs.
Quand vous dites « en référé » , ça correspond à quoi exactement ?Devant le juge administratif, il y a deux procédures : une procédure normale et une procédure d’urgence. Le référé, c’est une procédure d’urgence. Ça permet au juge administratif de suspendre l’exécution d’une décision administrative immédiatement, avant qu’elle soit examinée au fond, mais seulement si deux conditions sont remplies simultanément. Il faut qu’il y ait une urgence, et que les requérants présentent un argumentaire qui soit de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision. Donc s’il y a à la fois une urgence et si le juge des référés est convaincu que l’un des arguments invoqués devant lui est propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision, il va suspendre. Contrairement à ce qui a été écrit dans beaucoup de journaux, lorsque le juge des référés du Conseil d’État intervient, ce n’est pas juste un contrôle formel ou procédural. Il va regarder la requête, il va regarder s’il est urgent de statuer dès à présent sans attendre que ça soit examiné sur le fond, et il va regarder si parmi les différents arguments qui sont invoqués par le requérant il y en a au moins un qui est de nature à lui faire dire qu’il y a un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. Et ça peut être des arguments de forme ou de fond.
Pour la question des montées et des descentes, les deux conditions sont réunies, effectivement…Il faut que les deux conditions soient réunies pour que ça fonctionne sinon la requête est rejetée, et la décision que prend le juge des référés est une décision provisoire qui peut éventuellement être infirmée, contredite, par la décision que prendra le Conseil d’État au fond dans six mois ou dans un an. Et là ce sera une formation collégiale, avec une instruction plus longue.
Parmi tous les juges des référés du Conseil d’État, pourquoi est-ce vous qui avez récupéré le dossier « Football » ? C’est le hasard ? Vous étiez le seul disponible ? Vous l’avez demandé ?Ces dossiers-là sont arrivés à un moment où les juges des référés du Conseil d’État étaient extrêmement chargés par toutes les affaires liées au Covid, ça a été une période extrêmement lourde. S’agissant du choix qui a été fait de confier cette affaire à l’un plutôt qu’à l’autre, oui, on a préféré confier ça à un juge des référés qui était un petit peu intéressé par le sujet, par la matière, et qui connaissait un petit peu la façon dont ça fonctionnait plutôt qu’à un juge des référés qui aurait découvert la matière à l’occasion de la requête.
Vous avez parlé un peu plus tôt des autres sports, du rugby, du basket, etc. Est-ce que vous intervenez régulièrement dans la vie sportive du pays, dans les affaires des fédérations ?Je n’ai pas toutes les références en tête, mais le Conseil d’État est intervenu à de très nombreuses reprises pour connaître des recours sur les montées et les descentes de clubs professionnels, ou pour connaître des litiges opposant la Fédération française de rugby à la Ligue de rugby professionnelle il y a quelques années… Le Conseil d’État intervient beaucoup aussi en matière de dopage des sportifs. Moi en tant que juge des référés, j’ai eu à m’occuper de l’affaire de Clémence Calvin, la marathonienne, ou d’un joueur de rugby. C’est un flux de contentieux régulier, ce n’est pas une innovation en 2020 que le Conseil d’État s’occupe de sport.
Une fois votre décision prise, vous émettez une ordonnance de jugement. À quelle point est-elle contraignante ? On a l’impression qu’après sa publication, il y a un nombre incalculable de recours possibles. C’est ordonnance, recours, ordonnance, recours… On dirait que ça ne s’arrête jamais.Vous pensez sans doute aux épisodes à rebondissements en ce qui concerne Amiens et Toulouse !
J’ai M. Joannin (président de l’Amiens SC) en tête, effectivement… C’est une configuration un peu particulière. La première ordonnance que j’ai rendue sur Lyon, Amiens et Toulouse a rejeté la requête de Lyon. Sur Amiens et Toulouse, je me suis borné à juger que le raisonnement juridique sur lequel s’était fondée la Ligue pour prendre sa décision était erroné. C’est-à-dire que la Ligue s’était fondée sur une convention, la convention 2016-2020, pour dire « C’est pas possible, la convention l’interdit. » Alors que ce qui était en cause c’était la convention 2020-2024. J’ai seulement dit à la Ligue : « Vous avez fondé votre décision sur un raisonnement juridique erroné, mais ré-examinez la décision en fonction de la nouvelle convention et puis vous statuerez. » Le Conseil d’État dans cette première ordonnance n’a pas du tout pris partie sur la question de savoir si c’était bien ou pas bien de faire monter ou descendre untel ou untel. C’était uniquement une décision qui a dit « Il y a un problème de droit », mais qui ne s’est pas prononcée sur l’erreur d’appréciation qu’aurait commise la Ligue en décidant de faire ceci ou de faire cela. C’est pour ça que dans cette affaire, il y avait une marge de manœuvre pour la Ligue derrière puisque la décision du Conseil d’État imposait à la Ligue de ré-examiner la situation au vu du bon raisonnement juridique. Dans d’autres affaires, le Conseil d’État se borne à suspendre une décision et s’il la suspend purement et simplement, ben c’est terminé. C’est-à-dire que la Ligue ou la Fédération quel que soit le sport doit s’exécuter et c’est fini.
