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Bernio Verhagen, le footballeur fantôme qui affole le Danemark
Passée relativement inaperçue à l’international au-delà de son caractère comique, l’affaire Bernio Verhagen passionne le Danemark ces derniers jours. Il faut dire qu’elle réunit tous les ingrédients de l’histoire incroyable : une pincée de football, un soupçon d’arnaque, quelques cuillerées d’usurpation d’identité, le tout sur un lit d'accusations de racisme, de violences et, cerise sur le gâteau, de la prison. À table.
Les petites histoires du championnat danois n’ont pas tous les jours droit à l’attention des médias du monde entier. Alors, quand celle d’un club danois qui aurait signé un « faux » footballeur se retrouve à être traitée dans des brèves aux quatre coins du monde, ça attise forcément la curiosité. Le 22 novembre dernier, le Danemark commence doucement à s’agiter autour du cas de Bernio Verhagen, écarté dès son premier entraînement avec son nouveau club en raison de son faible niveau. Les soupçons de fraude se font de plus en plus pressants. Viborg communique une première fois et s’explique : « La raison pour laquelle nous avons signé un contrat avec Bernio Verhagen, c’était pour renforcer notre réseau international. Habituellement, le recrutement d’un joueur se fait au terme d’un processus très approfondi pour cerner les compétences du joueur. Mais dans ce cas, le joueur a été recruté d’une manière complètement différente. »
Transnistrie, Afrique du Sud, Chili et Danemark
Différente, c’est peu de le dire. Rembobinons. À en croire son profil sur Transfermarkt, Bernio Jordan Enzo Verhagen est né en février 1994 à Paramaribo, la capitale du Suriname. Il a fait ses classes au Willem II, en Hollande,
ce qu’a confirmé la KNVB, qui trouve des traces de sa présence au club entre 2009 et 2010. Par la suite, il enchaîne quelques piges à Oosterhout, puis Den Dungen, avant de disparaître de leur système. Mais pas du football : en février, Bernio Verhagen resurgit. Il apparaît d’abord en Transnistrie, au Dinamo-Auto Tiraspol, puis en Afrique du Sud, au Cape Town FC, et enfin au Chili, à l’Audax Italiano. À chaque fois pour des piges ultracourtes, quelques semaines, durant lesquelles Verhagen ne joue pas le moindre match. Avant le 5 novembre dernier, date à laquelle le club de Viborg, au Danemark, annonce la signature de « Jordan, un joueur rapide et agressif qui s’intégrera bien ici et qui peut jouer aux trois postes de l’attaque » .
La signature de ce joueur en plein milieu de saison interpelle les journalistes danois. Dans les rédactions de BT et de Bold, deux quotidiens locaux, on commence à s’intéresser à l’histoire de ce fameux Bernio Verhagen. « On a trouvé ça étrange qu’un joueur de 25 ans, professionnel depuis seulement huit mois, se retrouve soudainement à Viborg, un club danois sans histoire, presque ennuyeux, raconte Lasse Vøge, journaliste à BT qui a enquêté sur l’affaire. Donc on a contacté ses clubs précédents, pour prendre la température. » Au fil des contacts, le mystère s’épaissit autour du joueur, que peu semblent connaître aux Pays-Bas et qui s’est surtout fait remarquer lors de son petit tour du monde entamé en février. Rapidement, le journaliste se rend compte que Bernio Verhagen est un footballeur fantôme, qui n’a jamais obtenu le statut professionnel. Alors, comment s’est-il retrouvé en première division danoise ? L’enquête aboutit rapidement sur la seule explication logique : c’est une bonne grosse arnaque. En huit mois, Bernio Verhagen a ainsi enchaîné les clubs, représenté par un « agent » qui usurpait l’identité de plusieurs personnes du groupe Stellar, mastodonte de la représentation sportive (qui compte notamment parmi ses clients un certain Gareth Bale).