Est-ce qu’il y a une juridiction au-dessus de vous qui peut briser vos décisions ? Au niveau européen, par exemple ?Non, aucune juridiction n’intervient après le Conseil d’État. Il n’y a pas d’appel au niveau européen, ni devant la Cour de justice, ni devant aucune autre. Je prends un exemple : si par mon ordonnance, je suspends la décision d’interrompre le championnat et j’enjoins la Ligue de reprendre le championnat de France de football dès que possible, la Ligue aurait dû reprendre le championnat de France de football.
Donc je suis assis face à l’homme qui aurait pu satisfaire des millions de personnes ?(Il rit.) Voilà ! Sauf qu’il aurait fallu avoir des arguments juridiques qui n’étaient pas sous mes yeux. Mais si le Conseil d’État, même provisoirement, décide quelque chose, et bien provisoirement en tout cas ça doit être exécuté par l’autorité administrative concernée. Ici c’est une fédération sportive, mais ça peut être un ministre, un maire…
Mais on a tout de même la sensation que chaque ordonnance de jugement que vous émettez est susceptible d’être sujette à un recours…Vous voyez que non, puisque Lyon par exemple s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de recours. Pour les clubs amateurs, autre ordonnance que j’ai rendue, il n’y avait pas de recours non plus. L’affaire d’Amiens et de Toulouse donne l’impression qu’il y a des recours possibles uniquement parce que dans l’ordonnance que j’ai rendue, je n’ai pas dit « C’est noir ou c’est blanc », j’ai dit simplement « Ré-examinez la situation. » Si j’avais rejeté purement et simplement la requête, ça aurait été terminé.
Le Mans et Orléans passent en audience vendredi pour contester leur descente en National. Au regard de ce que vous avez décidé pour Amiens et Toulouse, on se dit que c’est couru d’avance pour eux et qu’ils vont descendre. Ils ont vraiment une chance d’obtenir satisfaction ?Rien n’est couru d’avance, puisque chaque dossier se présente différemment, contrairement à ce qu’on peut penser de l’extérieur. Pour la Ligue 1, la convention conclue entre la FFF et la LFP prévoit un plafond de 20 clubs, et elle le prévoit à nouveau à partir de 2020. Alors que pour la Ligue 2, la convention prévoit non pas 20 clubs, mais entre 16 et 22, en tout cas pour la convention actuelle. Donc il n’y a pas le même cadre juridique, il n’y a pas les mêmes contraintes pour la Ligue 2 que pour la Ligue 1, premier élément de différence. Deuxième élément de différence, dans l’affaire qui passe au Conseil d’État vendredi, ce qui est contesté n’est pas une décision de la LFP, mais une décision de la FFF. La Ligue avait admis la possibilité qu’on puisse jouer à 22 en Ligue 2 et c’est la Fédération qui est venue derrière pour dire l’inverse. De la même manière, pour le football amateur, le cadre juridique n’était pas le même que pour le football professionnel. Donc aucune affaire n’est jouée d’avance !
Quand vous négociez avec des clubs et la Ligue et que vous voyez la Fédération s’immiscer et prendre part aux débats, vous ne vous dites pas que cette multiplicité des interlocuteurs est néfaste et perturbe votre travail ?Moi je ne négocie avec personne ! D’abord, il y a une partie que vous ne voyez pas, c’est la partie des échanges écrits entre la Fédération, la Ligue, les clubs… Cette partie-là est invisible de l’extérieur. Et puis il y a l’audience, quand il y en a une, au cours de laquelle toutes les parties prenantes échangent leurs arguments oraux. Et c’est plus ou moins facile à maîtriser ou non… Mais l’audience de Toulouse, Lyon et Amiens, il y avait beaucoup de monde et ça s’est bien passé.
Le feuilleton dure depuis environ un mois. Peut-on espérer en voir la fin bientôt ?Normalement oui, puisqu’il reste à statuer sur le référé de suspension d’Ajaccio, qui était troisième de Ligue 2 et qui conteste le fait de ne pas être monté en Ligue 1. Et il reste à statuer en référé sur les deux clubs de Ligue 2 qui contestent leur descente en National. Et il y aura peut-être, en tout cas c’est ce qui a été annoncé, un nouveau référé en suspension d’Amiens, voire de Toulouse, je ne sais pas. Une fois que tout ça aura été jugé, toutes les affaires auront été vues. Et à chaque fois que le juge des référés aura rendu une ordonnance sur une de ces affaires, derrière, le Conseil d’État se prononcera à nouveau, mais cette fois-ci au fond et dans le cadre d’une formation de jugement collégiale, dans quelques mois. Donc là, ce qui va être terminé début juillet, c’est l’épisode des référés.
Mais au moment de cette étape suivante dans quelques mois, les championnats auront déjà repris. Si la décision collégiale va à l’encontre de votre ordonnance de jugement, qu’est-ce qu’il se passe ?Eh bien, ça sera compliqué… (Rires.) Dans toutes les affaires sportives, lorsque le juge administratif se prononce sur le fond à un moment où les compétitions sont déjà entamées, voire ont déjà eu lieu, ça peut se résoudre sur le terrain indemnitaire, éventuellement.
Ça fera un sacré pataquès…Ça fera un sacré pataquès, mais ce n’est pas la première fois qu’on est confrontés à ce genre de problématique. On a la chance d’avoir des recours pour lesquels le Conseil d’État est compétent directement puisque ce sont des actes réglementaires qui sont contestés, ce sont des mesures d’organisation des championnats. Mais parfois ce sont des mesures individuelles qui sont contestées, une mesure qui concerne par exemple un club de L2 qui est premier ou deuxième en fin de saison, mais qui n’a pas de structure financière suffisamment solide pour monter en L1, et du coup la Ligue lui dit : « sportivement vous êtes qualifiés, mais financièrement vous ne pouvez pas, et donc je vous laisse en L2. » S’il y a un contentieux là-dessus, ça va passer devant le tribunal administratif, puis devant la cour administrative d’appel, puis le cas échéant en cassation devant le Conseil d’État. Et là ça ne va pas être six mois, mais au moins un an à chaque degré de juridiction, donc trois ans au total. Donc vous voyez que si ça va au bout, la décision finale sera prise à un moment où… D’où l’intérêt des procédures de référé.
Emmanuel Macron, Président de la République, est amiénois. Imaginons que demain il veuille sauver le club de sa ville et qu’il dise « Je veux une Ligue 1 à 22 clubs. » A-t-il les moyens de le faire ? Comme ça, difficilement, puisque la détermination du nombre de clubs en Ligue 1 résulte de la convention qui est conclue entre la FFF et la LFP. Ce n’est pas une décision gouvernementale.
Pourtant, l’arrêt des championnats était une décision gouvernementale ! On a tous vu le discours d’Édouard Philippe à l’Assemblée nationale, c’était une décision qui venait du pouvoir politique.Oui et non, on était dans une configuration très particulière où le gouvernement annonce que matériellement, les matchs ne pourront plus avoir lieu. Donc à partir du moment où il y a une impossibilité sanitaire, de sécurité publique, qui fait obstacle à la tenue des matchs, le gouvernement est dans son rôle.
Mais entre déclarer l’impossibilité de la tenue des matchs et l’arrêt définitif et brutal de la saison, il y a une marge. Que les autres pays n’ont pas franchie…Que certains pays n’ont pas franchie ! D’autres l’ont franchie. Chaque pays a eu une approche différente. Ce qui s’est passé en France, c’est que les autorités du football et des autres sports collectifs se sont dit qu’il valait mieux prendre une décision rapidement pour avoir une visibilité sur ce qui allait se passer, pour que les clubs soient informés, pour que tous les acteurs aient en main les éléments. Et compte tenu de la situation juridique et sanitaire en France, ils se sont dit qu’il y avait beaucoup plus de chances que ça ne puisse pas redémarrer que le contraire. Cette approche probabiliste a permis d’éviter de laisser les acteurs de chaque discipline dans une incertitude indéterminée.