Une revente en Chine au bout de quelques mois
Les premières révélations sur l’arnaque Verhagen sont publiées dans la presse danoise le 22 novembre. Au fur et à mesure, les preuves tombent que Viborg n’est que la dernière victime de la supercherie Verhagen. Il décide de prendre lui-même sa défense et d’accorder une interview à BT dans laquelle il tente d’éteindre les soupçons qui l’entourent et affirme notamment que le club l’a recruté après un essai de trois jours. Viborg dément dans la foulée et assure l’avoir recruté sans l’avoir jamais vu jouer.
Puis, le 24 novembre, le club publie un long communiqué dans lequel il explique, en détails, les tenants et les aboutissants de l’histoire à la suite des révélations de la presse danoise : « Depuis le 3 juillet 2019, Viborg FF est en contact avec plusieurs personnes qui prétendent appartenir au groupe Stellar. Depuis le premier jour, nous avons reçu des documents falsifiés, des courriels et des appels de personnes prétendant être de véritables agents du groupe Stellar. » Mais alors pourquoi s’être intéressé à ce joueur, et pourquoi ne pas avoir fait les vérifications d’usage avant de le signer ? « L’agent a déclaré à Jesper Fredberg (le directeur sportif de Viborg, N.D.L.R.) qu’à partir de janvier, Bernio Verhagen pouvait rejoindre un club de troisième division chinoise. Il ne devrait donc être à Viborg que pour une très courte période. Une entrée sur le marché chinois, où le football a explosé ces dernières années, a été perçue comme une grande opportunité. » Verhagen transitait donc par Viborg, qui récupérait une petite somme dans l’affaire en le revendant en Chine, et le club s’offrait en prime un petit peu de réseautage bienvenu. BT révélera finalement que le club chinois était, sans surprise,
un leurre, dévoilant même que Verhagen lui-même avait demandé à une ex-petite amie néerlandaise de signer le contrat… à la place du dirigeant du club chinois.
En prison pour avoir séquestré, puis agressé sa petite amie
L’affaire pourrait s’arrêter là et tenir parfaitement debout. Mais non. Le 15 novembre, avant même que les premiers articles sur la supercherie ne soient publiés, paraît un premier papier sur Bernio Verhagen sur le site du quotidien danois BT. La veille, la petite amie du joueur, une Chilienne du nom de Nayaret Muci, 21 ans, poste sur sa story Instagram une photo de ses bras couverts de bleus. Elle accuse Bernio Verhagen de violence, et de la séquestrer depuis des semaines dans un hôtel de Viborg dont elle parvient à s’échapper. « Il m’a gardée enfermée, confie-t-elle à BT. Je ne différenciais plus le jour et la nuit. Chaque fois que je voulais partir, il m’en a empêchée. Il a complètement violé mes droits et m’a maltraitée physiquement. »
Une première bombe. D’autant que ce n’est pas la première fois : le 3 novembre, moins de deux semaines avant, La Tercera, qui enquête alors sur les circonstances du départ de Verhagen de l’Audax Italiano (il accuse plusieurs de ses coéquipiers de racisme), évoque des premiers appels à l’aide de Muci, qui sert de traductrice lors de l’entretien que Verhagen leur accorde depuis le Danemark : « Au moment d’engager le dialogue, c’est la surprise. Elle explique, spontanément, les appels à l’aide qu’elle a publiés quelques heures auparavant sur son compte Instagram : « Il m’a enlevée ici au Danemark. Il m’a frappée et craché au visage. Il ne veut pas me renvoyer au Chili. Aidez-moi. » » Elle se rétracte finalement quelques jours après. Au Danemark, après avoir réussi à échapper à Verhagen, Muci ne revient pas sur ses propos. Le 27 novembre, alors que le Viborg FF a annoncé la veille la rupture du contrat du joueur, il est arrêté et placé en détention provisoire après que des images de vidéosurveillance l’ont montré, dans un kiosque à journaux, en train de s’en prendre physiquement à Nayaret Muci. Le même jour, d’autres femmes témoignent aux médias danois du comportement violent de Bernio Verhagen. Aux dernières nouvelles, Bernio Verhagen est donc en prison pour violences, en attendant d’être jugé pour fraude. La conclusion juste à une affaire rocambolesque.
Par Alexandre Aflalo
Propos de Lasse Vøge recueillis par AA.