Beaucoup de supporters trouvent ça surprenant que ce ne soit pas une instance purement sportive qui prenne des décisions pour leur club. Vous les comprenez ?Ce n’est pas le juge administratif qui a pris la décision, et chaque pays a son propre système. Il y a des pays dans lesquels il n’y a aucun contrôle juridictionnel sur les décisions prises par les autorités sportives. Il y a des pays au contraire comme en France où il y a des juges pour, en dernier ressort, annuler ou valider les décisions prises par les fédérations sportives. En France, le parti qui a été pris il y a bien longtemps, c’est que les fédérations sportives agissent au nom de la puissance publique. Et à partir du moment où elles sont délégataires du service public, il y a un contrôle juridictionnel sur ce qu’elles décident. Un contrôle de forme et de procédure, évidemment, et puis sur le fond un contrôle qui se borne à censurer les erreurs manifestes, mais qui existe quand même.
Le public n’intervient jamais dans cette prise de décision, même quand il s’organise en groupes. Est-ce regrettable ?Le juge des référés qui a à statuer sur une affaire, avant la séance, il prend connaissance du maximum d’éléments d’éclairage pour lui permettre de comprendre le contexte dans lequel il va statuer. Évidemment, avant de tenir les audiences sur le foot, j’ai beaucoup lu sur ce qu’il se disait sur ces questions-là, ou sur ce qui avait été fait ailleurs en Europe. Le juge se tient informé, il n’est pas dans sa tour d’ivoire, et le public est une donnée d’information.
Contrairement aux dirigeants des clubs ou de la Ligue, les supporters ne vous reconnaissent pas dans la rue. Ça vous arrange, cette discrétion dont vous bénéficiez ? D’autres juges des référés auraient-ils profité de la médiatisation de ce dossier pour se montrer ?Ce n’est pas tellement que ça m’arrange, c’est que c’est la règle du jeu. Le rôle d’un juge, ce n’est pas de se montrer, c’est de rendre la justice autant que faire se peut ! Et de la faire non pas en son propre nom, mais au nom de la République. Donc il y a des affaires qui sont plus médiatiques que d’autres, évidemment, il y a des affaires dans lesquelles on voit le nom du juge dans les journaux, bon… Ce n’est pas forcément très souhaitable pour le juge en question, ça l’expose à des critiques, parfois à des insultes sur les réseaux sociaux…
Vous en avez reçu ?Non, moi je n’ai rien reçu du tout. Mais il y a des affaires beaucoup plus difficiles que les affaires de foot. Quand le juge des référés statue sur des affaires comme l’affaire Lambert ou les affaires de Dieudonné, c’est plus compliqué.
Est-ce que vous soutenez une équipe ? Comme tous les Français qui s’intéressent au foot, j’ai une sympathie particulière pour certaines équipes. (Rires.)
Si vous étiez amiénois ou toulousain, est-ce que ça aurait joué sur le fait qu’on vous confie ce dossier ou sur votre façon de le traiter ?Si j’avais eu la moindre attache avec l’un ou l’autre des requérants et si on m’avait quand même donné le dossier, j’aurais refusé. La règle de base du juge administratif, c’est de prévenir toute espèce de conflit d’intérêt. Donc dès lors qu’on a, même subjectivement, une attache avec l’une ou l’autre des parties, on ne statue pas dans l’affaire en question. Je ne sais pas si le simple fait d’être né à Amiens ou à Toulouse il y a 50 ans aurait suffi à me déporter, mais si j’avais eu une attache avec un des clubs, évidemment, je n’aurais pas siégé. Après, on ne peut pas empêcher les gens d’avoir des… Par exemple quelques jours après l’affaire de Lyon, sur RMC je crois, dans l’émission de foot du soir, il y avait un débat sur l’audience. Et quelqu’un a dit : « Le juge des référés enseigne à l’université de Lyon. » Effectivement, je donne des cours là-bas. Donc les journalistes qui étaient là ont commencé à se demander si le fait que j’enseigne à Lyon pouvait poser un problème par rapport à mon impartialité dans cette affaire-là. Ils se sont vite rendu compte que ça ne posait aucun problème, mais on peut chercher tout et n’importe quoi !
Pensez-vous qu’un juge fan de Toulouse ou d’Amiens aurait pu, sans le dire à personne, récupérer le dossier et statuer différemment pour aider son club de cœur ?Je ne crois vraiment pas puisqu’une décision de justice, il faut l’écrire, il faut la rédiger. Et on ne peut pas écrire n’importe quoi. Même quelqu’un qui aurait des convictions très fortes ne peut pas écrire quelque chose qui irait à l’encontre du droit. Je vois mal qu’un autre de mes collègues ait pu – quelles qu’aient été ses sympathies ou ses antipathies – écrire autre chose sur la question de droit qui était posée par le dossier.
Propos recueillis par Alexandre Doskov